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Dossier
par Jacques Duplessy

Les Gilets Jaunes tiennent leur 4ème assemblée nationale

Ambiance studieuse à Montpellier

Réunis dans un ancien musée squatté pour l'occasion, les Gilets Jaunes qui sont "toujours là", planchent sur l'avenir du mouvement pendant tout le week-end. Compte rendu.

Manifestation parisienne (2 février 2019) - © Reflets

Plus de 450 Gilets Jaunes venus de toutes la France tiennent la 4ème Assemblée des assemblée ce week-end. Pendant trois jours, ils vont échanger sur l’avenir du mouvement, les prochaines étapes de la mobilisation et les revendications. Le lieu de la rencontre avait été tenu longtemps confidentiel. C’est finalement un squat, la Soucoupe, l’ancien musée de l’agriculture à Montpellier, qui abritera le rassemblement. « C’est un lieu suffisamment spacieux pour permettre le travail en plénière et aussi en petit groupe, tout en ayant un bon espace pour la restauration et la détente », se réjouit un des organisateurs.

Carte des GJ présents - © Reflets
Carte des GJ présents - © Reflets

Gael s’occupe de l’hébergement. « C’était un défi d’accueillir tout ce monde. Nous avons réussi à loger 150 personnes chez d’autres Gilets Jaunes du coin, 50 vont dormir dans un espace transformé en dortoir et autant sous tente dans un terrain pas loin. Les autres se débrouillent. » Elle a rejoint le mouvement dès le début. Cette chargée de gestion financière au CNRS n’avait jamais milité dans un syndicat ou un parti politique. « J’ai senti qu’il se passait quelque chose, j’ai trouvé là un lieu de combat avec des actions concrètes, qui n’est récupéré par personne. J’avais envie d’agir car je vois que la situation de beaucoup se dégrade. Il y a de nombreux retraités pauvres, les lois pour l’indemnisation du chômage et pour les minima sociaux se durcissent, il y a de plus en plus de temps partiels subis. C’est le cas de mon fils qui a 29 ans, il est en CDI à temps partiel chez Mac Do. Les jeunes n’arrivent plus à s’installer, à avoir des projets de vie. Je ne veux plus voir le fossé se creuser entre les gens. »

Accueil des GJ - © Reflets
Accueil des GJ - © Reflets

Baptiste arrive de Funnel dans le Lot-et-Garonne avec Chantal et Georges. Tous trois se sont connus sur un rond-point. « Avant je râlais devant ma télé ou au repas de famille. Je ne m’étais jamais engagé syndicalement ou politiquement. J’avais besoin d’exprimer ma colère contre le mode de fonctionnement du monde, l’individualisme, la compétition, l’injustice. Je ne me reconnais plus dans cette société de consommation. » Pizzaiolo depuis 30 ans, ce Français d’origine portugaise pensait repartir au Portugal. « J’ai acheté une maison à retaper là-bas, et puis le mouvement des Gilets Jaunes est arrivé. Je m’y suis engagé dès le 17 novembre 2018 et ça m’a redonné espoir. Alors j’ai changé mes plans. Je veux que ce mouvement entre dans l’Histoire. Il y a encore des batailles à mener, on en gagne, on en perd… Mais je veux arriver à construire une vraie démocratie. Je suis favorable à des assemblée citoyenne, à une forme de référendum d’initiative citoyenne (RIC). C’est à travailler. »

Discussions et interviews se succèdent - © Reflets
Discussions et interviews se succèdent - © Reflets

Chantal, aide soignante retraitée, acquiesce. « Sur le rond-point, j’ai découvert des gens qui partagent la même colère. Ca a été aussi une expérience de solidarité. J’étais très engagée syndicalement à a CGT et politiquement au NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste). J’ai mis du temps à m’intégrer. Il a fallu que j’enlève le gilet rouge pour passer au jaune. La cohabitation avec des militants Front National a été difficile. Beaucoup sont partis, d’autres ont évolué dans leurs positions. » Georges, employé communal, attend beaucoup de cette assemblée. « Il faut se mettre en ordre de bataille pour combattre un système qui déraille de plus en plus. Il faut commencer à taxer en haut avant de taxer les petits. »

