Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Dossier
par Adèle Hospital

Les bonnes affaires immobilières de Dior dans le 8e arrondissement, à Paris

On ne dit pas merci au patron...

L'ancien propriétaire d’un appartement de l'avenue Montaigne, acheté par Dior, a déposé plainte pour «entrave à la liberté des enchères ». Il dénonce des conditions de vente truquées et de l’intimidation de la part de la marque de luxe.

Un clin d'oeil que doit apprécier le patron de LVMH... - D.R.

Il y a des remous derrière les belles façades de l’avenue Montaigne, dans la capitale. Cédric L., ancien propriétaire d’un appartement du coin acheté aux enchères par Dior, dénonce des conditions de vente truquées et de l’intimidation de la part de la marque de luxe. Il a déposé une plainte pour « entrave à la liberté des enchères » qui a été rejetée. Décision dont il a fait appel, en avril dernier.

L’histoire commence en 2013, lorsque Cédric L. achète un appartement de 64 mètres carrés, au 28 avenue Montaigne. Le logement, situé au premier étage, est en plein cœur du territoire Dior. A droite, une boutique « Dior enfant », à gauche le siège social de la marque et juste en-dessous, une boutique « Dior maison ». En 2014, Cédric L. décide de rendre son bien commercialisable. Pour cela, il achète une compensation au bailleur social Elogie Siemp. En échange de quoi, celui-ci transforme des locaux commerciaux d’une surface équivalente, quelque part dans Paris, en habitations. Le changement d’usage est validé par la mairie.

Cependant, Cédric L. peine à rembourser son prêt immobilier et à régler l’achat de la compensation. En 2017, il se tourne vers Dior pour lui proposer de louer ou acheter l’appartement. C’est là qu’il est contacté par Bernard Squarcini, ancien directeur central du renseignement intérieur, aujourd’hui consultant pour le groupe LVMH dont Dior fait partie. Après avoir annoncé que « la réflexion [était] toujours en cours pour l’achat [du] local » , Squarcini ne donnera finalement pas suite.

Les difficultés financières de Cédric L. continuent. Elogie Siemp à qui il doit plus de 230.000 euros finit par saisir l’appartement. Celui-ci est mis aux enchères le 7 janvier 2021. Or nulle part, ni dans le cahier des conditions de vente, ni dans l’annonce qui décrit le bien mis aux enchères, n’est fait mention de sa qualification en tant que local commercial. Un « détail » qui, pourtant, ferait grimper sa valeur. Le jour J, c’est Dior qui remporte l’enchère pour un montant de 2,5 millions d’euros. Un prix réduit si on en croit l’expertise immobilière, commandée par Cédric L. qui estimait l’appartement à plus de dix millions d’euros.

Dans la salle d’audience, ce jour-là, est présent un autre protagoniste : Charles Hedrich. L’explorateur, plus connu pour ses aventures en haute montagne, a décidé de se reconvertir dans l’immobilier avec son fils. Il a flairé l’affaire louche. Les jours suivants, Hedrich contacte Cédric L. qui l’informe que l’appartement est en fait un local commercial. L’aventurier décide alors de surenchérir. Le code des procédures civiles d'exécution autorise, en effet, à surenchérir dans un délai de dix jours après l’adjudication et pour un montant d’au moins le dixième du prix de vente.

Lorsque Hedrich fait part à Dior de sa volonté de surenchérir, il reçoit, par courrier d’avocat, cette réponse un brin menaçante : «des tentatives [...] pour "faire payer ma cliente un maximum" [...] ont été portées à notre connaissance. Nous avons été mandaté pour déposer plainte contre toutes les personnes impliquées pour escroquerie ou tentative d’escroquerie afin de faire cesser immédiatement ces agissements délictueux». Refroidi par «la violence d’un groupe puissant», selon ses mots, Hedrich renonce à surenchérir.

Mais l’explorateur ne veut pas rester là. Il s’associe avec Cédric L. qui ne décolère pas d’avoir vu son bien bradé. Ils soupçonnent que Dior était au courant de la commercialité du local car la marque est administratrice d’une entreprise copropriétaire du 28 avenue Montaigne. Les deux compères font imprimer, sur de grands panneaux rouges, les mots « Merci Patron ! » ainsi que l’affiche du film de François Ruffin qui porte le même nom. Dans ce documentaire satirique, le journaliste piège Bernard Arnault, grand patron du groupe LVMH. Ces grands panneaux sont ensuite affichés aux fenêtres de l’appartement avenue Montaigne, juste au-dessus de la boutique « Dior maison ». Un pied-de-nez que les deux acolytes s’empressent de partager aux représentants de la marque ainsi qu’à Squarcini, lui-même.

Ni les représentants de Dior ni l’avocat d’Elogie Siemp, responsable de la vente aux enchères, n’ont répondu à nos sollicitations. Cédric L. et Charles Hedrich ont chacun déposé plainte avec constitution de partie civile pour « entrave à la liberté des enchères publiques ». La plainte du premier doit être jugée en appel. De son côté, l’appartement avenue Montaigne ne semble pas occupé. Il dort au sein de l’empire LVMH.

4 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée