Lutte contre la réforme des retraites : un départ en fanfare !
Les manifestations en France ont mobilisé entre 1 et 2 millions de personnes
Le ministère de l'Intérieur a lui-même reconnu que les manifestants étaient 1,12 million dans la rue hier. Pour les organisateurs, ce serait 2,5 millions. Quoi qu'il en soit, c'est bien plus que lors des précédents combats contre la réforme des retraites. Un signe encourageant qui montre la détermination des Français et l'ampleur de l'opposition au projet.

Le mouvement de contestation du projet de réforme des retraites a montré son ampleur jeudi 19 janvier. Ce tour de chauffe est nettement plus important que ceux de 1995, 2003 et 2009, selon les chiffres compilés par France Info. De quoi faire réfléchir le gouvernement ? Probablement pas à ce stade, Emmanuel Macron, comme toujours, seul aux manettes pour prendre les décisions, étant persuadé que les Français lui ont donné mandat pour faire cette réforme en votant pour lui. L'époque est à l'adoption des « faits alternatifs »... Chacun sait, à part le parti au pouvoir et le président, que les Français ont voté pour faire barrage au Rassemblement national. Reculera ? Reculera pas ? Il faudra attendre la suite des événements pour le savoir. La SNCF, le secteur de l'énergie, qui ont un fort pouvoir sur l'évolution de l'économie nationale, vont-ils se lancer dans des actions de longue durée ? Le prochain rendez-vous national est fixé au 31 janvier. Une autre manifestation, à l'initiative de L’Alternative étudiante, VoixLycéenne, FIDL, Jeune Garde, Jeunes Insoumis, Jeunes écologistes, Jeunes Génération·s, Place Publique Jeunes, RED Jeunes, POI, NPA Jeunes et soutenue par LFI est prévue le 21 janvier à Paris. Le départ de la manifestation est prévue à 14h à la Bastille.
Trois journalistes de Reflets ont pris la température de la rue hier.
À Paris, la place de la République était rapidement pleine à craquer. Les manifestants débordaient dans les avenues et les rues autour.


« J'ai 56 ans et je ne ne me vois pas continuer mon travail à 64 ans, dit Abou, ouvrier chez Renault. Je manipule des charges lourdes. Et c'est très flou sur les critères de pénibilités si la réforme passe. »
Martina est kiné à l'hôpital Emile Roux en gériatrie : « je m'occupe de patients âgés, atteints d'AVC, de maladie neurologique ou en rééducation post-covid. On s'use beaucoup dans mon métier. Il faut lever des patients, les retenir quand ils n'ont pas d'équilibre. Nous sommes tout le temps en sous effectif : il manque plusieurs infirmières, les aides-soignantes sont usées. Et maintenant, ce gouvernement nous dit qu'on doit travailler plus longtemps alors que nous sommes épuisés. J'ai 54 ans, dans 10 ans, je n'aurais plus assez de force pour faire ce métier. Il y a beaucoup de grévistes, je n'avais pas vu une telle mobilisation depuis longtemps. Mais tout le monde ne peut pas venir manifester, il y a la continuité des soins à assurer. »

Christian est technicien dans le technocentre de Renault : « On en a ras-le-bol de travailler plus pour gagner moins. Nous avons eu 1% d'augmentation l'année dernière... Vous avez vu l'inflation ? J'oubliais..., on a eu 6 actions gratuites. Renault choisit toujours les actions gratuites, l'intéressement, bref de l'argent sur lequel on ne cotise pas. »
Christian estime la mobilisation importante : « il y a des signes qui ne trompent pas, des collègues qui n'ont jamais manifesté nous demandent comment faire grève. Nous sommes prêts à continuer la lutte. »

