Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par shaman

Les zapatistes à la rencontre des luttes européennes

Echanges entre les collectifs montpelliérains en lutte et une des délégations zapatistes

La diplomatie n'est pas l'apanage des grandes puissances et pour cette première étape de leur "voyage de la vie" en Europe, les zapatistes ont fait les choses en grand. Le 14 septembre, a atterri à Vienne, l'entièreté de la force aérienne zapatiste, 180 membres des délégations qui se sont réparties en 28 équipes d'"écoute et de parole" composées de quatre à six compas, souvent des femmes. Des équipes capables de couvrir ainsi simultanément "28 recoins de la géographie européenne."

Rencontres entre des révolutionnaires mexicains et un hackerspace - Le BIB

En France, les collectifs en luttes attendaient huit équipes de "compas" (compañeros-as : compagnons) entre le 12 octobre et le 5 novembre. Des rencontres qui avaient été plusieurs fois reportées en raisons des problèmes sanitaires et de la mauvaise volonté des états. À Montpellier, c'est finalement le week-end du 22 octobre que la délégation de cinq compas est arrivée avec un planning de diplomate. Le vendredi, elles rencontraient le collectif "Oxygène", en lutte depuis sept ans contre le projet Oxylane visant à la bétonisation d'une zone naturelle. Plus tard dans la journée, elles échangeaient avec des collectifs locaux en lutte sur le rond-point de Paulette à l'initiative des gilets jaunes.

Le lendemain, samedi, elles étaient accueillies dans la coopérative culturelle "La tendresse". En début d'après midi, elles écoutaient la parole des collectifs féministes et échangeaient sur les problématiques de la lutte contre le patriarcat au cours de plusieurs ateliers ensoleillés. Puis elles visitaient "Le BIB" et s'entendaient raconter l'histoire de ce hackerspace, passé par les squats avant d'intégrer cette coopérative culturelle et d'ouvrir son espace à "LABASE", un Bio-hacklab. Plusieurs ateliers étaient alors organisés, en petits groupes, pour entrer dans le détail des différentes occupations et moyens d'action de ce lieu dédié à l'émancipation technologique et au soutien aux luttes. Sans oublier..., le fun.

Les "compas" étaient là pour écouter les témoignages des luttes, mais elles étaient aussi là pour partager. C'est ce qu'elles ont pu faire durant l'assemblée de clôture, répondant aux questions variées des personnes présentes. Cette parole a permis d'ouvrir une nouvelle fenêtre sur leur lutte emblématique, incarnant aujourd'hui l'idée de l'autonomie et de l'émancipation populaire.

Dès la première question concernant leur retour sur ce voyage diplomatique, elles ont insisté sur le besoin d'unir les luttes. Celui de dépasser le concept de convergence pour en réaliser la véritable union.

Il y a des mouvements qui luttent pour la même chose dans plusieurs endroits mais ils n'ont pas réussi à faire le lien pour lutter de manière collective. Notre venue a déjà permis de réunir des gens. Je crois qu'il y a un manque de communication et que c'est vraiment central. À Marseille aussi, notre venue a permis la réunion de deux mouvements qui se sont rendu compte qu'ils luttaient pour la même chose, la défense de la terre mère. Je suis remplie de joie de voir que ce mouvement de rencontre se fait grâce à nous.

Est-ce qu'il y a cette démarche en Amérique du Sud dans les communautés indigènes et autres de s'unir ? Est-ce que ce travail que vous faites ici, est fait aussi las-bas ?

Au Mexique, par exemple, nous avons fait beaucoup d'appels à la rencontre et à l'union. Nous avons fait une première convention qui s'est tenue en août 1994 [qui a donné lieu à la deuxième déclaration de la jungle de Lacandona, les actes de constitution du mouvement zapatiste]. On a fait des rencontres intra-continentales et on a exposé notre lutte. De là sont sortis beaucoup de choses comme la commission "sexta" en 2005 [issue de la sixième déclaration de la jungle de Lacandona]. Et l'Amérique était particulièrement appelée, invitée et bien reçue, évidement [ici en 2006 pour la rencontre du peuple zapatiste avec les peuples du monde]._

Mais comme toujours, les commandants restent les commandants... Dans d'autres luttes, parfois, les dirigeants se vendent. Dans notre révolution, car c'est une révolution, on s'assure que le peuple soit le commandant. Chez nous beaucoup de figures et de commandants sont partis, car c'est le peuple le commandant. Comme on dit :"Pour tous, tout ! Et rien pour nous !".

