« Les États démocrates s'étaient préparés mais sont pris de court par l’ampleur de l’assaut »
Interview d'Anne Deysine, professeur des universités, juriste et américaniste
Les recours juridiques contre les décrets présidentiels se multiplient. À la manoeuvre, les États démocrates et les syndicats. In fine, tout va reposer sur la cour suprême à majorité conservatrice. Entretien avec Anne Deysine, professeur émérite spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis.
Reflets : Vous dites que les états sont puissants et que les pouvoirs qui ne sont pas délégués au niveau fédéral leur reviennent. Il semble y avoir de nombreux contentieux lancés ou en passe de l’être, quels sont ceux qui ont une chance d’aboutir, dans quel domaine ?
Anne Deysine : Oui dans le système de séparation des pouvoirs, les états sont législateurs de droit commun et le pouvoir fédéral ne jouit que ce que on appelle les pouvoirs énumérés. Et les états sont bénéficiaires des transferts fédéraux. La plupart des ministres de la justice d’États dirigés par les démocrates s’étaient préparés à une éventuelle deuxième présidence Trump. Et ils avaient étudié de fond en comble le projet 2025 de la fondation Héritage. Ils n’ont donc pas été pris de court si ce n’est par l’ampleur de l’assaut ni par le rôle central de Elon Musk.
D’où la multitude d’actions en justice avec une spécialisation, les états laissant la question des limogeages par exemple plutôt aux syndicats de la fonction publique.
Eux se sont attaqués au gel des dépenses, alors que ces sommes ont été votées par le Congrès et que la présidence n’a pas le pouvoir de décider de ne pas les dépenser. C’est sur ce fondement que les états ont attaqué le gel des transferts financiers.
Celui qui a le plus de chance d’aboutir est le décret qui a voulu abolir le droit du sol, qui figure dans le 14e amendement à la constitution. Or on ne peut pas réformer la constitution par décret, il faut un amendement qui nécessite des majorités qualifiée au stade de l’adoption et de la ratification. Mais les juristes pourront jouer sur la formulation du texte et il faudra voir si la Cour suprême, au prix de sa légitimité, décide de valider l’interprétation spécieuse présentée par l’administration Trump.
Quelle est la marge de manœuvre des fonctionnaires dont vous dites qu’ils jouissent de garanties et peuvent se défendre en justice ?
Sur le papier, des fonctionnaires jouissent des garanties de la fonction publique et ils ne peuvent être limogés si facilement . En l’occurrence ces limogeages massifs sont en violation de la loi mais Donald Trump et Elon Musk n’en ont cure. À la limite, ils veulent tester la résistance du système et la réaction des juridictions fédérales qui ont été saisies par les syndicats de fonctionnaires.
Ces actions possibles sont-elles à même d’infléchir la politique de Donald Trump et d’atténuer les effets des acteurs du DOGE ?
Sur les dossiers essentiels touchant la constitution comme le droit du sol et l’interdiction de bloquer les fonds fédéraux, les équipes de Trump devront sans doute revoir leur copie mais tout dépend de la décision de la cour suprême. Sur les autres dossiers ils sont déterminés à foncer, à créer la sidération et il faut admettre qu’ils ont bien réussi. Le moment de vérité va arriver quand les conséquences pratiques des limogeages massifs des contrôleurs aériens comme des contrôleurs nucléaires (ils sont revenus en arrière sur ce dossier dangereux) seront ressenties dans l’opinion. Et là peut-être Trump se souviendra-t-il qu’il y a des élections de mi-mandat en 2026.
Anne Deysine est professeur des universités, auteur de Les juges contre l’Amérique, la capture de la cour suprême par la droite radicale, aux presses universitaires de Nanterre.