C'est justement la durée du mouvement qui permettra ou non de faire reculer le gouvernement sur son projet de réforme des retraites. Le président et ses ministres tablent sur une « lassitude » des Français, une sorte de renoncement dans un climat délétère ponctué par l'inflation, la guerre en Ukraine, la pandémie...
François est prof de CP et conseiller pédagogique depuis cette année. « Cette loi est une saloperie. On parle de 64 ans pour l'âge de départ à la retraite, mais les personnes diplômées commencent souvent à travailler à 24 ans. Donc ils partiront plutôt à 67 ans... Nos conditions salariales se sont dégradées. Le diplôme demandé est bac+5 et on commence à 1,3 SMIC. Pas étonnant qu'on ait du mal à recruter. Sur 90 conseillers pédagogiques à Paris, 30 ont démissionné l'année dernière. Beaucoup de profs ne sont pas remplacés en cas d'absence. Il y a un ras-le-bol, une désespérance, même. Nous nous organisons pour tenir dans la durée : nous faisons le tour des écoles pour sensibiliser les collègues, nous collectons de l'argent pour la caisse de grève. Nous avons même des réserves de la précédente mobilisation. Nous allons nous battre », conclut-il
À La Rochelle, même s'il y avait moins de monde, la manifestation a agrégé une foule rarement vue dans cette ville...
Le départ du cortège était prévu à 14h30 et à 13h, on pouvait raisonnablement se demander si quelqu'un montrerait le bout de son nez...

La pluie redouble mais dès 14h, des milliers de parapluies, syndiqués ou non, convergent vers la place. Très vite, une foule nombreuse s’est rassemblée sur le parvis de la gare et le départ est donné.

Les rues environnantes deviennent impraticables à la circulation. Près de 10.000 manifestants ont envahi le centre-ville sur un circuit balisé. Tout se déroule dans la joie et la contestation de la réforme.

Nous avons demandé aux manifestants pourquoi ils étaient là.
Sylvie, 52 ans, infirmière, explique : « J’aurais tellement de raisons de ne pas venir me faire tremper pour pas grand-chose… Le milieu hospitalier s’écroule étage par étage et j’ai vraiment l’impression qu’il ne se passe rien du tout en haut, quoi que l’on fasse. En fait, c’est ça, avec mes collègues, ont se dit qu’on travaille de moins en moins bien dans des conditions impossibles. Je vous avoue que j’y crois de moins en moins aux manifs. Mais venir nous dire, en ce moment, que travailler plus longtemps est la solution d’urgence pour régler les problèmes de demain… ça va quoi… je suis venue ! »

Cédric, 34 ans, stratifieur sur un chantier naval constate: « Mon boulot est intéressant mais très physique. On se casse un peu dans tous les sens à longueur de journée. Je vois bien autour de moi que les anciens sont vraiment fatigués et qu’ils en ont ras-le-bol. C’est pourtant eux qui connaissent le mieux le métier. Beaucoup partent même avant la retraite. Alors on embauche le premier qui cherche un boulot, il y en a beaucoup en ce moment, et c’est la cata en termes de qualité. Vouloir faire travailler plus longtemps ceux qui s’y connaissent, c'est bien joli, mais c’est juste pas possible ! J’en ai jamais vu, des politiques pliés en deux à respirer de la résine à longueur d’année… ».

Viviane, 63 ans, retraitée de l’éducation nationale, prof d’histoire, nous répond : « Pourquoi je suis venue… ? Parce que figurez-vous que j’ai de la chance, je bosse plus ! C'est pour ça que j’ai le temps de réfléchir tranquillement. Franchement, c’est quoi ce truc de vouloir à tout prix vanter les hautes vertus d’un travail mal rémunéré, en s’offusquant ouvertement de la mauvaise volonté de tous ces fainéants qui ne veulent plus rien faire… Il faut bien y aller au boulot, c'est sûr, mais je peux vous dire que la vie est plus douce quand on a le temps penser à soi. C’est pour ça qu’il faut penser aux autres. Et puis bon, il y a un temps pour tout, place aux jeunes, eux, ils cherchent du travail. »