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Dossier
par Rédaction

Les 10 passages à ne pas rater dans le rapport de l'IGA

Ou comment l'intérêt de l'administration n'était guère préservé

Il y a quelques pépites dans le rapport de l'IGA. Souvent cachées au sein des pages plutôt que dans les conclusions. Nous en avons relevé une dizaine pour vous.

10 points

Téléchargez le rapport de l'IGA ici

Payer le loyer du CNT : une marge d'au moins 300.000 euros pour Atos

Le Centre national de traitement (CNT) des infractions s'est installé à Rennes. Une occasion pour Atos de s'octroyer une marge confortable. Pourtant l'entreprise était déjà payée par l'Etat pour piloter le projet !

Le rapport mentionne : "Les locaux qui hébergent le CNT à Rennes n'avaient pas jusqu'ici été directement loués" par l'administration "à leur propriétaire, mais par l'intermédiaire d'Atos, qui prélevait au passage une marge non négligeable, la location directe du bâtiment par l'Antai (l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions) ayant permis d'économiser près de 300 000 euros par an. On mesure ici à quel point la passation d'un seul contrat avec une seule société aura eu de néfastes conséquences financières".

Ce n'est qu'en 2012 que cette situation cesse.

Un système dans lequel la concurrence ne pouvait plus jouer

Les responsables interrogés dans le documentaire nous expliquent en long, en large et en travers combien il était indispensable d'avoir un interlocuteur unique en raison de la complexité du projet. Mais l'IGA n'est pas de cet avis.

"La recherche de cohérence et le souhait d'un interlocuteur unique avaient ainsi conduit à mettre en place, plus qu'une solution coordonnée, un dispositif monolithique: un seul marché, ne comportant qu'un seul lot, passé par une seule administration, avec un seul prestataire. Ce monolithisme allait par la suite conduire à ce que les marchés ne cessent, par accrétion, de prendre de l'ampleur et à ce que la concurrence ne puisse plus guère jouer."

"Si les opérations de reprise de l'existant se répètent plusieurs fois au cours du temps, comme cela a été le cas dans la succession des marchés CNT, si l'existant ne cesse, marché après marché, de prendre de l'ampleur et de la complexité, comme cela a été le cas, le sortant finit par disposer sur ses concurrents d'un avantage tel que la mise en concurrence finit par être biaisée."

Des notes trouvées dans des pochettes-surprise ?

Pour attribuer les marchés relatifs aux radars, l'administration attribue des notes aux entreprises qui soumissionnent. Mais dans le rapport de l'IGA, on découvre qu'une même solution technique pouvait recevoir des notes différentes suivant l'entreprise concernée !

"Nombre des « composants techniques» étaient donc à la fois des standards du marché ou de l'Open-source, conformes à l'état de l'art, communs aux différentes offres. Les notes attribuées sur le critère « architecture et composants techniques » aux différentes offres s'échelonnaient néanmoins de 4 (Atos) à 2 (EGIS, Experian). Les notes attribuées sur le critère « sécurité et confidentialité » s'échelonnaient, elles aussi, de 4 (ATOS) à 2 (CAP, EOIS, Experian). Les développements du rapport d'analyse des offres permettent cependant de constater que, là encore, les solutions proposées, reposaient sur des standards du marché et étaient souvent proches. Le même inconvénient était tantôt présenté comme dirimant tantôt comme mineur."

"La sélection des offres a ainsi été opérée sans pouvoir combiner de manière chiffrée aspects financiers et techniques, et quasi-exclusivement sur l'appréciation de la qualité technique des radars."

"Experian et EGIS proposaient le même radar. EGIS recevait néanmoins un point de moins qu'Experian sur le premier item qui ne concernait que les radars".

Des prix timbrés

Même pour l'affranchissement des lettres pour l'envoi des contraventions, Atos était plus cher. Des millions ont apparemment été perdus sur le marché. Et pourtant l'IGA note que l'affranchissement aurait pu donner lieu à un lot spécifique sans que le fonctionnement du système ne soit pénalisé.

