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par Jean Cloadec

Menaces sur la réduction des risques en toxicomanie

La ville d'Aubervilliers vient d'exiger le démontage d'un distributeur de pipes à crack

Karine Franclet, la maire UDI de cette commune de Seine-Saint-Denis, a fait enlever le 15 décembre un distributeur de matériel de l'association Safe. Elle envisage de demander également le retrait de deux autres automates d’échanges de seringues. Ce coup politique illustre les menaces permanentes contre la prévention en direction des consommateurs de stupéfiants. La Région Ile-de-France a également diminué drastiquement les subventions pour ces associations.

Distributeur de pipes à crack d'Aubervilliers avant démontage - Association Safe

La politique de santé de réduction des risques en direction des usagers de drogues est toujours sur un fil. Elle est une variable d’ajustement facile de politiques en mal de coups d’éclat. Les consommateurs de stupéfiant sont une cible de choix et défendue par peu de monde, essentiellement les acteurs associatifs en charge de les accompagner. Pourtant, les études ont montré l’importance des politiques de prévention et son efficience, y compris sur le plan budgétaire. Une personne atteinte du Sida ou d’hépatite C revient beaucoup plus cher au système de santé que ne coûte la prévention, sans compter le coût social, les arrêts de travail par exemple.

Dernière attaque en date contre la réduction des risques, la manœuvre de la ville d’Aubervilliers et de sa maire, Karine Franclet (UDI), qui a fait démonter le 15 décembre un distributeur de matériel pour les usagers de crack. Et la menace pèse toujours sur deux automates d’échanges de seringues. Tout commence le 24 septembre. La préfecture de police de Paris lance à la demande du ministre de l'Intérieur une évacuation des consommateurs de crack installés dans les secteurs des Jardins d'Eole et de Stalingrad. Ils sont de fait déplacés vers le département voisin, la Seine-Saint-Denis.

Immédiatement, Karine Franclet, maire UDI d'Aubervilliers, monte au créneau. Elle se dit « très en colère qu'Anne Hidalgo et le gouvernement prennent la Seine-Saint-Denis pour une poubelle ».

Un mur, rebaptisé « le mur de la honte par les riverains » est même construit à Pantin pour empêcher les consommateurs de drogue de rejoindre le territoire. La maire d’Aubervilliers dit refuser « que ces personnes s’installent au bords de nos villes ».

Mise devant le fait accompli par le ministère de l’Intérieur, Karine Franclet cherche à peser dans le dossier. Quoi de mieux que d’exiger de l’association Safe qui gère des distributeurs de matériel de réduction des risques de retirer ses trois automates d’Aubervilliers ? Après négociations, seul le distributeur de matériel pour les inhalateurs de crack sera démonté. Pour le moment. « La mairie nous a adressé un mail pour nous dire qu’elle suspendait provisoirement la demande d’enlever les deux autres distributeurs de seringues et de récupération de matériel d’injection, raconte Catherine Duplessy, la directrice de l’association Safe. Mais l'élue ajoute, si la situation venait à se dégrader encore, nous reviendrions vers vous. »

Démontage du distributeur de pipes à crack à Aubervilliers le 15 décembre - Association Safe
Démontage du distributeur de pipes à crack à Aubervilliers le 15 décembre - Association Safe

Pourtant il n’y a pas eu de problème pendant cinq ans, alors que l’automate tournait déjà au maximum de sa capacité, selon la directrice de l’association. « Depuis que des crackers sont à demeure dans le square de Forceval près de la Porte de la Villette dans le 19e, après l’expulsion du jardin d’Eole, certains squattent des parking ou des parties communes à Aubervilliers pour se mettre à l’abri ou consommer loin des regards. Mais les problèmes ne sont pas liés du tout à la présence de l’automate, c’est dû à la présence de personnes en errance », décrypte-t-elle.

Vrai problème, mauvaise solution

Sollicité, Samuel Martin, l’adjoint au maire d’Aubervilliers qui suit ce dossier ne nous a pas répondu. Sur France Bleue, il déclarait : « Certains venaient récupérer leur matériel à ce distributeur et faisaient leur inhalation à proximité, sur la voie publique ou parfois dans les parties communes ou dans les parkings des résidences tout autour. Certains riverains qui rentraient du travail, des enfants ou des commerçants, se sont retrouvés confrontés à des tentatives de vol ou des insultes ou de l'exhibitionnisme. »

« La réponse de la mairie est une mauvaise solution à un vrai problème, déplore Catherine Duplessy. On ne résout pas l’errance de ces crackers qui de toute façon sont dans le secteur, et on les prive d’accès au matériel de prévention. Il y a besoin de plus de places d’hébergement et d’espace de consommation à moindre risque. Mais il n’y en a qu’une seule à Paris. »

Depuis l’arrivée de Valérie Pécresse à la tête de la Région Île-de-France, les subventions aux acteurs de la réduction de risque luttant contre les addictions ont été drastiquement diminuées en introduisant un plafond de 50.000 € pour ces actions. « Depuis le changement de majorité, nos subventions de la Région ont été divisée par deux, constate Catherine Duplessy. L’Agence régionale de santé et la mairie de Paris ont heureusement pris le relais. Mais notre financement reste fragile, on ne sait jamais ce qu’on aura d’une année sur l’autre car notre mission fait l’objet de conventions annuelles. »

Autre entrave à la réduction des risques, les contrôles de police aux abords des distributeurs ou lors de distribution de matériel de réduction des risques. « Le travail de nos équipes de prévention a déjà été perturbé par des contrôles de police empêchant ainsi le contact avec les usagers, dénonce la responsable de Safe. Des policiers ont même détruit du matériel remis à ces personnes. »

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