Salle plénière - © Reflets
Salle plénière - © Reflets

13h45 : Tout le monde se dirige vers la plénière ou sont précisées les modalités de déroulement des débat à venir. Auparavant les groupes locaux ont été amenés à se positionner sur cinq questions :

1/ Votre assemblée locale accepte-t-elle la diversité des modes d’action sans les opposer (blocages, manifestations déclarées ou non, désobéissance civile, lobbying citoyen, municipalisme, insurrection…) ?

2/ L’ADA peut-elle s’organiser avec un autre niveau d’assemblée que celui des assemblées locales (par exemple régionales, départementales etc) ? Pour rappel l’ADA ne reconnaît actuellement pas de niveau supérieur à l’assemblée locale.

3/ L’ADA doit-elle rester un évènement ponctuel de quelques jours ou doit-elle s’organiser pour assurer une continuité tout au long de l’année (communication, outils, actions, travaux… ) ?

4/ L’ADA peut-elle impulser des actions communes avec les autres mouvements sociaux et écologiques ?

5/ L’ADA peut-elle contribuer à des initiatives de transformation démocratique (par exemple : RIC, ateliers constituants, commission des lois, article 35, justice pour les blessés…) ?

Ouverture de la plénière - © Reflets
Ouverture de la plénière - © Reflets

L’assemblée travaillera également des thématiques.

Deux thématiques ont été remontées de manière significative : l’appel à la grève générale du 5 Décembre et la question de l’international, en particulier au vu du contexte actuel de soulèvements populaires dans plusieurs pays.

Les organisateurs ont proposé les pistes de réflexion suivantes :

  • Préparation de la grève reconductible du 5 décembre et de ses suites.

Contrairement à d’autres dates de mobilisation et de grève à l’appel des syndicats, la grève du 5 novembre peut devenir le premier pas vers un blocage généralisé du pays. Doit-on participer à cette initiative ? Comment la préparer? Comment fonctionner avec les syndicats et les secteurs en lutte ? Doit-on reprendre les points de blocage de l’économie tels que le pétrole, les moyens de transport, les routes où les nœuds logistiques principaux (port, plateformes multimodales…) ?

  • Quelle articulation entre le mouvement des gilet jaune en France et les mouvements de révolte populaire au quatre coins du monde ?

Il serait inutile d’essayer de faire le bilan de tous les mouvements de révolte populaire qui aujourd’hui font trembler la terre jusqu’à son centre. Des régimes liberticides corrompus et antisociaux tombent. Certains font des concessions, d’autre utilisent la répression sanglante. Parfois ces mouvements de résistance se retrouvent entre les feux croisés des puissances militaires et c’est la guerre pure et simple qui vient briser les rêves de liberté. Quel est le rôle d’un mouvement comme les Gilets Jaunes au sein d’un pays riche ( riche du pillage des pays pauvres) dans ces processus de révolte à l’échelle internationale ?

Débats - © Reflets
Débats - © Reflets

  • Identifier nos adversaires et nos alliés.

Lors de la dernière assemblée des assemblées il a été établi que le mouvement des gilets jaunes entendait sortir du capitalisme. Nous proposons maintenant de nous pencher sur la question du comment. Il s’agirait ici de réfléchir collectivement à la désignation de nos adversaires dans la vie pratique, afin de se rappeler que nous sommes tous et toutes ensemble contre les personnes ou les intérêts qui nuisent à notre vie (par les questions du pouvoir d’achat, de la santé, de l’écologie, de l’éducation, etc.). Les discussions peuvent aborder les moyens d’actions qui nuiraient directement à nos adversaires. Mais nous n’avons pas que des adversaires, alors il s’agit aussi d’identifier qui sont les acteurs sociaux, médiatiques, écologiques, qui tentent comme nous de changer le système, d’améliorer nos conditions de vie et de déterminer comment interagir avec eux. Comment gérer nos actions avec des acteurs (associations, médias, syndicats…) qui utiliseraient des moyens légalistes et en contact étroit avec les forces de l’ordre ? Comment construire la société de demain avec eux ?

