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par Antoine Champagne - kitetoa

Les dîners de Leroy, Soyer et Chalençon : une histoire de séparatisme

Ce n'est pas tant une affaire de classes qu'une question d'éthique

Pendant que la majeure partie de la société est privée de bars ou de restaurants, certains s'affranchissent des règles. Une forme de séparatisme, un mot à la mode en Macronie. Que nous disent ces dîners et déjeuners clandestins ?

Post Linkedin de Michel Soyer

Il est tentant de tirer à boulets rouges sur « les riches » qui s'affranchissent des règles communes. Ou, plus largement sur « les privilégiés », une sorte de caste mêlant personnes fortunées, journalistes, politiques, qui, comme sous l'Ancien régime, bénéficieraient de passe-droits. Que l'on ressorte les guillotines ! « Mangez les riches », ce slogan que l'on a vu sur les murs parisiens, atterrit sur les réseaux sociaux. Il y a du vrai dans tout cela. Mais il n'y a pas que cela.

Bien entendu, les Leroy, Soyer et Chalençon, leurs invités journalistes, politiques, fortunés et consorts, à des repas clandestins organisés au Leroy's business club et au Palais Vivienne ont provoqué un légitime émoi.

Ces révélation de M6, Reflets, Mediapart, ont particulièrement choqué dans le contexte actuel. La qualité des participants (monde de la culture, journalistes, politiques, jetset...) met en lumière, une partie de la population, à part, pour qui les règles communes s'appliquent... aux autres. Surtout qu'au même moment, des soignants exténués prennent en charge plus de 5.700 malades du Covid en soins critiques.

Le malaise au sein de BFMTV est révélateur. Le 5 avril, une journaliste termine son intervention pas un laconique L'affaire est close. Il n'en sera rien. Lance-t-elle cette phrase pour conjurer le sort ? Mystère. Le Canard Enchaîné avait épinglé la chaîne en expliquant que son directeur général, Marc-Olivier Fogiel et quelques journalistes vedettes déjeunaient régulièrement dans un (autre) restaurant clandestin. Altice, le groupe propriétaire de la chaîne a d'ailleurs fait virer un journaliste de Capital, le mensuel, qui avait consacré un article à l'affaire, comme le rappelait Daniel Schneidermann dans une de ses chroniques. Cette nouvelle affaire concerne cette fois un journaliste vedette de la chaîne : Ulysse Gosset.

Bruce Toussaint, autre vedette de BFMTV, aurait pu participer à un repas à Deauville. Une enquête est ouverte.

Et quand notre journaliste, invité pour parler de notre enquête lance en direct : « Vous aviez Ulysse Gosset dans les deux lieux, il faut lui demander ce qui se passait », le malaise est palpable.

Certains journalistes épinglés sont de ceux qui répètent à longueur de journée qu'il faut respecter les gestes barrières.

La dichotomie du discours frappe.

Même double-discours chez les politiques avec cette fameuse tirade de Franck Louvrier à propos d'une rave party en Bretagne : « ces jeunes rebelles insultent les personnels soignants ». Le même Franck Louvrier qui selon Mediapart était présent dans les fameux repas du Palais Vivienne... Ce jeune rebelle... Faites ce que je dis, pas ce que je fais.

Vite une loi contre ce « séparatisme », le vrai !

C'est le nouveau mot à la mode de la Macronie : le « séparatisme ». Une très belle maskirovka qui vise surtout, dans l'esprit de Gérald Darmanin ou de Marlène Schiappa, nos concitoyens musulmans. Parler de séparatisme évite de parler de gestion désastreuse d'une pandémie, de ministres et autres proches de la Macronie mis en cause dans une liste sans fin d'affaires toutes plus glauques les unes que les autres.

Ces dîners clandestins sont, au delà d'une histoire de « classes », une affaire de séparatisme. C'est l'expression même de cette tranche de la population, croissante, qui estime que les règles communes, sont pour les autres. Dans leur esprit, il est possible de s'affranchir de ce qui fait société. Le fait d'accepter des règles communes qui empiètent sur notre liberté individuelle, un contrat social, faire ensemble, co-construire. Est-ce que l'on veut faire société ou que chacun fasse comme il le souhaite ? J'ai faim, donc je te donne un coup de gourdin sur la tête et je te vole la cuisse de dinosaure que tu viens de chasser ? Retour au monde des cavernes...

Tout le monde attend que l'on joue collectif en période pandémie mais quelques uns continuent de faire ce que bon leur semble.

Dans cette affaire, il ne s'agit même pas de savoir si ces repas clandestins sont légaux ou pas. Faut-il même encombrer les tribunaux avec ces histoires ? Il s'agit surtout de réfléchir sur ce que nous voulons construire comme société. Un modèle basé sur la solidarité ou sur une somme d'individualités et la loi du plus fort.

Au fond, il n'y a pas une grande différence entre Leroy, Soyer, Chalençon et leurs amis et notre voisin au Lidl du coin qui, parfaitement en mesure de comprendre que le zizi, c'est dans le slip, fait mine de ne pas comprendre que le nez, c'est dans le masque, après un an de pandémie. Pas plus qu'avec le cycliste qui passe au feu rouge à fond la caisse, simplement parce qu'il est en vélo. Pas plus qu'avec celui qui fonce à 80 km/h avec son gros SUV en ville parce qu'il aime ça... C'est surtout une question d'éthique. Quelles sont les règles morales que chacun s'impose, notamment, parce qu'il vit en société ? Est-ce que je fais autant attention aux autres qu'à moi-même ?

Dans tous les cas, le mouvement des Gilets jaunes, dans une forme ou dans une autre, a de l'avenir. Comme nous l'écrivions il y a quelques jours, l’impuissance face à l’arbitraire et à la bêtise provoque des révolutions.

Mais les révolutions sont toujours porteuses d'un avenir incertain.

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