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Édito
par drapher

Les libertés en 2018 en France

Qui aurait imaginé tout ça il y a quelques années ?

Les lois liberticides s’empilent dans une indifférence quasi générale, de façon graduelle et étalée dans le  temps. Toute la difficulté pour le citoyen français face à ces reculs démocratiques silencieux, réside dans une capacité à agir, se comporter et faire du sens dans une société radicalement différente de celle d’il y a quelques années. Synthèse des restrictions des libertés en France en 2018.

Gérard Collomb, un sacré numéro ! Le ministre de l'intérieur, le 12 septembre 2017, à l'Assemblée nationale, évoquait "la sortie de l'état de droit" au lieu de "la sortie de l'état d'urgence". Un très beau lapsus qui mérite d'être salué pour son honnêteté.

Qui aurait imaginé en 1993, après le dévoilement du scandale des écoutes de l’Elysée — où l’on découvrait que François Mitterrand avait fait écouter les communications téléphoniques de plusieurs célébrités pendant des années —que ce serait la population entière qui verrait ses communications potentiellement espionnées par les services de renseignement ou de police ?

Le respect du droit à la vie privée par l’Etat est pourtant inscrit dans la déclaration des droits de l’homme de 1948 et a été introduit dans la loi française en 1970. 

Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant, pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés.

Cette liste de limitations pour empêcher l’Etat français de peser sur la vie privée et les libertés individuelles semble aujourd’hui bien lointaine. Petite synthèse de l’annulation ou de la restriction des libertés en 2018, qui — bien que tout à fait soumise à controverse ou contestation idéologique par ceux qui défendent certaines de ces mesures — n’en représente pas moins une réalité de société, avec ses règles et contraintes tout à fait nouvelles, comparées à quelques décennies — ou moins — en arrière :

Liberté de circuler : Si rien ne vous empêche de circuler, le contrôle par l’Etat de vos déplacements est lui, de plus en plus important. Les douanes volantes ou les contrôles aux péages d’autoroute se sont généralisés et les forces de police vous obligent à indiquer votre provenance et votre destination. L’Etat cherche à connaître vos déplacements et laisse à la discrétion de ses agents la possibilité de vous immobiliser en fonction de vos réponses, de votre comportement. Les caméras aux péages scannent vos plaques d’immatriculation. La généralisation des radars fixes automatiques ou mobiles (désormais sous-traités par des entreprises privées sur les routes) impose à chaque citoyen une vigilance de tous les instants afin d’éviter les nombreux pièges de changements de limitations de vitesse plus ou moins logiques et plus ou moins adaptés à la sécurité routière. La liberté de circuler de chacun peut être rapidement limitée par une perte de points de permis de conduire menant au retrait de ce dernier. Les récentes lois sur l’interdiction de circulation de véhicules anciens, de vignettes pollution pour certaines villes viennent restreindre encore la liberté de circuler, mais cette fois-ci d’une partie seulement de la population : la plus en difficulté puisque n’ayant pas les moyens de se payer des véhicules récents ou de changer son véhicule ancien. Il est intéressant de noter que des recherches ont démontré que les morts sur la route sont avant tout un problème socio-économique et n'est absolument pas limité à la seule vitesse sur les routes.

Liberté de la propriété privée : Jusqu’à l’état d’urgence de 2015 et son inscription dans la loi courante en 2017, le coffre d’un véhicule était équivalent à un domicile : il constituait une propriété privée dont seul le mandat d’un juge pouvait permettre l’ouverture. Désormais, votre véhicule et son coffre ne sont plus une propriété privée, les forces de l’ordre peuvent à loisir les ouvrir et les fouiller. Tout comme votre domicile peut-être visité, « sonorisé » à votre insu si l’administration d’Etat estime que c’est nécessaire. Votre domicile n’est plus protégé contre l’immixtion de l’Etat et les juges (indépendants) ne sont plus là pour autoriser ou interdire ces procédures au préalable. Les fonctionnaires d’Etat font donc ce que bon leur semble, sans autorisation d’une autorité indépendante en amont de leurs actions. La propriété privée ne protège plus le citoyen face à l’Etat en 2018. Qui aurait pu imaginer cela il y a seulement 10 ans ?

Liberté dans les lieux publics : L’interdiction de fumer dans les lieux publics, (et désormais de vapoter) offre à l’Etat la possibilité de récupérer des recettes dans les deux sens : dans la vente de tabac et dans les amendes à l’encontre des fumeurs. La liberté d’acheter et de consommer du tabac est donc toujours là, mais les conditions pour cette consommation sont limitées. Qui aurait imaginé il y a 15 ans qu’il serait définitivement interdit de fumer dans les cafés vendant des cigarettes (ou non), les discothèques ? Cette interdiction de 2006 va de pair avec les réglementations sur les nuisances sonores pour les cafés concerts, obligeant à des investissements tels, que nombreux sont ceux qui ont mis la clef sous la porte. La liberté de faire jouer des musiciens en soirée avec un public (qui fume) — liberté issue de l’entre deux guerres — a été limitée par Nicolas Sarkozy sous prétexte de satisfaire son électorat le plus âgé. 

