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par Antoine Champagne - kitetoa

Les médecins arnaqués sur le dos des handicapés

Ils sont sommés par des boites loufoques d'adapter l'accès à leurs cabinets

Quelques centaines d'euros pour se mettre en règle ? Les médecins plongent. Ils reçoivent un petit bout de papier qui ne les met à l'abri de rien.

Ad'AP - Ministère de la transition écologique et solidaire - Copie d'écran - CC

Cela part d’une bonne intention : depuis décembre 2015, les médecins, comme tous les professionnels recevant du public, doivent pouvoir accueillir des personnes en situation de handicap.

Évidemment, dans les grandes villes, les cabinets médicaux sont souvent en étage, dans des immeubles d’habitation, où rien n’est prévu en matière d'accessibilité. Le législateur en a tenu compte et les établissements ayant des difficultés à réaliser des travaux immédiatement devaient soumettre à l’administration, avant le 1er janvier 2018, un agenda de mise aux normes. Effet de bord non prévu par le législateur, une tripotée d’entreprises farfelues ont vu le jour et démarchent encore aujourd’hui agressivement les médecins, disent-elles, pour leur éviter les pires calamités… Moyennant quelques centaines d’euros.

Ces entreprises, dont la plupart ne déposent pas leurs comptes, ont entamé un démarchage systématique des médecins. Elles envoient des courriers aux allures de document officiel les enjoignant à leur payer une somme de plusieurs centaines d’euros pour échapper aux sanctions qu’elles prennent bien soin de souligner en gras. Le démarchage est également effectué par téléphone de manière réitérée. Craignant de supposées amendes allant, selon les courriers, jusqu’à 225.000 euros, de nombreux médecins ont payé pour un diagnostic fantôme.

Une généraliste raconte à Reflets qu’après un premier courrier rappelant en gras les sanctions auxquelles elle s’exposait, elle a reçu un coup de fil : « entre deux rendez-vous, on vous annonce que vous risquez 45.000 euros d’amende ou plus… J’ai payé en donnant mon numéro de carte bancaire au téléphone. Ils me proposaient de régulariser ma situation rapidement, je n’ai pas réfléchi ». La SARL « Groupe GMI », l’entreprise lilloise à qui elle a payé 690 euros, est enregistrée comme une société réalisant du « commerce de gros de parfumerie et de produits de beauté »… La médecin a gagné une belle facture à en-tête. Rien de plus.

Facture du Groupe GMI, spécialisé dans la distributions de produits de beauté - © Reflets - Citation requise
Facture du Groupe GMI, spécialisé dans la distributions de produits de beauté - © Reflets - Citation requise

La DGCCRF, la CNIL, la Fédération des médecins de France, le Conseil de l’Ordre sont prévenus. Le Ministère de la transition écologique et solidaire a même jugé utile de publier sur son site un long document mettant en garde contre ces sociétés (notamment AGFAC et AD’AP contre qui des procédures sont ouvertes), mais la petite affaire juteuse continue. Il faut dire que si l’on considère qu’il y a environ 100.000 médecins dans le privé en France, le pactole final, à raison de 600 euros de diagnostic burlesque, on atteint un potentiel de 60 millions d’euros à répartir entre les gagnantes : ces sociétés qui démarchent les praticiens. Et encore, c'est sans compter tous les commerçants à qui le même genre de choses doit être proposé...

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