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par shaman

Merci et bonsoir Grenoble !

Retour sur un festival du spectacle vivant qui s’est tenu à Grenoble entre le 13 et le 17 septembre.

Le spectacle vivant plonge dans les racines de l’histoire humaine. Depuis des temps immémoriaux, l'homme cherche à transmettre son savoir, son histoire et ses expériences pour éveiller l’imagination de ses semblables. Aujourd'hui, tout cela conserve un sens profond…

Dans les grottes primitives ont dû d'abord naître le conte et le mime. Durant l’antiquité, les théâtres grecs ou romains transmettaient déjà les fondamentaux du vivre ensemble, qu’ils soient historiques ou sociétaux, alors que bardes et ménestrels parcouraient les établissements humains pour transmettre nouvelles et sagesse populaire. Avec la solidification des hiérarchies sociétales, les arts de la rue se sont voulus espace de liberté. L’image de la troupe de théâtre itinérante, vivant hors de la société, prompte à faire rire la populace et à critiquer les puissants, vient aisément à l'esprit.

Aujourd'hui encore, les arts de la rue et le spectacle vivant restent pertinents. En témoignent les chiffres d'affluence aux grands festivals du genre. Ainsi, le « Festival de théâtre de rue d'Aurillac » aura vu passer cette année 120.000 spectateurs sur la semaine pour un total de 2.625 représentations. Le deuxième grand évènement du genre, « Chalon dans la rue », malgré une fréquentation en baisse depuis plusieurs années, avait vu passer le nombre de ses visiteurs de 65.000 à 70.000 personnes durant la précédente édition. Mais le spectacle vivant et les arts de la rue ne sont pas définis par des scores de fréquentation. Une myriade de plus petits festivals font vivre la discipline tout au long de l'année. Et ces arts sont avant tout définis par les messages qu'ils véhiculent.

Pour mieux comprendre tout cela, Reflets était présent au festival « Merci, Bonsoir » qui s'est tenu à Grenoble à la mi-septembre. Une occasion d'interviewer Fabien, le programmateur du festival, et de tenter ainsi de mieux appréhender les valeurs véhiculées par ce type d'évènements.

Le festival se tient dans le parc Bachelard, se situant dans le quartier du Mistral au sud de Grenoble. Un quartier connu pour sa population immigrée, ses trafics et les affrontements entre les jeunes et la police.
Le festival se tient dans le parc Bachelard, se situant dans le quartier du Mistral au sud de Grenoble. Un quartier connu pour sa population immigrée, ses trafics et les affrontements entre les jeunes et la police.

« Merci, Bonsoir » est un spectacle tout public avec des représentations dédiées aux enfants. Mais pas toutes ...
« Merci, Bonsoir » est un spectacle tout public avec des représentations dédiées aux enfants. Mais pas toutes ...

Peux-tu nous parler du festival « Merci, Bonsoir », nous expliquer d’où est issu son nom et nous dire depuis combien de temps il existe ?

« Merci, Bonsoir » est organisé par l’association « Mix’arts » et c’est sa septième édition. Depuis trois ou quatre ans, nous l’organisons avec l’association « Le prunier sauvage », une structure qui porte le projet. Pour le nom, nous avons choisi « Merci, Bonsoir » car c’est ce que disent les artistes à la fin de leur spectacle. On trouvait ça bien de faire un festival avec ce nom-là, il est ultra-communicatif.

Il ne s’est pas toujours tenu dans ce parc. Avant, il était plutôt en centre-ville. Mais nous avions la volonté de le faire dans un quartier populaire, parce que beaucoup de choses se passent dans le centre à Grenoble et on avait envie de s’excentrer. Il y avait aussi la volonté de faire un festival axé « art dans l’espace public » ce qui n’existait pas vraiment à Grenoble. On est plusieurs copains à venir de ce quartier et on trouvait que ça manquait un festival mélangeant les générations, les gens issus de milieux différents.

« Merci, Bonsoir » est organisé par l’association « Mix’arts ». Pourrais-tu te présenter rapidement et nous parler de ton rôle dans l’association ?

Alors, dans Mix Arts, j’étais là pour la création de l’association. Et au début, c'était pas du tout une volonté d’être salarié ni que ça devienne aussi gros. Au départ, c'était plutôt pour délirer, mais ça a bien pris. Initialement, j’étais dans le conseil collégial, mais depuis sept ans, je suis salarié. Je m’occupe de la programmation et de la coordination. Je monte les projets, je cherche des financements et je fais de la relation avec les institutions.

