Martine Landry ou l'absurdité des poursuites contre ceux qui viennent en aide aux migrants
Poursuivie devant les tribunaux pour avoir accompagné des mineurs sur 100 mètres
Membre d'Amnesty International, Martine Landry a convoyé à pied des mineurs sur une centaine de mètres. La voilà renvoyée devant un tribunal. Le procureur s'acharne...

Martine Landry est devenue malgré elle un symbole de l’absurdité des poursuites judiciaires à l’encontre de ceux qui aident les migrants. « L’affaire » pourrait prêter à sourire : la justice lui reproche d’avoir convoyé deux mineurs depuis le poste frontière italien jusqu’au poste frontière français à Menton, bref d’avoir emmené des mineurs de la police italienne à la police française. Il faut se représenter le lieu pour comprendre l’absurdité de la chose : une route sur les hauteurs de la ville, d’un côté le poste frontière italien, de l’autre les douanes françaises. Une centaine de mètres séparent les deux bâtiments. Au milieu, un panneau France. C’est dans cet espace que plusieurs associations, dont Amnesty International à laquelle appartient Martine Landry, effectuent des observations sur la légalité des reconduites vers l’Italie.
L’affaire commence le 25 juillet 2017. Postée à la frontière, Martine Landry constate que plusieurs mineurs sont renvoyés vers l’Italie, une reconduite illégale car les mineurs non accompagnés sont censés être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). « J’ai vu que les douaniers italiens ont renvoyé les mineurs vers la France car c’est le droit international, raconte Martine. Mais Je savais que les policiers français avaient un stratagème : les renvoyer en Italie par le train depuis la gare de Menton Garavan pour empêcher les douaniers italiens de les intercepter. Je suis donc allée attendre les mineurs dans le tunnel de la gare et je leur ai dit d’aller voir une association italienne et j’ai prévenu un avocat italien. Comme deux des mineurs renvoyés logeaient chez Cédric Herrou et étaient clients de l’avocate Mireille Damiano qui avait déjà fait des demandes d’assistance éducative, elle a obtenu les documents nécessaires pour qu’ils puissent revenir en France. »

Martine Landry part sur la frontière vérifier que les mineurs soient bien pris en charge. « Je n’ai pas accompagné les mineurs de l’Italie vers la France, je les ai attendus au panneau France, explique la militante. Puis je les ai emmenés à la Police des Airs et des Frontières à 30 mètres de là. Une heure et demie plus tard, l’ASE est venu prendre les mineurs pour les mettre en foyer. »
Faut pas embêter les membres de la PAF...
Mais la PAF n’a pas apprécié que Martine fasse respecter la loi. Trois jours plus tard, un policier lui remet une convocation pour « une audience libre sans garde à vue pour aide à l’entrée sur le territoire et au séjour irrégulier». Elle s’y rend, s’explique mais refuse de répondre aux questions sur ses contacts associatifs en Italie. Trois jours plus tard, le procureur décide de la poursuivre.

Lors de l’audience le 30 mai, la substitut du procureur tient un discours incohérent. Elle déclare d’un côté que Martine Landry n’a rien fait d’illégal mais elle s’acharne contre Amnesty International accusée de complot international pour faire entrer illégalement des mineurs en France. Finalement, elle demande la relaxe. « La procureure a dérapé, explique son avocate Mireille Damiano. Je sais qu’elle avait pour consigne de s’en remettre à la décision du tribunal. Mais elle s’est empêtrée dans son réquisitoire... » Le tribunal la suit dans son jugement du 13 juillet, déclarant que Martine Landry n’a fait qu’appliquer la loi.
Les juges constatent que l’action de la militante s’est inscrite « dans le respect du droit et de la convention européenne des droits de l’enfant (…) et de la constitution française en son article 2 en poursuivant une action fraternelle à but humanitaire. »

Fin de l’histoire ? Eh bien, non ! Le procureur a fait appel de la décision le 24 juillet et la militante sera rejugée devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. « Le Parquet se ridiculise dans cette affaire, déclare son avocate Mireille Damiano. Son objectif est de poursuivre Amnesty International au travers de ma cliente. » Contacté, le procureur Jean-Michel Prêtre déclare : « Une analyse en équipe nous fait dire qu’il y a des éléments constitutifs de l’infraction, car elle a fixé rendez-vous avec les mineurs à la frontière.» Et dire que le Conseil Constitutionnel a consacré le 6 juillet « le principe de fraternité » considérant par ailleurs que la liste limitative des actions exemptées de poursuites doit être entendue largement comme couvrant « tout acte d’aide apportée dans un but humanitaire »...
Martine Landry n'est pas la seule à subir la pression de l'Etat. Plusieurs militants sont poursuivis devant les tribunaux. Un bon moyen de refroidir les ardeurs. C'est coûteux, long et éprouvant. Cédric Herrou est le militant le plus médiatisé (il est au centre du récent film Libre) de la région et son harcèlement judiciaire est permanent.
Un camion des forces de l'ordre est stationné devant l'entrée de sa propriété qui est surveillée en permanence. Il a subi plusieurs gardes à vue et a été poursuivi plusieurs fois. Cinq des administrateurs de Roya Citoyenne ont été convoqués à la PAF fin septembre 2017, chacun à leur tour pendant plus de deux heures. Quatre personnes d'un certain âge sont poursuivies pour l'aide qu'elles auraient apportée à des migrants.
Le père François-Xavier, prêtre du diocèse de Nice, a quant à lui été alerté par des paroissiens qui ne savaient plus comment faire face à l’afflux de migrants.

En plus des collectes de produits de première nécessité, il prévient l’évêque qu’il ouvrirait une église et un presbytère désaffecté si besoin. « Là, les ennuis ont commencé, raconte le prêtre. Le maire m’a appelé pour m’insulter. La sous-préfète a débarqué chez moi pour me demander de ne rien faire et de rester tranquille. Quant à Monseigneur, il a donné l’ordre de changer les verrous du presbytère !» André Marceau, l’évêque de Nice, a préféré mettre en place un petit programme en partenariat avec l’association Jesuit Refugees Service qui a permis d’accueillir une trentaine de demandeurs d’asile. Quant au père François-Xavier, il a discrètement été écarté.

Notre dossier sur la vallée de la Roya :
Roya : la vallée des passeurs d'humanité - Reportage : une chaîne de solidarité pour les migrants
Roya : la géographie et la topographie - Des freins pour les migrants
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