Journal d'investigation en ligne
par Antoine Champagne - kitetoa

« Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? »

Guéant et Hortefeux : les improbables piégés

La troisième semaine du procès Sarkozy dit du financement libyen a été marqué par les déclarations de deux grands naïfs, Claude Guéant et Brice Hortefeux, piégés par le machiavélique Ziad Takieddine. Leur histoire à peu convaincu. Les proches des morts dans l'attentat du DC10 ont témoigné de l'horreur.

Abdallah al-Senoussi
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Alors chef de cabinet du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkoy, Claude Guéant se rend à Tripoli les 30 septembre et 1er octobre 2005 pour « préparer » la visite de son ministre dans les jours qui suivent. Ce grand naïf, qui semble n'avoir aucune expérience politique (il a fait toute sa carrière au service de l'exécutif) reçoit un coup de téléphone de Ziad Takieddine lui proposant de rencontrer une « personnalité » libyenne. Aussi incroyable que cela puisse paraître - Claude Guéant et Nicolas Sarkozy affirment depuis le début du procès que l'intermédiaire n'avait jamais eu le moindre rôle dans la préparation des voyages officiels en Libye- il accepte. Le voilà donc montant dans une voiture avec Ziad Takieddine, le soir du 30 septembre 2005. Il ne prévient personne, ni l'ambassadeur, ni un officier de sécurité, ni un interprète, lui qui ne parle pas un mot d'arabe.

Et voilà le numéro deux du ministère de l'intérieur qui disparait dans la nuit noire de Tripoli pour rencontrer dieu sait-qui. Et là, paf, la tuile ! La mystérieuse « personnalité » n'est autre que le beau-frère de Kadhafi, Abdallah Senoussi. Cet homme a été condamné à la perpétuité pour terrorisme par une cour d'assises en France et fait l'objet d'un mandat international. Selon Claude Guéant, qui n'a pas demandé qui il allait rencontrer pendant le trajet en voiture, il se retrouve « piégé » par l'intermédiaire. Il en est tellement honteux, qu'en rentrant à Paris, il n'en dira rien à Nicolas Sarkozy. Il en a pourtant parlé à l'ambassadeur qui aurait pu remonter l'information au ministère des affaires étrangères, dirigé par Dominique de Villepin, alors en guerre ouverte avec Nicolas Sarkozy.

Mais ce n'est pas tout. Si Claude Guéant est le collaborateur le plus proche de Nicolas Sarkzoy, Brice Hortefeux est le meilleur ami du ministre de l'intérieur. Or, lorsque Brice Hortefeux se rend Libye à son tour, le 21 décembre 2005, pour signer un accord sur la coopération des collectivités dont personne ne comprend l'intérêt, Claude Guéant ne pense pas à le mettre en garde. Quelque chose comme « attention, si Takieddine te propose un rendez-vous avec un inconnu, n'y va pas, je me suis fait piéger » ? Cela aurait pourtant été bien utile à un ministre délégué aux collectivités territoriales. Car lui aussi se fait piéger et se retrouve en tête-à-tête avec Abdallah Senoussi, lui aussi embarqué dans cette galère par Ziad Takieddine, ce Machiavel. Lui non plus n'en parle pas à son ami Nicolas Sarkozy. On dirait deux personnes âgées qui se sont fait arnaquer sur Internet par un brouteur et n'osent pas en parler, par peur du ridicule. Naïfs et honteux.

L'avocate d'Anticor tente de comprendre et demande à Claude Guéant :

Pourquoi ne pas parler de votre rencontre avec Senoussi lorsque vous êtes entendu en audition libre ?

Parce qu'on ne m'a pas posé la question

Interrogé, Nicolas Sarkozy qui scrute les déclarations de ses anciens collaborateurs depuis le début du procès, vient au secours de Claude Guéant. La présidente lui demande s'il lui « parait normal de répondre à une invitation de Takieddine pour rencontrer un officiel sans rien savoir de cette personne ».

M. Guéant est un moine de l'administration. Quand il se laisse manipuler par Takieddine, j'y vois une forme de naïveté qui l'amène à faire cette erreur.

Claude Guéant, Brice Hortefeux... Décidément, que diable allaient faire ces deux-là dans cette galère ?

Car Abdallah Senoussi est l'homme qui a supervisé la préparation de l'attentat du DC10 d'UTA qui a fait 170 morts dont 54 français au dessus du Ténéré en 1989. Pour les proches des victimes, la plaie est toujours vive. Bien plus que pour les deux proches de Nicolas Sarkzoy qui n'ont pas évoqué ce sujet lorsqu'ils ont été piégés et qui n'ont pas, non plus, tourné les talons lorsqu'ils ont découvert l'identité de leur interlocuteur.

« Je pose la question à ces messieurs : si à la place de mon frère, vos proches, des membres de votre famille avaient voyagé dans cet avion français, auriez-vous accepté de rencontrer, de négocier avec leur assassin, avec celui qui a organisé cet attentat ? Je ne pense pas ! » a martelé la sœur d’une victime.

« La visite de Kadhafi à Paris a été pour moi une indignité » a renchéri Danièle Klein qui a perdu son frère dans l'explosion en vol du DC10. « Messieurs les prévenus, imaginez un cercueil quasiment vide. Monsieur Sarkozy, ce jour-là, j’avais l’âge de votre fille. Monsieur l’ancien président, messieurs les anciens ministres, vous ne saurez jamais le poids de cette traversée du désert » lance Christophe Raveneau.

Visiblement, pas de quoi émouvoir les prévenus, dont deux n'auront pas un mot pour les victimes en revenant à la barre.

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