Après ces appels, certains ont pu venir, d'autres n'ont pas pu venir. Nous nous sommes alors dit "pour tous ces gens qui n'ont pas pu venir, maintenant, c'est à nous d'y aller". Et l'Europe est tombée au hasard. Nous sommes là pour connaître vos luttes, mais nous avons prévu de faire les cinq continents et nous ne savons pas encore quel sera le prochain. Nous verrons quel continent pourra nous recevoir._

La banderole qui aura suivi la délégation pendant son séjour à Montpellier
La banderole qui aura suivi la délégation pendant son séjour à Montpellier

Comment ont fait les zapatistes pour unifier toutes les luttes séparées qui étaient présentes au Chiapas avant leur apparition.

Dans notre organisation, les compagnons venaient de différents partis ou organisation politiques, d'organisations sociales qui n'ont jamais eu de réponses car leurs dirigeants étaient manipulés ou n'avaient pas assez de poids pour obtenir ces réponses. Quand nous les recrutons, nous leur expliquons qu'ils vont devoir laisser leurs anciennes organisations parce que nous ne voulons pas dépendre d'un parti, nous voulons être une organisation libre. Beaucoup de compagnons sont rentrés dans la lutte car ils voyaient que leur prix de production étaient trop bas. Nous leur parlons aussi de la situation au Mexique et des grands projets du gouvernement qui détruisent la nature. Donc ces compagnons, avec leurs familles, voient l'intérêt de suivre la lutte zapatiste et d'abandonner leurs anciennes affiliations.

Comment avez-vous fait pour intégrer les nouvelles personnes qui voulaient entrer dans le mouvement ? Comment s'assurer que ces personnes ne soient pas infiltrées par le gouvernement ou qu'elles n'aient pas d'intentions cachées ?

Je ne sais pas si vous connaissez l'histoire mais notre lutte a commencé par trois personnes et seulement trois personnes. Ils se sont mis à réfléchir à comment recruter d'autres compagnons car ils allaient s'ennuyer s’ils restaient juste trois. Ils ne vivaient même pas dans une communauté ou un village mais dans la montagne. Ils avaient fini la nourriture qu'ils avaient amené et devaient manger sans sel, la nourriture qu'ils trouvaient sur place. Donc, ils se sont fait passer pour des acheteurs de bétail ou pour des docteurs, avec la blouse et cela leur permettait de voyager. Ils se sont même fait passer pour des chercheurs de pétrole de la compagnie mexicaine de pétrole. Ils allaient dans les fêtes de village pour voir qui buvait de l'alcool, qui n'en buvait pas, ceux qui parlaient bien. Quand ils parlaient avec une personne, ils demandaient qui allait au catéchisme, qui tenait l'église. Ils parlaient avec les gens et leur demandaient comment se passait leur production, combien ils vendaient, quels problèmes ils avaient. Ils ont pu, comme ça, s'assurer de la confiance qu'ils pouvaient accorder à ces personnes, par exemple en leur livrant des informations et en revenant plus tard voir si cette information avait fuité. À la troisième rencontre, ils pouvaient alors approcher ces personnes pour les faire rentrer dans l'organisation. Une fois intégrées, ces personnes se voyait donner la tâche de recruter d'autres personnes de confiance avec les mêmes protocoles. D'aller dans des communautés où ils ont un ami et commencer à rencontrer encore d'autres gens. Et ainsi, petit à petit, de plus en plus de personnes sûres intègrent le mouvement. De cette façon, en un an, nous avions déjà le premier bataillon de notre armée. Ce premier bataillon s'est appelé "Les machettes". Au début, ils ne recrutaient que des hommes, ils se disaient que les femmes allaient aller discuter avec leur voisine ou leur maman. À l'époque, ils ne faisaient pas confiance aux femmes. Mais ce qui nous a aidé, c’est la nuit, la pluie, l'obscurité. Quand les hommes rentraient tard, sale, plein de boue, les femmes disaient "Qu'est-ce que tu es allé faire ?". Et à la prochaine réunion, les camarades disaient au commandement "On a un gros problème, ma femme ne veut plus me laisser venir, car elle ne sait pas ce que je fais". Et le commandement a commencé à demander "Comment elle est ta femme, elle est bien, elle est sure ?". Et l'idée a émergé au sein des trois fondateurs que les femmes pouvaient faire partie du mouvement. Et ils ont commencé à recruter des femmes.

