Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par shaman

Les hackerspaces jettent l'ancre aux Universités d'Interhack

Immersion dans quatre jours d'échange, de discussion et de bidouille organisés par une coordination de hackerspaces français.

Du 23 au 26 février se tenaient les « Université des Quatre Saisons » d'Interhack au BIB à Montpellier pour une édition d'hiver dans une version à remise à jour. Des rencontres qui furent l'occasion pour les participants de partager des savoirs, d'échanger sur les relations entre technologie et politique et de penser organisation.

Un hackerspace, lieu ouvert au public destiné au partage, à la bidouille et aux réflexions

Depuis début octobre, l'idée tourne sur le réseau. Le BIB, hackerspace de Montpellier, devrait accueillir les « Universités d'Hiver de Interhack ». Depuis la dernière édition du THSF en 2019, les hackerspaces français n'avaient pas eu l'occasion de se rencontrer. D'abord à cause de la pandémie de covid en 2020 puis, suite à la fermeture administrative, début 2021 de Mix'Arts Myrys, un lieu alternatif emblématique de Toulouse qui accueillait l'évènement. Une friche artistique de 6.000 m2 où le Tetalab, hackerspace toulousain, avait établi ses quartiers. Avec le retour aux commandes de Jean-Luc Moudenc, maire UMP historique, la mairie avait rechigné à mettre la main au portefeuille pour la nécessaire remise aux normes du bâtiment. Et la fermeture était tombée, tuant tout l'écosystème alternatif qui s'épanouissait sur les lieux.

D'une maling-list interhack informelle en passant par des discussions lors d'évènements de l'été, l'idée émerge de relancer les « Universités des Quatres Saisons », anciennement organisées par le Tetalab. À Montpellier, le BIB a posé son ancre dans les sous-sols de la coopérative culturelle de la Tendresse. La relation symbiotique avec le lieu ouvre une possibilité pour accueillir l'évènement. La date du 23 au 26 février est arrêtée, des canaux de discussions sont ouverts et des réunions organisées à intervalles irréguliers. Au BIB, un grand chantier électrique de remise aux normes de l'électricité est lancé. Les sous-sols qui accueillent le hackerspace n'en sont pas à leur première vie. Ils ont hébergé, pendant 10 ans, le “Bouche à oreille”, un lieu musical alternatif qui a fait tourner la scène électronique montpelliéraine. Dans leur nouvelle vie, ils hébergent le BIB et son laboratoire de bio-hacking « La base », ses projets de studio musical et de salle informatique. Les premiers arrivants du mercredi soir trouvent l'équipe en train de fixer les derniers bugs électriques avec quelques nuits blanches, déjà, au compteur.

Alors qu'une revue finale du système électrique est en cours, installation des dernières lumières pour que le BIB brille de tous ses feux.
Alors qu'une revue finale du système électrique est en cours, installation des dernières lumières pour que le BIB brille de tous ses feux.

Dans la salle de conférence de la Tendresse, l'installation sonore et vidéo se met en place
Dans la salle de conférence de la Tendresse, l'installation sonore et vidéo se met en place

Point organisation pendant l'évènement. Appels à inscription de bénévoles mais dans l'ensemble les retours sont plutôt bon.
Point organisation pendant l'évènement. Appels à inscription de bénévoles mais dans l'ensemble les retours sont plutôt bon.

Jeudi matin, un dernier coup de ménage matinal pour effacer les dernières traces du chantier et les universités démarrent en temps et en heure. Le timing est serré avec un programme varié qui doit s'étaler sur quatre jours. La grande table centrale du BIB est le centre des ateliers qui se déroulent dans le hackerspace. Le premier jour, on débute par « Fabrication d'un émetteur radio DIY » ou « Blender : Dessine toi un mouton », en référence au logiciel 3D libre.

L'installation son et vidéo est mise à profit et tout le monde suit avec attention en installant sur son ordinateur la suite de logiciel conseillée. En fin d'après midi, « Fondu Imagesque », « Lutherie Électronique DIY ». Puis le lendemain « [La chaine de traitement audio sous Linux] » et « Initiation à la musique algorithmique ». Les intervenants guident les apprenants dans des alternatives techniques basées sur l'open source. Entre les ateliers, on s'attarde, les familiers du sujet échangeant entre eux sur les meilleures astuces ou briefant un ou deux débutants n'ont pas fini de boucler leur travaux.