  • Comment agir dans le contexte des élections municipales ?

Bien que ce thème puisse mener à des débats de type « il faut voter/ou pas », nous pensons qu’il peut permettre de retranscrire beaucoup d’idées qui ont (eu) leur popularité comme le RIC, le municipalisme et le rapport aux institutions de la 5ème république en général. Une manière de traiter ce thème pourrait être de déterminer comment utiliser cette échéance politique pour amener ces sujets vers une réappropriation de l’espace public. Comment fait-on pour s’approprier l’enjeu politique et le pouvoir démocratique au sein de la population par des biais non institutionnels ?

Les Gilets Jaunes à la conquête des cœurs et des esprits

La bataille de la communication

Comment mieux se faire connaître de la population et fédérer ? Les Gilets Jaunes réunis pour la 4ème assemblée nationale à Montpellier se sont attaqués à cette question cruciale pour l’avenir de leur mouvement.

Les participants à ce groupe thématique font rapidement connaissance. Il sont environ 130, répartis en petit groupes de dix, puis en trois groupes d’une quarantaine de participants pour favoriser les échanges. Mikel est venu avec une petite délégation de Bayonne. « On est malheureusement les seuls du pays Basque. Il y a eu malheureusement des tensions entre les groupes sur ce qu’il fallait ou pas faire lors du G7 de Biarritz. Il y a plusieurs groupes dans la région mais ils sont assez éclatés. »

A Mâcon, deux groupes de Gilets Jaunes apparus spontanément se sont unifiés. « Notre problème est que le mairie ne nous prête plus de salle depuis la fin du grand débat, explique Marie-Laure, une infirmière toute jeune retraitée. On fait une réunion tous les mercredi. On accueille encore des nouveaux. Le premier mai, on a réussi à faire une manifestation commune avec les syndicats. On rejoint parfois les groupes de Dijon ou de Villefranche pour des actions communes comme à la barrière de péage. On vient de réinvestir un rond-point, mais on n’organise pas de manifestation le samedi. Ici, ça ne sert à rien. Alors on va discuter sur les zones commerciales ou sur les marchés. Ma question, c’est comment faire pour que les gens n’aient pas peur ? Je sens que la colère couve. Avec les nouvelles réformes, ça va bouger. »

« Les reformes du système de retraite et de l’indemnisation des chômeurs fournissent une bonne occasion d’amplifier le mouvement, à condition que les gens comprennent bien ce qui se passe. On doit se former pour être incollable sur les réformes. », dit un participant.

« La mobilisation a baissé, constate un autre. Au début certains se sont engagés à fond, ont risqué leur boulot, leur vie de famille. Et ils se sont épuisés. Et puis, il y a eu des divisions parfois, la dilution des revendications, la répression policière qui a engendré la peur. Tout ça a attaqué la motivation. » Un troisième acquiesce : « On a une bataille à gagner autour de revendications, il faut voir le but, ne pas le perdre de vue. Sinon on va mourir et ce système va continuer. » Une femme déclare : « Il faut ouvrir le mouvement, accueillir avec bienveillance, faire des alliances avec les autres luttes. » Une personne l’interrompt : « Mais il faudrait aussi qu’on puisse dialoguer davantage entre les groupes pour dialoguer avec la population, Il faut qu’on se dote de moyens de communication. »