Pour le marché dit CNT2, confié à Atos comme les précédents depuis 2003 et le suivant jusqu'en 2016, voici ce que le rapport soulève : "Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoyait ainsi, par exemple, page 70, que « l'affranchissement de l'intégralité des courriers sortant est à la charge du titulaire». Le rapport sur le contrôle sanction automatisé de juillet 2005 de la mission interministérielle avait pourtant souligné que cette disposition, déjà présente dans le marché CNT1, avait eu pour effet de priver l'administration du bénéfice du tarif « grands comptes ». Loin d'en tenir compte le CCTP prévoyait au contraire, page 204, que l'affranchissement des courriers émis par la « chaîne documentaire de la DGCP » serait, lui aussi, désormais «à la charge du titulaire »".

"Pour le poste affranchissement, l'offre d'Experian était, sur la durée du marché, inférieure de 28,6 %, soit 7,2 millions d'euros HT, à celle d'Atos. Experian proposait en effet un tarif de 0,42 centimes d'euro pour l'envoi d'un courrier simple de moins de 20 grammes (ce qui correspond à un ACO) tandis qu'Atos proposait un tarif de 0,54 centimes (ce qui, compte tenu de la durée du marché (4 ans) et des millions de courriers expédiés chaque année par le CNT finissait par représenter plusieurs millions). Sur la prestation EPR -TRC hors affranchissement l'offre d'Atos était 2,6 fois plus élevée que celle d'Experian, ce qui représentait sur la durée du marché et compte tenu des volumes un écart de près de 28 millions d'euros HT. Au total c'est donc plus de 35 millions d'euros HT qui auraient pu être économisés si la partie 2 du lot 1 du marché CNT2 avait été allotie, sans que cela ne (sic) pose la moindre difficulté et n'affecte le moins du monde la cohérence de la chaîne."

Hébergement quatre étoiles

A propos de la mise en place du centre de Rennes, la mission "note que l'écart de prix entre les deux offres était sur ce poste considérable : 75,5 millions HT pour Atos, 18,3 millions HT pour Experian. Atos proposait en effet, alors que ce n'était pas demandé par le CCTP, d'installer le CNT dans de nouveaux locaux dont la construction serait engagée. Experian à la différence de son concurrent, ne proposait pas de nouveaux locaux avant 2010."

Atos favorisé ou commodité d'un interlocuteur unique ?

La mission de l'IGA s'interroge pour savoir si Atos aurait été favorisé. Elle s'étonne de l'écart de prix avec son compétiteur.

"_la structuration du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), ne distinguant pas prestations nouvelles et reprise de l'existant, donnait au sortant, dès le départ, un avantage, technique et financier, sur ses concurrents. La mission n'est pas en mesure de déterminer si ceci a relevé d'une volonté délibérée de favoriser Atos ou d'une commodité (continuer d'avoir un interlocuteur unique).

"L'offre d'Atos aura été retenue bien que près de 60 % plus onéreuse que celle de son compétiteur."

"L'offre d'Atos était donc pour ce qui concerne l'ensemble des matériels, et même en tenant compte de l'armement du centre de secours pour lequel Atos disposait vraisemblablement d'un avantage sur son concurrent, près de 2,7 fois supérieure à celle d'Experian, soit un écart de plus de 60 millions HT."

Un préfet en roue libre

Le préfet Debacq a été directeur de l'agence de de 2006 à octobre 2013. Son comportement a été pour le moins curieux, selon l'IGA. Il finira par démissionner après la révélation qu'il faisait payer ses propres amendes par l'administration.

"M. Debacq, directeur de l'Antai créée en mars 2011, prenait, lors de la préparation du marché CNT3, contre la recommandation explicite de ses collaborateurs, plusieurs décisions qui ne pouvaient qu'avoir pour effet de restreindre la concurrence à laquelle le titulaire sortant serait confronté : appel d'offres ouvert, marché unique, allotissement insuffisant, période de « reprise de l'existant » trop brève pour qu'un nouvel entrant puisse la respecter, non neutralisation du coût de cette reprise, nul pour le sortant mais considérable, compte tenu de l'ampleur prise par le système, pour un nouvel entrant."