Autour de la table centrale gravitent d'autres points où se rassemblent les participants. Dans le salon, plus intimiste et fourni en canapés, on parle d'« Initiation à la ligne de commande » ou de « Dégoogeliser ton smartphone ». On revient pour approfondir un sujet du jour précédant ou présenter un atelier de dernière minute sur le tableau de « Spontanéité obligatoire ». À l'opposé trône L'« Etabli électronique » avec ses fauteuils hauts et sa vue imprenable sur ce qui se passe sur la table centrale. Il s'y bricolent des cartes Arduino et on y discute de projets artistiques DIY. L'atelier sérigraphie se tient dans l'« Espace Impression », un peu plus loin. Sur la gauche, des pollens sont mis sous microscope dans l'« Espace de microbiologie ». Et ainsi, quatre jours durant, le hackerspace, lieu dédié au partage et à la bidouille voit son pouls s'accélérer tandis que les ateliers techniques s'égrènent, jonglant avec les dimensions politiques et artistiques de la technologie.

Des participants parfois un peu perdus face au jargon technique et à l'amoncellements de composants
Des participants parfois un peu perdus face au jargon technique et à l'amoncellements de composants

Le traditionnel atelier de crochetage avec le petit dernier « FlippyZero » de sortie (le boitier orange à droite)
Le traditionnel atelier de crochetage avec le petit dernier « FlippyZero » de sortie (le boitier orange à droite)

Les bidouilleries scientifiques ne sont pas oubliées. Levures de Kombucha et contraception masculine au programme.
Les bidouilleries scientifiques ne sont pas oubliées. Levures de Kombucha et contraception masculine au programme.

Pour assister aux conférences, on sort des sous-sols et on passe par l'espace extérieur de la Tendresse. L'occasion de croiser les fumeurs, d'échanger et de faire du lien. Les tables de jardins accueillent, suivant les heures, adeptes de l'apéro sirotant une bière locale ou conférencier affamé se rassasiant de soupe au pistou fabriquée dans la cantine auto-gérée. L'évènement est auto-financé, entièrement à prix libre et légèrement bénéficiaire, une fois les derniers comptes effectués. Les réflexes militants se mettent naturellement en oeuvre et font tourner le poids de l'organisation.

On entre dans la salle de conférence en passant entre le bar sur la droite et la cuisine sur la gauche. L'espace est ouvert. Aux heures de repas, les tables sont déployées et une queue se forme pour le service. En journée, chaises et tables sont réagencées suivant les nécessités de l'intervention. Pour les conférences, le grand rideau noir est tiré pour plus d'intimité tandis que le grand écran et la scène sont mis à contribution.

Impression d'affiches pour « La tenaille », un festival féministe des savoirs faire techniques
Impression d'affiches pour « La tenaille », un festival féministe des savoirs faire techniques

Un atelier frite peut être mis en place au moment de l'apéro, ou un atelier pizza au moment du repas.
Un atelier frite peut être mis en place au moment de l'apéro, ou un atelier pizza au moment du repas.

La première après-midi, le ton est donné par le premier atelier de travail très suivi : « Comment rendre les hackerspace plus inclusif ? ». Une thématique mise en avant par divers regroupements au sein des hackerspace, à l'image du « BIB transféministe », se regroupant ponctuellement au BIB en mixité choisie de genre. Des thématiques qui traverseront l'évènement à l'image de ces autres conférences de l'après-midi : « Régime de genre et évolution biologique : comment le patriarcat s'inscrit dans le corps » puis de « Clip en queer : subvertir le mal gaze ». Une connection entre milieux hacker et milieux queer à placer dans la dynamique d'ouverture et d'inclusivité des hackerspace, de réappropriation des savoirs technique pour « hacker le patriarcat ». Des liens à mettre également en parallèle avec l'omniprésence de têtes médiatique « queer » dans la vague de cyberattaques contre l'internet de d'ultra-droite étasunienne début 2021.

Les conférences s'enchainent, variées, à l'image des intervenants avec en filigrane la question du rapport entre la technologie et le sociétal. À 12h15, on explore la subtilité des réseaux à Madagascar, plus tard dans l'après midi, on s'interroge sur le comparse de ChatGPT avec « IA Générative : panorama, histoire, enjeu, prospective ». ILOTH vient discuter de l'intérêt d'un opérateur internet local et associatif avec « Villageois·es d'internet, reprenons le contrôle de nos routes ! » et le lendemain, on fait un panorama des techniques qui permettent de mesurer le climat du passé.