L'étrange roulotte a plusieurs buts. Animation et accueil du public, boite de nuit ambulante pour raccompagner celui-ci vers la sortie, elle remplit également une fonction essentielle : recevoir les dons en carte bancaire. En effet, les artistes sont payés en amont du festival mais une grande part de son budget se base sur les dons du public récoltés à la fin de chaque spectacle par la traditionnelle technique du chapeau.
L'étrange roulotte a plusieurs buts. Animation et accueil du public, boite de nuit ambulante pour raccompagner celui-ci vers la sortie, elle remplit également une fonction essentielle : recevoir les dons en carte bancaire. En effet, les artistes sont payés en amont du festival mais une grande part de son budget se base sur les dons du public récoltés à la fin de chaque spectacle par la traditionnelle technique du chapeau.

Beaucoup de spectacles touchent à des sujets assez graves. À la surveillance des populations avec « AmalgameS », au génocide rwandais avec « Tout dépend du nombre de vaches », … Est-ce un hasard ou un choix de programmation ?

Je vais voir beaucoup de spectacles chaque année et j’essaye de voir tous les spectacles que je programme. Mis à part, bien sûr, les compagnies qui proposent une nouvelle création et à qui je fais confiance parce que j’aime bien leur projet.

Dans l’association, nous pensons que la culture est un outil de transformation sociale et, surtout, que la culture est politique. Personne ne peut faire de l’art qui ne soit pas politique, ça n’existe pas. Si on ne se le dit pas, c’est qu’on fait de l’art consumériste. Notre volonté, pour la programmation, c’est d’alterner des spectacles très légers, très drôles, un peu loufoques avec des sujets plus militants qu’on estime importants. Par le biais de l’art, on peut sensibiliser autrement que par des livres, parce qu’on sait que plein de gens ne vont pas forcément aller lire des livres ou écouter des conférences de deux heures d’intellectuels. C’est l’occasion, par exemple, de sensibiliser le public aux problématiques des frontières, à la lutte contre le capitalisme ou aux problématiques environnementales. Donc dans cette édition, il y a beaucoup de spectacles qui sont axés sur ces questions. Mais en même temps, beaucoup de spectacles qui se veulent militants ne sont pas très bons. Et parce qu’ils se présentent comme militants, ils vont tourner. A « Merci, Bonsoir », nous essayons de programmer des spectacles qui ont des choses en plus. Ils ont des choses à raconter, mais aussi derrière, il y a une touche poétique, une touche d’humour, qui est faite avec justesse.

Dès le mardi, dans le lieu « Anneau de vitesse », la compagnie toulousaine « Compagnie Singulière » donne une représentation sur la surveillance. Sur le toit du camion, la « hackeuse » du groupe est à l'œuvre.
Dès le mardi, dans le lieu « Anneau de vitesse », la compagnie toulousaine « Compagnie Singulière » donne une représentation sur la surveillance. Sur le toit du camion, la « hackeuse » du groupe est à l'œuvre.

Le mercredi, « Le grand colossal théâtre » jouait « Batman contre Robespierre »,  une pièce sur l'ascenseur social mais cette fois en descente.
Le mercredi, « Le grand colossal théâtre » jouait « Batman contre Robespierre », une pièce sur l'ascenseur social mais cette fois en descente.

J’ai aussi pu noter les programmations « coup de pouce ». Peux-tu me parler de ce dispositif ?

Il y a aussi une volonté d’accompagner des artistes régionaux. Et là, on a mis en place un dispositif qu’on a copié sur un festival qui existe en Suisse. Ils sont au courant, on leur a demandé avant. On a un groupe de professionnels, qui peuvent être des chargés de diffusion, des administrateurs, des metteurs en scène ou des comédiens. Et nous lançons un appel à candidature sur les compagnies régionales et sur des nouvelles créations. Souvent, ce sont des jeunes compagnies qui n’ont pas beaucoup joué et qui veulent se tester. On en choisit cinq et elles jouent trois fois dans le festival. Elles sont suivies par le groupe de professionnels qui leur font des retours. Ces retours peuvent toucher aux questions de diffusion, de structuration, sur la mise en scène ou sur comment on aborde le public parce que jouer dans l’espace public c’est quelque chose qu’il faut apprendre aussi, ce n'est pas inné et c’est même plus dur que de jouer en salle.