Gilet Jaune ADA4 - © Reflets
Gilet Jaune ADA4 - © Reflets

Ludovic arrive de Dijon. « Un des problèmes que l’on rencontre, c’est la différence de connaissances. A la base du mouvement, il y a beaucoup d’émotion et pas assez de réflexion. Certains disent : « nous, on n’est pas comme eux ». On devrait d’abord faire d’abord l’effort d’écouter ceux qui sont dans l’émotion et puis progressivement aller vers la réflexion, sans juger. Pour ça, on a besoin de se partager des outils. » « Nous devons encourager la convergences des luttes, propose Marthe Hélène, de Montpellier. Nous sommes allés soutenir les luttes locales, à l’hôpital par exemple, même si eux ne sont pas là le samedi pour le moment. Ce n’est pas perdu de faire ça. Nous devons nous associer à la grève générale du 5 décembre. Sans arrière pensée, sans chercher à être en tête de cortège. Ce n’est pas ça l’important. » Chaque semaine, le groupe édite un petit journal de 8 pages « Nous sommes Gilets Jaunes » pour expliquer le mouvement et mobiliser.

Journal Gilets Jaunes - © Reflets
Journal Gilets Jaunes - © Reflets

Théo, venu du Gard, propose de revenir aux revendications du début : hausse du pouvoir d’achat, comment on la finance et le référendum d’initiative citoyenne. Un autre évoque l’installation d’un stand pour encourager la signature contre la privatisation d’aéroport de Paris. « C’est l’occasion de discuter de bien d’autres choses, de parler de nos revendication, de la casse sociale en cours. »

Après cet échange dans un climat apaisé en petit groupe de dix personnes, vient le temps d’échange en grand groupe. L’objectif est de pointer ce qui fait consensus et les désaccords.

Des points d’accord se dégagent :

  • occuper l’espace public : manifestation, occupation de lieux, tractage, journaux, caravane mobile, éducation populaire, aller à la rencontre devant les Pole Emploi, les agences d’intérim. « Il faut expliquer tout ce qu’on est en train de perdre comme droits fondamentaux », commente un participant. Une autre ajoute : « Les municipales sont une bonne occasion de participer aux débats. »

  • créer des espaces de rencontre avec la population « Les cabanes sur les ronds points font peur à certains, déclare un participant. Et elles sont moins nombreuses suite aux destructions. Il font qu’on trouve des lieux qui rassurent pour que des personnes osent nous rencontrer. On doit pouvoir demander des salles aux municipalités ou faire des cafés citoyens, soit avoir un lieu « maison du peuple »

  • amplifier la mobilisation autour de la date anniversaire des un an du mouvement et de la grève générale du 5 décembre

  • développer les convergences avec les luttes et les mobilisations locales. « Nous devons créer de vrais liens de proximité avec les syndicalistes locaux et départementaux, même si les centrales nationales ne nous soutiennent pas », dit une participante.

  • axer le discours sur les préoccupations concrètes des personnes : le pouvoir d’achat et les conditions de vie « Il s’agit d’agir pour et non contre ».

  • continuer à développer les expériences de solidarité et de fraternité. Plusieurs témoignent d’action en direction des Sans domicile fixe.

  • faire connaître des textes qui peuvent faire réfléchir, comme « Indignez vous » de Stéphane Hessel.

La question des relations avec les médias divisent. Certains voudraient des relations fluides, d’autre parlent de « faire pression sur les médias locaux et nationaux pour rendre plus visible les revendications », de « fournir des articles clefs-en-main ». Ces débats traduisent parfois une mauvaise connaissance du fonctionnement des rédactions des médias.

D’autres points ne font pas consensus, comme la participation de Gilets Jaunes dans les listes aux élections municipales ou la création d’association loi 1901 Gilets Jaunes. « Il ne faut pas s’opposer entre nous, opposer les manières de faire, déclare une participante. Il faut vraiment tenir compte des contextes locaux qui peuvent être très différents. »

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