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par Jacques Duplessy

« Les mesurettes gouvernementales sont largement insuffisantes »

L'épidémiologiste Catherine Hill dénonce une gestion déplorable de l'épidémie de Covid.

Alors que la situation est critique à l'hôpital, notamment en Ile-de-France, Catherine Hill déplore le fiasco de la politique de dépistage, seule à même, avec la vaccination, de juguler la propagation du virus.

Catherine Hill - Laszlo - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Reflets: Comment évolue la situation de l’épidémie ?

Catherine Hill : La situation se dégrade rapidement. Les admissions en réanimation sont chaque jour plus nombreuses et les services de réanimation sont déjà saturés en Ile-de-France et ailleurs. La situation sera vraiment critique d’ici 10 jours. Et nous sommes très loin de l’immunité collective, donc l’épidémie va continuer.

Les mesures récentes du gouvernement sont-elles de nature à changer la donne ?

Non. C’est un pseudo-confinement qui se résume à la fermeture de magasins et à une interdiction de se déplacer à plus de 30 km. Ces mesurettes gouvernementales sont largement insuffisantes. Il est pourtant urgent de réduire la pression dans les services hospitaliers. La gestion globale de l’épidémie est déplorable : on prend le problème par la fin au lieu de le prendre par le début. On cherche à augmenter les capacités de réanimation au lieu de chercher à empêcher que le virus ne se propage en identifiant les personnes contagieuses avant les symptômes pour les isoler et contrôler ainsi la circulation du virus.

Le gouvernement joue-t-il sans le dire la carte de l’immunité collective ?

Non, c’est injouable. Au début de l’épidémie, chaque cas contaminait en moyenne 3 cas. Ce nombre de personnes contaminées directement par une personne infectieuse quand le virus arrive dans une population dans laquelle personne n’est immunisé, s’appelle R0. Il détermine la proportion de la population qui doit être immunisée pour que le virus s’arrête de circuler. Cette proportion est égale à (R0-1)/R0. Il aurait donc fallu attendre que les deux-tiers de la population aient été contaminés pour atteindre le seuil de l’immunité collective. Avec 67 millions d’habitants et une mortalité de 0,6% dans la population contaminée, cela correspond à 268.000 morts. Cette stratégie est difficilement envisageable.

Aujourd’hui, la population est immunisée soit parce qu’elle a eu la Covid-19, soit parce qu’elle a été vaccinée. Au premier mars, 17% de la population française a eu la Covid-19, il faut donc en avoir vacciné 50% pour atteindre l’immunité collective si R0 vaut 3. Mais le variant britannique change la donne. S’il est 50 % plus contagieux, donc avec un R0 de 4,5, il faut que 78 % de la population soit immunisée pour atteindre le seuil de l’immunité collective. Nous vaccinons trop lentement et le virus circule plus vite que nous ne vaccinons.

Les autorités ont-elles tiré les enseignements de la crise pour agir contre l’épidémie ?

Clairement pas. La stratégie de dépistage n’est toujours pas adaptée. Une étude récente estime que 59 % des contaminations viennent de porteurs du virus asymptomatiques soit parce qu’ils n’ont pas encore de symptômes (35%) soit parce qu’ils n’en auront jamais (24%). Comme ces derniers ne sont pas recherchés systématiquement, on ne les trouve qu’incidemment ; la plupart ne sont pas testés, donc pas isolés, et c’est ainsi que le virus circule.

Par ailleurs, la plupart des personnes contaminées ne sont pas contagieuses longtemps, la détection doit donc être rapide. Une personne est contagieuse de 4 jours avant les symptômes jusqu’à 5 jours après les symptômes. Pour contrôler l’épidémie, il faut tester et isoler très vite les porteurs de virus, symptomatiques et asymptomatiques.

© Catherine Hill
© Catherine Hill

Actuellement, en France, les délais sont trop longs : le délai moyen entre la date de début des symptômes et la date de prélèvement était de 1,9 jour chez les nouveaux cas confirmés pour lesquels la date de début des symptômes était disponible, selon les données du point épidémiologique hebdomadaire du 18 mars. Et le délai médian entre le test et le rendu de son résultat est de 1 jour. Donc on évite peu les infections.

© Catherine Hill
© Catherine Hill

Donc on en revient toujours à ce que vous dites depuis le début de l’épidémie : il faut tester massivement…

Oui, il faut tester massivement la population française, car le virus est aujourd’hui partout. Et c’est possible en utilisant en même temps les tests PCR groupés (On vous explique la méthode ici) sur les prélèvements salivaires, et une recherche du virus dans les eaux usées. Les prélèvements salivaires pour les tests PCR sont une vraie avancée car les prélèvements sont beaucoup plus acceptables, ne nécessitent pas de personnel qualifié, et la sensibilité du test PCR est à peine inférieure à celle du test sur prélèvement nasopharyngé. Le dépistage par les eaux usées n’est toujours pas utilisé de façon organisée à l’échelon national.

On nous rabâche que « L'avenir de l'épidémie à court terme est en grande partie entre les mains des citoyens ». C’est une erreur majeure : l’avenir de l’épidémie est surtout dans les mains des autorités.

Et la Haute Autorité de Santé (HAS) commet des erreurs. En septembre 2020, elle ne recommandait les tests salivaires PCR que pour les personnes symptomatiques. Il a fallu attendre décembre, pour qu’elle publie le rapport qui expliquait cette position. Nous avons refait l’étude en montrant que les prélèvements salivaires étaient quasiment aussi sensibles que les prélèvements nasopharyngés pour les tests PCR. Il a fallu deux mois et demi à la HAS pour l’admettre. L’extension de l’utilisation de ces tests à la population asymptomatique (donc à toute la population) a été publié le 11 février 2021. Que de temps perdu !

Il est clair que nous ne trouvons qu’une petite partie des cas de Covid. Le rapport du conseil scientifique de début mars estime que 17 % de la population a été infectée, soit 11 millions de personnes. Un chiffre à comparer aux 3,8 millions de cas confirmés. Le nombre de cas est donc sous-estimé d’un facteur 3. On peut parler de fiasco de la politique de tests : la recherche des contacts et TousAntiCovid sont très peu efficaces. On a cherché trop peu et trop tard. La circulation du virus échappe donc largement à cette surveillance. Un peu moins d’un cas sur trois est un contact d’un cas connu dans la semaine du 8 au 14 mars 2021. On nous rabâche que « L'avenir de l'épidémie à court terme est en grande partie entre les mains des citoyens ». C’est une erreur majeure : l’avenir de l’épidémie est surtout dans les mains des autorités. Il faut organiser le dépistage de masse par tests PCR groupés sur prélèvement salivaire pour trouver rapidement les personnes contagieuses et les isoler.

La situation va-t-elle s’arranger à partir de la mi-avril, comme nous le promet l’exécutif?

C’est prendre ses désirs pour des réalités...

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