Un point sur la vidéosurveillance en général et à Montpellier par « Technopolice Montpellier » et « La Quadrature du Net »
Un point sur la vidéosurveillance en général et à Montpellier par « Technopolice Montpellier » et « La Quadrature du Net »

Les résultats de l'atelier inclusivité seront repris, plus tard,  pour être synthétisés.
Les résultats de l'atelier inclusivité seront repris, plus tard, pour être synthétisés.

Conférence sur la représentation du corps dans les clips queer et sur les codes de la culture BDSM
Conférence sur la représentation du corps dans les clips queer et sur les codes de la culture BDSM

Les conférences touchant aux thématiques d'organisation non hiérarchiques surgissent en fin des universités, comme un prélude aux discussions du dimanche. D'abord « Communisme cybernétique, Quel sera le rôle de la technique dans l'organisation d'une société post-capitaliste », puis plus tard « Infrastructures numériques collectives ». Lorsque qu'avec quelques heures de retard, les participants s'assemblent en cercle, nombreux, pour la réunion finale « Interhack, vers l'infini et l'au-delà », ces thématiques sont sur toutes les lèvres. Rapidement, les hackerspaces se comptent et le futur est abordé.

La question de perpétuer ces universités itinérantes amène celle des lieux où les accueillir. Les groupes échangent sur leurs expériences passées en termes d'accès au public, leur rôle pour faciliter l'accès à la technologie pour tout un chacun. Les possibilités qu'apportent l'insertion dans le tissu associatif et lieux alternatifs est évoquée, hier avec Mix'Arts et le Tetalab, aujourd'hui entre BIB et Tendresse ou encore l'A.E.R.I et le Fuzz parisien. La pertinence de Interhack comme une coordination de hackerspaces est discutée puis la création d'une coordination Interhack trans-féministe évoquée, ces outils permettant d'additionner les efforts en vue d'étendre l'accès au public sous d'autres formes. De façon éphémère sur certains évènements et autres opportunités militantes, ou de façon plus durable en fournissant des ressources pour assister la création d'autres hackerspaces. Les discussions s'étiolent sur le rappel des outils de communication et réapparaissent en petits groupes autour du bar. Certaines équipes avaient déjà mis les voiles, mais le constat général de réussite de l'évènement vaut toute décision. L'envie était au rendez-vous et la coordination inter-groupe a fonctionnée, faisant vivre pour quelques jours ces principes d'auto-gestion, d'organisation horizontales et d'ouverture permettant l'appropriation de l'évènement et de l'espace par les participant.e.s.

Préparation à trois mains du concert du cloture dans les entrailles du BIB, le jeudi soir.
Préparation à trois mains du concert du cloture dans les entrailles du BIB, le jeudi soir.

Première partie assurée par les participants de l'atelier "musique algorithmique" qui live-codent le concert à huit
Première partie assurée par les participants de l'atelier "musique algorithmique" qui live-codent le concert à huit

Bidouilleries visuelles et sonores du samedi soir.
Bidouilleries visuelles et sonores du samedi soir.

Chaque matin de ces universités se réunissait un atelier d'écriture « Fiction spéculative THX » où \@balou, \@how, \@mare, \@phonia, \@yann avec \@caroline, @cécile, @félicien, \@flo2mars, \@issa, \@martin, @røslav ont co-écrit un texte reflétant la manière dont ils ont vécu Interhack. Dans l'esprit du « hack », le texte est écrit sous forme d'expérimentation, en écriture neutre non-binaire d'Alpheratz, un système développé par Alpheratz, « doctoranx et chargæ d'enseignement en linguistique, sémiotique et communication à Sorbonne Université ». Suite, donc, de cette promenade dans les Université d'Hiver d'Interhack, du point de vue des celles.eux qui l'ont vécu :  

Varicap à l’InterHack

Jamais soudæ, mais pas très neu·f·ve pour autant. Plaçæ deux trois fois sur des breadboards pour casser la croûte, résonner avec d’autres. Ça a plutôt bien marché, mais là, y’a l’envie d’être un peu fixæ, faire corps, pouvoir clarifier les ondes, les démêler pour que les résistances puissent continuer. J’ai aussi hâte d’être dessoudæ, recyclæ, homogénéisæ. J’ai envie de partir plus tard et que ça soit important.

En chemin vers l’Impasse de Flouch, quartier de la Tendresse ? Qu’est-ce que c’est que cette adresse ? La joliesse des noms de banlieue est souvent proportionnelle à la déchirure de leur peau : réseau dont les liens s’étiolent comme cette voie rapide que je longe et traverse plusieurs fois dans l’absence de trottoir pour atteindre le hackerspace .

Je ne me souvenais pas de cette langue de vide vert entre le bitume et le BIB !? L’espace d’un fossé, brouillé par ses bordures ; invisible à l’Ailleurs !

La porte noire, droit devant. D’autres sont rentræs ; il y a, quoi, un moi , deux moi , peut-être trois. Ma main vire et pousse, les gonds grincent et l’air vibre. Je trébuche sur une voix et tombe face aux éclats de miroir brisés cimentés au mur. « T’es nouveau ? … Elle… Euh : nouvelle ? C’est ta première fois ? » C’est un écho vide, je suis déjà passæ, et ça fait lointemps que nous serons là. Une volée de marches et je suis dans la « fosse » ! Lumière vague et musique forte. La densité d’âmes brouille l’écoute de mes pensées propres. Tout en remplissant les yeux de regards, de sourire en sourire, je commence à les/le/la chercher…

Soudain, j’entends un dialogue ou plutôt ses débris. « T’as vu quelque part un varicap ? – Non, mais il doit pas… » leurs voix s’estompent avec leurs ombres. De quoi ils parlent ? J’en sais rien. Très étranges, je veux les intégrer mais, au préalable, je n’y comprends rien. Peut-être que j’aurai des éclaircissements plus tard, quand il y aura moins d’« entre-soi ». La qualité d’osmose abandonnée à elle-même, je fluais vers un destin brumeux dont mon inconscience était la clé secrète. Je me débrouillerais pour agencer les besoins en quelque chose d’audible. Comment réfléchir au milieu de tout ce bruit ? Est-ce que je suis læ bienvenux dans ce lieu ? « Varicap ? » Qu’est-ce que c’est que ce bidule ? Vas ! Ris ! Cap’ ? Variation captive… Mais, mais, est-ce qu’ils parlent de moi ? L’aiguilleur des ondes ? Læ tombaire des fréquences ? Çu qui redonne sa voix al chantaire ?

Perdux dans cette vapeur de pensée, je ne vois pas le mouvement de foule. Cette queue pour les toilettes est intermin… Aïe ! J’étais des Composanz, me voilà décomposæ.

Aujourd’hui, au BIB, avec les copaines, on fait chauffer l’étain sur les fers à souder. L’atelier radio a ramené du monde : on s’affaire déjà sur les émetteurs FM, pendant que les autres finissent les branchements élec, debout sur les tables, ou leurs assiettes de risotto ; d’autres encore font la récolte des champignons horsmornes . Dans le labo les levures bullent. Ça bourdonne dans le réseau minéral de sources.

Un léger craquement se fait entendre et surgit dans les regards soudain inquiets. La pièce maîtresse pour ajuster la fréquence de l’émetteur git en miettes sur le béton du lab : notre unique varicap vient d’être recyclé. Stupeur. Avec tous le soin qu’on voulait mettre, ç’aurait sûrement marché. Rien à faire, zéro Farraday. Varicap a fini là sous nos yeux, a fini essentiæl à l’émetteur mais sous forme de souvenir, de « désolæ » aussi. Nous ferons sans. On essaiera de læ reconstruire, læ reconstituer : on risquerait nos corps pour boucher les trous et les erreurs. La pression de ce qui bouge est presque irrésistible, intolérable aussi, dans son in-con-tournabilité. Autour, ça continue à danser aussi, beaucoup n’ont pas captæ. Assiz on se questionne, comment leur dire ? Comment leur faire entendre ? Où crier notre colère sans tout bâcler ? Reboire des bières, et l’émetteur marche. Bref, fallait faire sans. D’ailleurs, sans lui ou sans elle ? Iel n’a pas dit et on n’a pas demandé.

Bipbip bip bibip bip bipbip. bip. bibibip. biiiip. bipbip. bip. bibibip. biiiib. bibbib. bib. bibibib. BIB.

Au matin le soleil était là. Sans nous connaître, nous nous connaissons.

Le sommeil semble avoir quitté tous les corps et la nuit s’enfuit de s’être trop prolongée. Une journée studieuse se profile sous les ombres. Studieuse et sereine en réponse à la douceur continue des lieux. Le temps lent, cette douceur dans le calme du matin, déroule les sourires sur des visages ensoleillés, à la Tendresse. Les oiseaux peuvent chuchoter.

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