Liberté de s’informer, de communiquer sur Internet : Désormais avec les différentes lois anti-terrorisme, la surveillance des communications sur Internet permet à l’administration d’Etat d’arrêter un internaute sur la simple présomption de "volonté d’actes terroristes ». Le surf Internet d’un individu, sa liberté de s’informer, d’échanger sur le réseau sont soumises à un potentiel contrôle, une possible surveillance autorisant l’Etat à intervenir et le priver de liberté sur une présomption d’acte futur. Qui aurait imaginé il y a 10 ans qu’aller visiter des sites extrémistes sur Internet pourrait permettre à des forces de police de défoncer la porte de votre domicile ? Utiliser le chiffrement des communications est désormais une circonstance aggravante et peut de plus attirer l’attention des services de surveillance d’Etat. Protéger la confidentialité de ses communications est devenu pour l’Etat un acte potentiellement délinquant.

Liberté de payer l’impôt : Si les citoyens les plus fortunés ou les entreprises  les plus importantes peuvent continuer à jouer avec les optimisations et l’évasion fiscale afin d’échapper ou de réduire leur contribution à payer leurs impôts, ce n’est plus le cas de la majorité des citoyens : le système déclaratif personnel de chaque contribuable — pourtant appliqué pendant des décennies — a été remplacé par l’automatisation déclarative des employeurs. La liberté de payer l’impôt ou non (et de risquer les foudres de l’administration ou pas) a été en partie abolie. Les citoyens n’ont plus de choix. L’impôt prélevé à la source permettra d’annuler même la liberté individuelle de déclarer ses revenus. 

Liberté d’expression : La liberté de parole s’est amplifiée par le biais des réseaux sociaux et l’État entend réguler une partie de celle-ci. Ainsi, des arrestations et passage au tribunal en urgence avec peines de prison ont eu lieu en 2015 après l’attaque meurtrière de Charlie Hebdo et de l’hypercasher pour des twittos ayant exprimé ne pas « être Charlie » ou défendant les frères Koulibali avec le hashtag #JeSuisKoulibali. Une loi contre les Fake News est en cours d'élaboration qui correspond en réalité à une loi contre les rumeurs, les canulards et les mensonges : la satire, les publications humoristiques risquent de se voir pénalisées puisque l'Etat estime que la population n'est pas en mesure de discriminer ce qui est de l'ordre du vrai et du faux et entend le faire à sa place. Qui aurait pu envisager il y a 10 ans qu'une loi sur les rumeurs de café de commerce sur Internet serait discutée au plus haut sommet de l'Etat ?

Liberté de la presse : La presse ne subit pas directement une censure d'Etat et aucune loi n'est encore venue lui dicter ce qu'elle peut ou non publier. Mais pour autant, la liberté de la presse est de plus en plus limitée en France par un phénomène que l'Etat laisse s'opérer : la concentration de la presse entre les mains de grands capitaines d'industrie, tous proches des pouvoirs en place de par leur position économique majeure, voire directement liée à l'Etat (vente d'armes sous contrat avec l'Etat). Malgré les grandes déclarations d'indépendance des journalistes travaillant dans ces groupes de presse, il est évident que l'auto-censure joue beaucoup, tout comme les pressions. RSF a d'ailleurs classé la France en 39ème position sur 180 en 2017 : derrière le Ghana ou le Chili.

Liberté de travailler et de protection contre le chômage : La déclaration universelle des doits de l'homme de 1948, signée par la France, stipule dans son article 23 que "Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.". Les gouvernements successifs depuis des années tentent de réduire les droits des chômeurs en durcissant leurs obligations afin de pouvoir les radier plus facilement. Forcer les chômeurs à accepter des offres d'emploi, même celles ne correspondant pas à leurs attentes est une réduction de liberté. La loi travail sous la présidence de François Hollande et les ordonnances d'Emmanuel Macron facilitant les licenciements et réduisant les doits des salariés sont elles aussi des réductions de libertés en contradiction avec la déclaration des droits de l'homme.

Cette liste non exhaustive de réduction ou d'annulation des libertés en France en 2018, souligne donc des oppositions et entraves à la déclaration des droits de l'homme. Et celle-ci stipule dans son dernier article, l'article 30 la chose suivante :

Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant, pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés.

Peut-être est-il temps que la France déclare ne plus être signatrice de cette déclaration ?

Ce serait en tout cas plus honnête et plus clair.

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