L'assemblée du samedi soir est l'occasion d'échanges ouverts à la coopérative culturelle de "La tendresse"
L'assemblée du samedi soir est l'occasion d'échanges ouverts à la coopérative culturelle de "La tendresse"

Avez-vous eu une expérience de personnes infiltrées ?

Réellement infiltrées, non, pas pendant les premières années. Mais nous avons eu des problèmes de sécurité avec l'alcool. Des compañeros sont descendus à la ville, ont commencés à se souler, à parler et à vouloir se battre contre la police. Et celle-ci a vu que nos compagnons étaient entrainés militairement et ont commencés à poser des questions. Ils ont enquêté, enquêté et ont commencé à comprendre qu'il y avait un campement militaire dans la région. Dans les communautés, des rumeurs commençaient à se répandre que des guérilleros se préparaient. Et quand c'est parvenu aux oreilles des gouvernants, ils ont envoyé l'armée pour trouver le camp. Et le campement qu'ils ont trouvé, c’était une clinique autonome. J'ai un compagnon qui est mort dans cette attaque parce qu'il n'a pas eu le temps de sortir.

Mais depuis 1994, il n'y a plus de recrutements donc pas d'infiltration. Tout s'est préparé dans la clandestinité mais quand la guerre s'est déclarée, il n'était plus possible d'intégrer le mouvement zapatiste. Depuis les années 2000 environ. Il y a des compagnons zapatistes qui sont sortis de l'organisation. Ils ont surement fait un grand tour avant de revenir vers l'organisation. Sortir c'est OK, mais réintégrer l'organisation n'est pas facile. Des anciens camarades ont voulu revenir, mais ce n'est plus possible, il n'y a plus de recrutement. Maintenant ce qui est possible, c’est de rentrer dans le congrès national indigène. Ce congrès est apparu suite au non-respect du gouvernement des accords de San Andres. Nous en faisons partie, nous les zapatistes. Mais dans ce congrès il y a des indiens de tout le pays, qui sont, eux, toujours dépendants de l'état pour l'éducation, la santé.

Mais vous, vous avez été intégrée au mouvement, vous êtes zapatiste !

Quand on nait dans une famille zapatiste, on est zapatiste, on n’a pas besoin d'être recruté. Par exemple, nous, en tant que zapatistes, nous allons nous marier avec un zapatiste et nous allons fonder une famille. Le mari et la femme seront dans la résistance et les enfants naitrons dans la résistance. À quatre ans, quand ils peuvent commencer à aller à l'école, ils vont à l'école autonome. À 11 ans, 12 ans, 13 ans ils ont appris à lire, à compter et peuvent choisir eux même leur voie. Après 15 ans, ils peuvent continuer à étudier, mais ils ont une double responsabilité et doivent travailler pour la résistance. Car pour les zapatistes, à partir de 16 ans jusqu'à 60 ans, vous êtes coopérateurs du mouvement et vous devez travailler pour les taches collectives. Mais si vous êtes étudiant de l'éducation ou la santé, ce seront aussi vos taches pour le mouvement et vous progresserez plus vite.

Pouvez-vous nous dire où vous en êtes au niveau du système de santé autonome. Est-ce que vous continuez à faire de la formation de promoteur de santé en continu ? Est-ce que vous avez des projets pour que les différents promoteurs de santé des Caracol se réunissent ? Est-ce que vous y arrivez ?

(Les promoteurs de santé sont des personnes recrutées dans les communautés, formés et travaillant bénévolement)

En ce qui concerne la formation des promoteurs de la santé, ça fait longtemps que nous en formons et nous sommes dans la troisième génération. Dans certaines zones, nous n'avions pas de spécialistes. Dans ces domaines, les promoteurs de santé de la première génération continuent à se former et reviennent former les autres générations. En 2019, tous les promoteurs de santé des cinq zones ont fait une rencontre pour partager leurs connaissances afin que tout le monde ai le même niveau en ce qui concerne les soins et la santé. Les promoteurs peuvent se spécialiser sur les trois thématiques de santé : la thématique gynécologique, la thématique traumatologie (fractures) ainsi que les plantes médicinales où nous sommes en train de retrouver les savoirs locaux. Il y a le centre de santé et un hôpital avec plus de matériel et des personnes mieux formées. Il a dû être fermé pendant une période, mais nous avons appris qu'il a pu rouvrir récemment. Il est ouvert aux zapatistes et aux non zapatistes. Quand cet hôpital a été fermé, ça a été d'un grand manque. La population nous le demandait, car cet hôpital autonome était bien meilleur que les cliniques fédérales.