Dans la catégorie « coup de pouce », la compagnie « Nejmat » joue « Sage Sauvage », un spectacle acrobatique et poétique mêlant quête personnelle, voyage et choc des cultures
Dans la catégorie « coup de pouce », la compagnie « Nejmat » joue « Sage Sauvage », un spectacle acrobatique et poétique mêlant quête personnelle, voyage et choc des cultures

Joué par la « Compagnie Uz et Coutumes », le spectacle « Tout dépend du nombre de vaches » laisse le spectateur au bord des larmes. Axé sur le génocide rwandais et avec un titre faisant référence à la façon dont les colons ont départagé Hutu et Tutsi, il se penche sur le devoir de mémoire égrenant témoignages et expériences vécues.
Joué par la « Compagnie Uz et Coutumes », le spectacle « Tout dépend du nombre de vaches » laisse le spectateur au bord des larmes. Axé sur le génocide rwandais et avec un titre faisant référence à la façon dont les colons ont départagé Hutu et Tutsi, il se penche sur le devoir de mémoire égrenant témoignages et expériences vécues.

Pourrais-tu me parler de cette association et de ses autres projets ?

“Mix’arts” a à peu près l’âge de « Merci, Bonsoir ». C’est notre premier gros événement et donc ça fait sept ou huit ans qu’on existe. On se décrit comme faisant de la politique culturelle et de l’éducation populaire. Même si ça nous arrive de faire des événements type concert en salle parce qu’on kiffe le groupe qu’on veut le programmer, on essaye de mettre plus de sens que juste la consommation de groupe.

On a un autre festival qui s’appelle « Bien le bourgeon », qui se passe en milieu rural cette fois-ci et qui est axé sur l’écologie. Et l’écologie, c'est très large donc chaque année, on fait des sous-thématiques. Par exemple, cette année, c'était sur la souveraineté alimentaire et l’année prochaine, ça sera sur l’éco-féminisme. Et du coup, la journée, il y a des spectacles, des conférences et des ateliers en lien avec la thématique et le soir, c'est des concerts classiques où on fait la fête.

On organise aussi pas mal d’évènements dans l’année, une quinzaine qui peuvent être des concerts, des spectacles, souvent engagés, parfois pas du tout. Et on co-organise depuis deux ans, ça va faire la troisième fois cette année, le mois décolonial qui est un évènement d’un mois antiraciste sur Grenoble. Un mois d’éducation populaire avec des ateliers, des conférences, des formations, des spectacles, des concerts. Et pour ce festival, on est une vingtaine de structures à l’organiser. Cet évènement nous tient à cœur parce qu’on est avec des structures pour qui l’organisation d’évènements n’est pas leur métier. Elles apportent leurs réseaux et ce qu’elles ont spécifiquement à dire. Nous, on apporte la touche culturelle, mais aussi notre expérience d’organisation d’évènements.

Après, on essaye aussi de monter des partenariats. Pendant deux ans, on a fait un festival avec le DAL sur le droit au logement. Pendant trois ans, on a fait un festival avec « Roms Action », une association qui essaye de lutter contre les stéréotypes sur les populations Roms.

Enfin voilà, on essaye de donner du sens à tout ce qu’on fait et c’est pour ça que les gens viennent. On est pas mal suivi à Grenoble parce que les gens voient qu’on est pas qu’une association de consommation culturelle. On fonctionne de manière collégiale et ça se ressent, autant dans les partenariats qu’on fait que dans notre relation avec le public.

Le vendredi soir, la « Compagnie du Gravillon » jouait « point de bascule ». Une vulgarisation de la problématique du réchauffement climatique par un scientifique déjanté et éco-anxieux.
Le vendredi soir, la « Compagnie du Gravillon » jouait « point de bascule ». Une vulgarisation de la problématique du réchauffement climatique par un scientifique déjanté et éco-anxieux.

Plus loin, à la pastille 3, la « Compagnie Victor B » jouait « Maison Renard : préparons-nous au pire et espérons le meilleur ». Ici la catastrophe n'était plus remise en question. Une seule solution, la BAD (ou « Base Autonome Durable »), proche des bunkers suisse, mais avec tout le confort garanti.
Plus loin, à la pastille 3, la « Compagnie Victor B » jouait « Maison Renard : préparons-nous au pire et espérons le meilleur ». Ici la catastrophe n'était plus remise en question. Une seule solution, la BAD (ou « Base Autonome Durable »), proche des bunkers suisse, mais avec tout le confort garanti.

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