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Dossier
par Jacques Duplessy

Macron invente le confinement « en même temps »

T'es confiné mais t'es pas confiné

Paniqué à l'idée que l'économie s'effondre alors que l'élection présidentielle pointe le bout de son nez, Emmanuel Macron et le gouvernement se refusent encore à prendre des mesures drastiques. A quel prix ?

Porte Saint-Martin lors du premier confinement - © Reflets

En même temps t'es confiné, en même temps tu travailles, en même temps t'es confiné, en même temps tu vas à l'école. Comme disait une publicité célèbre : ça ressemble au confinement, ça a le goût du confinement mais ça n’est pas un confinement. Dans la rue, la circulation reste importante. Une impression confirmée par les données diffusées par Apple et Google à partir de la géolocalisation de nos portables. Elles montrent que, si la circulation a bien baissé, cela n’a rien à voir avec le premier confinement. Seuls la moitié des trajets ont été suspendus.

Pourtant il y a le télétravail, direz-vous. Il « n’est pas une option » et il doit être appliqué « cinq jours sur cinq » quand c’est possible, martèle le gouvernement. Mais voici ce qui est écrit dans le protocole sanitaire national : « Le télétravail est une solution à privilégier, lorsque cela est possible : il doit être favorisé par les employeurs, sur demande des intéressés et si besoin après échange entre le médecin traitant et le médecin du travail, dans le respect du secret médical. Il doit être favorisé aussi, autant que possible, pour les travailleurs qui, sans être eux-mêmes à risque de formes graves, vivent au domicile d’une personne qui l’est. » Qui apprécie le « lorsque cela est possible » ?

Télétravail : même l’État ne joue pas le jeu

Entre le discours et les actes, il y a un gouffre. Sur les réseaux sociaux, la grogne monte. Des salariés racontent que leur entreprise les oblige à venir dans les locaux, alors qu'ils avaient télétravaillé pendant le premier confinement. Sina raconte : « Cette obligation n'est pas appliquée. Je travaille dans un centre d'appels en open space, nous sommes une trentaine, la responsable nous a dit quelle n'a pas entendu Macron parler d'obligation de télétravail dans son discours donc depuis jeudi on continue à travailler sur place. » Fanny tweete : « Dans mon entreprise la justification est : "pas besoin il y a assez d'espace entre vous dans les bureaux". Je pense qu'on se moque bien de nous. »

Pat lance cet appel à l'aide sur twitter : « Bonjour, mon employeur refuse le télétravail pourtant possible, quel recours ? (Je prends les transports en commun et mon mari est atteint d’ALD) merci ». Elisabeth Borne, la ministre du travail, déclare sur les sanctions en cas de non-respect du télétravail : « Les salariés peuvent saisir l'inspection du travail s'ils ont l'impression que leur employeur n'applique pas les règles. » On souhaite bien du courage aux salariés qui vont dénoncer leurs employeur fraudeur s'il n'y a pas de syndicat dans l'entreprise...

Ajoutons que l’État ne donne pas l'exemple : « Je travaille à la CPAM, tweet Mus Cat, et nous ne sommes pas en télétravail 5 jours sachant que c'est complètement possible vu qu'on l'a fait au premier confinement. Ce confinement est n'importe quoi chacun fait ce qu'il veut j'ai l'impression. » Les impôts (la DGFIP) poursuit également du travail en présentiel. « Les contrôles fiscaux dans les entreprises continuent comme si de rien n'étaient au motif qu'aucun décret ou loi ne fixe une suspension de la prescription fiscale, s'alarme un fiscaliste. Sauf qu'un décret ou une loi est de la compétence du gouvernement, et que le parlement voterait positivement cette loi qui avait déjà été votée le temps du premier confinement.

De plus, le protocole sanitaire national n'a pas force de loi. C'est le Conseil d'Etat qui l'a rappelé dans une décision datée du 19 octobre. Seul l'article 4121-1 du Code du travail doit être respecté par l'employeur. Il dit qu'il doit tout mettre en œuvre pour garantir la santé et la sécurité de ses salariés. En cas de non respect, il risque des poursuites civiles mais aussi pénales. La sanction pour l'employeur qui refuse le télétravail est donc une sanction a posteriori, avec les aléas judiciaires que l'on connaît.

La grogne des enseignants monte

Quand à l'école, elle tourne à plein régime. Quelques 12 millions d’élèves ont repris le chemin des classes. Manque de points d’eau pour le lavage des mains, absence de gel hydro-alcoolique, impossibilité de maintenir la distanciation sociale dans des classes ou des couloirs surchargées... la grogne des enseignants monte. Six organisations syndicales du primaire ont publié un communiqué ) dénonçant « une mise sous pression intenable pour l’ensemble des personnels épuisés et exaspérés notamment les directrices et directeurs d’école chargés de contacter les familles et les collectivités. » Car toutes les mesures de protection dans le plan sanitaire pour l’école sont « si possible », « dans la mesure du possible ». Le SNUipp-FSU a menacé de déposer un préavis de grève si les négociations avec le ministère de l’Éducation Nationale pour mieux protéger les élèves et les enseignants n’aboutissaient pas.

Avec un tel flou sur l'étendue de ce confinement et les nombreuses dérogations, pas étonnant que les petits commerces fassent pression pour rester ouverts. Une soixantaine de maires ont quant à eux mené une fronde contre l’État en prenant des arrêtés pour maintenir l'ouverture des petits commerces considérés comme non essentiels par le gouvernement.

En attendant, le nombre de cas continue d’augmenter. Quelque 36.330 nouveaux malades de la Covid ont été comptabilisés mardi, avec 3.331 hospitalisation dont 469 en réanimation ou en soins intensifs. Il est encore trop tôt pour mesurer les résultats de ce confinement Canada dry. Combien de temps cela va-t-il durer comme cela ? Selon deux sources travaillant dans des lycées distincts, les proviseurs ont prévenu des professeurs que l’établissement pourrait fermer dans quinze jours et passer à l’enseignement à distance. La flambée du nombre de cas de Covid poussera-t-elle le gouvernement à fermer les écoles ?

Signe de la fébrilité de l'exécutif, le porte-parole du gouvernement a annoncé mardi matin un couvre-feu pour Paris et peut-être la région parisienne… démenti par Matignon dans les heures qui ont suivi. Mais la mesure serait effectivement à l'étude. Paniqué à l'idée que l'économie s'effondre alors que l'élection présidentielle se profile, Emmanuel Macron et le gouvernement se refusent encore à prendre des mesures drastiques. A quel prix ?

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