"Pour que l'Antai ne devienne pas l'exploitant routinier d'un système en place, M. Debacq, lui cherchait de nouveaux domaines d'interventions. Il prenait des contacts avec l'HADOPl, les douanes chargées du recouvrement de l'écotaxe, les sociétés d'autoroutes, les transporteurs publics. Il commandait à Atos une étude de faisabilité de l'extension du CSA à l'ensemble des amendes forfaitaires, ce qui impliquerait le traitement de sanctions réprimant des infractions sanitaires, environnementales ... Quittant le domaine infractionnel, il nouait un partenariat avec la SNCF pour l'envoi de lettres de rappel à la réglementation des transports ferroviaires. Le ministère de l'intérieur porte ainsi la responsabilité de projets, et de marchés devenus considérables (en incluant l'affranchissement des courriers, CNT3 coûtera probablement plus de 400 millions) qui finissent par ne le concerner qu'incidemment. La mission suggère que le ministère de l'intérieur fixe des limites à l'extension du champ d'action de son établissement public."

Des effets de bord cocasses

En décidant de tout sous-traiter à une entreprise dont une bonne partie des prestations est à des années lumières de son cœur de métier, l'Etat se retrouve dans des situations délirantes.

"« Un des exemples les plus visibles a été la coupure par EDF, à plusieurs reprises, de l'alimentation électrique de radars fixes, à la suite de retards de paiements par Atos des factures dues. Ceci n'aurait pu survenir lors du premier marché, qui avait prévu un paiement d'EDF par les DDE."

Pas de flash pour les excès d'Atos

Même si l'Etat avait voulu surveiller les développements informatiques réalisés par Atos, il n'aurait pas pu le faire. Ce qui laissait à la SSII tout le loisir de développer ce qu'elle voulait pour des prix difficilement évaluables.

Pour l'IGA, le rapport entre les effectifs de l'administration affectés à Rennes et ceux des entreprises privées qui intervenaient sur le site "était beaucoup trop faible pour permettre que l'administration contrôle réellement l'activité de ses prestataires."

"Pour ce qui concerne le centre national de traitement (1ère partie du lot 1) le CCTP prévoyait par exemple, page 63, que «Le titulaire réalise, développe puis teste l'évolution ou l'adaptation avant de la livrer à la DPICA. Le titulaire procède alors à une Vérification d'Aptitude au Bon Fonctionnement (VABF) sur une plate-forme de « qualification », puis à son installation sur la plate-forme de « production »." "Contrairement aux règles de l'art, le CCTP prévoyait donc, pour ce lot 1, que c'était le prestataire qui procédait à la VABF des évolutions et des adaptations qu'il réalisait."

"Le CCTP prévoyait par ailleurs que le titulaire du marché « héberge et exploite le CNT». Le titulaire avait ainsi, en tant qu'exploitant, les moyens de dissimuler les éventuelles interruptions de service régulier que lui posaient les développements applicatifs qu'il réalisait. Il était donc juge et partie."

"Ces dispositions, non conformes à l'état de l'art, qui ne préservaient pas les intérêts de l'administration, étaient reproduites en divers passages du CCTP."

"Le CCTP opérait enfin des distinctions selon la complexité des maintenances évolutives (ce qui avait des incidences financières), mais ne disait rien sur qui jugeait, et comment, de cette complexité."

L'interlocuteur unique pas unique

Tous nos interlocuteurs officiels impliqués dans la mise en place du projet nous l'ont répété à l'envi : il fallait un interlocuteur unique pour un tel marché, ce qui explique qu'Atos s'occupe de tout, de la décoration florale à la restauration au CNT, en passant par le paiement de la location des locaux. Oui, mais non... Le rapport de l'IGA le dit noir sur blanc, cela n'a pas marché.

"« Le choix d'un seul marché, s'il répondait à l'objectif de l'administration de n'avoir (à la différence des marchés des 100) qu'un seul interlocuteur, n'a pas permis d'atteindre ce résultat. Atos n'a pas joué pleinement son rôle de mandataire, le statut de co-traitant de Sagem pouvant d'ailleurs expliquer partiellement ce constat. Dans les faits, [l'administration] doit entretenir des relations avec de nombreux sous-traitants d'Atos pour accélérer le déploiement et résoudre les difficultés constatées.

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