Visite du hackerspace "Le BIB" et du BioHackLab "La Base" - Le BIB
Visite du hackerspace "Le BIB" et du BioHackLab "La Base" - Le BIB

Comment gérez-vous les conflits au sein de groupe ? Quels sont les moyens mis en œuvre ?

Sur la gestion des travaux collectifs, par exemple, dans toutes les municipalités, il y a une liste de tous les participants. Le jour où un camarade doit travailler, mais n'y va pas, il doit apporter des explications valables de sa famille ou montrer qu'il était malade. Pas de problèmes pour ça mais il faudra qu'il rende les jours plus tard.

Quant à la question de la justice zapatiste, elle ne s'achète pas et ne se vend pas. Il n'y a pas de questions de familiarités ou de favoritisme. Il n'y a pas d'avocats. Ce que fait le "conseil de bon gouvernement", c'est qu'il est le médiateur de tous les conflits pouvant apparaitre. Il y a trois niveaux dans notre gouvernement. Au niveau local, il y a ce qu'on appelle les commissaires qui s'occupent des questions de la communauté, sur les questions agraires par exemple. Dans cette autorité, il y a aussi bien des hommes que des femmes. Au niveau au-dessus, au niveau des municipalités autonomes, il y a des conseillers municipaux qui peuvent être aussi bien des hommes que des femmes. C'est à ce niveau que se règlent les conflits entre différentes communautés. Tout en haut, il y a le conseil de bon gouvernement, l'instance la plus importante qui règle les cas les plus graves comme les viols ou la violence ou les problèmes qui n'ont pas pu être réglés aux échelons inférieurs. Par exemple, dans une zone, il y a eu un cas de meurtre. Les personnes non-zapatistes, car dans les villages, il y a des zapatistes et des non-zapatistes, qui se sont venus nous chercher. Dans ce cas, les envoyés du "conseil de bon gouvernement" ont été les médiateurs entre les deux parties. Pour faire en sorte que la famille de l'assassin puisse accéder aux demandes de la famille de l'assassiné. Quand ils sont arrivés à un accord, le conseil a fait un acte pour affirmer qu'ils sont arrivés à un accord. Parfois la médiation est longue et les gens retournent dans leur communauté pour réfléchir à la solution.

Dans une autre histoire, nous sommes dans une zone frontalière et des migrants remontent du Guatemala. Nous, on est pas contre les migrants mais contre les passeurs qui prennent beaucoup d'argent pour ça. Nous avons arrêté le passeur, redistribué tout l'argent qu'il avait aux migrants avant de les conduire le plus au nord possible. Le passeur, nous l'avons puni pendant 6 mois dans un chantier de travail collectif pour la construction d'une clinique. Et après ses 6 mois de peine, l'ancien passeur nous a remercié de sa formation et il est devenu charpentier maçon. Nous pensons à construire une maison de réhabilitation, pas seulement pour les délinquants mais aussi pour des personnes dans nos communautés qui ont des problèmes avec l'alcoolisme ou la drogue.

Le dialogue entre l'assemblée et les compas s'est achevée sur cette question, tard dans la soirée.

La visite des zapatistes aura coïncidé avec un évènement heureux pour les luttes montpelliéraines. Des personnes du collectif "Oxygène" ont pris la parole pendant l'assemblée pour témoigner :

Pour nous, la journée d'hier était extraordinaire pour deux raisons. La première raison est que quand nous avons commencé cette lutte, il y a sept ans, on ne pouvait pas imaginer qu’il y aurait un jour une délégation de zapatistes sur ce petit terrain. Notre lutte, notre toute petite lutte sur ce petit espace par rapport à votre lutte qui est grande sur un grand espace. Et la chance a fait que le même jour, nous avons appris notre victoire. La veille, nous ne le savions pas encore. C'est un peu comme un alignement des astres.

La veille, en effet, Decathlon avait déclaré abandonner son projet "Oxylane" au vu du classement en terre agricole de parties de la parcelle contestée.

Des collages apparaissent à l'occasion du passage des "compas"
Des collages apparaissent à l'occasion du passage des "compas"

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée