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par Antoine Champagne - kitetoa

LREM plus karcher que Nicolas Sarkozy ?

Une proposition de loi sur "la sécurité globale"

C'est sans doute parce qu'un projet de loi sur la "sécurité partielle" aurait paru peu pertinent que LREM a choisi ce titre... Et aussi parce que le concours de celui qui sera le plus tapedur est ouvert depuis très longtemps. Au menu, à nouveau, surveillance par drone, interdiction de publier des visages des policiers...

Un gendarme pilotant son drone le 16 novembre 2019 près de la place d'Italie, lors de l'acte 53 des gilets jaunes - © Reflets

Selon les mots mêmes des auteur du projet de loi, « le budget de la sécurité a augmenté de plus d’un milliard d’euros depuis cette date [le début du quinquennat - NDLR] et le recrutement, sans précédent, de 10 000 policiers et gendarmes a été lancé sur cinq ans". Alors que le pays s'enfonce dans une pandémie que l'exécutif a bien du mal à simplement contenir, que le nombre de lits d'hôpitaux continue d'être réduit, les députés LREM n'ont rien trouvé de mieux que de remettre sur le tapis de vieilles lunes, comme l'interdiction de filmer et de diffuser des images des policiers en opération, ou la légalisation des images de surveillance par drones, déglinguées par le conseil d'État. Si l'on ne peut pas passer par la porte, on passera pas la fenêtre... A chacun ses priorités.

Ils sont une flopée à avoir présenté ce projet le 20 octobre dernier, mais sont mis en avant Jean‑Michel Fauvergue, Alice Thourot, Christophe Castaner, Olivier Becht, Yaël Braun‑Pivet et Pacôme Rupin.

Toutes les vieilles lunes du camp tapedur ultra-libéral se retrouvent dans ce projet et l'exposé des motifs. Les mots-clef sont bien là : « continuum de sécurité, sécurité globale, partenariat des sécurités du quotidien, montée en compétences, nouveaux moyens technologiques, élargissement de leur domaine d’intervention, recours à la sous‑traitance ».

Le chapitre premier du projet de loi porte sur les polices municipales. Les auteurs du texte veulent permettre « à titre expérimental » (technique du pied dans la porte bien décrite dans le Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois) aux policiers municipaux d'exercer des compétences de police judiciaire.

La sécurité de plus en plus privée

Le titre II du texte porte sur le secteur de la sécurité privée dont la liste des dérives est trop longue pour être citée ici (cela ne date pas d'hier) et dont les auteurs veulent renforcer le rôle. D'emblée, le projet de loi ouvre la voie à la sous-traitance de la sous-traitance de la sous-traitance... Ce qui ne peut, on l'imagine aisément qu'apporter plus de professionnalisme et renforcer la responsabilité des acteurs.

Bien entendu, les auteurs du texte visent à sanctionner plus lourdement les violences ou menaces de violences contre des personnes exerçant une activité privée de sécurité.

Le titre III du projet vise la captation d'images et la « vidéoprotection », c'est à dire la « vidéosurveillance », si l'on utilise la langue française. On y découvre immédiatement la volonté de mettre à disposition des polices municipales les images captées.

Le projet ouvre également la voie à l'identification en temps réel via la reconnaissance faciale des personnes se trouvant sur les lieux d'une manifestation, comme le souligne la Quadrature du Net : « Lorsque la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention. » Comme l'imagine la Quadrature, cette transmission en temps réel des images au sol par tous les membres des forces de l'ordre et leur croisement avec des bases de données permettrait de multiplier les méthodes de harcèlement déjà utilisées, comme pour Gaspard Glanz.

L'article 22 du projet de loi remet sur le tapis l'utilisation des drones pour la vidéosurveillance. Le Conseil d'État avait interdit la surveillance par drones pendant la période du confinement. Les arguments déployés s'appliquent sans doute hors période de confinement, mais il faudra attendre une nouvelle décision pour en avoir le coeur net. La majorité souhaite visiblement inscrire dans la loi ces usages.

Floutage de gueules

L'article 24 vise quant à lui a punir la diffusion d'images des forces de l'ordre : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. » Là encore il s'agit d'un vieux projet ressorti à chaque fois qu'un nombre trop important d'images de violences policières viennent ternir l'image des forces de l'ordre. L'ajout de la phrase « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique » ne protège en rien le droit d'informer sur les violences policières, puisque les force de l'ordre vont instrumentaliser la loi en plaidant la peur et le traumatisme psychologique. Le texte sur l'outrage a déjà été largement instrumentalisé pour obtenir des dommages et intérêt devant les tribunaux et arrondir les fins de mois. Ajoutons que le RIO, le numéro qui permet de les identifier est, selon les forces de l'ordre, en option. Ils le portent quand ils veulent alors que la loi le leur impose en permanence. Le RIO est-il d'ailleurs un « élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale » ? La question mériterait d'être posée... Le sentiment d'impunité des policiers n'en sera que renforcé. Vu le niveau des violences policières lorsque l'on peut filmer les forces de l'ordre, personne ne doit être pressé de connaître le niveau qui sera atteint après interdiction.

Enfin, quelques articles fourre-tout viennent répondre aux demandes des policiers ces derniers temps. Il s'agit de pouvoir entrer dans des locaux recevant du public avec son arme même en dehors de ses horaires de service. Mais aussi sur l'usage des armes par les militaires déployés sur le territoire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Enfin, le projet de loi vise à interdire la vente de feux d'artifice, souvent utilisés contre les forces de l'ordre. Il faut dire que ce projet de loi est un vrai feu d'artifice qui tombe à pic dans un contexte déjà marqué par une réduction drastique des libertés individuelles en période de pandémie. Décidément, tout est fait, tant du côté gouvernemental que du côté scoumoune 2020 pour freiner les velléités de contestation populaire...

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