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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Le système se fabrique son plan de sauvetage

Pas le votre et pourtant, tout le monde est content

Sous nos yeux se construit une nouvelle bulle, des nationalisations qui n'en sont pas, un sauvetage des grandes entreprises. Les particuliers en revanche... Ils auront le droit... de financer ces plans...

Faillites en cascades à prévoir...

Tout le monde ne l'avait pas vu venir, ce méta plan de sauvetage du secteur de la finance, lors des deux dernières crises. Mais avec le recul, tout le monde a compris que l'argent gratuit injecté en masse a servi aux financiers pour se sortir de la course vers précipice dans laquelle ils s'étaient engagés. Mieux, par la suite, cela a permis d'engranger bonus exceptionnels et bénéfices sonnants et trébuchants pendant que la bulle créée par cet afflux d'endettement grossissait. Le coronavirus est un élément qui a participé à la correction d'une tendance haussière indue mais celle-ci serait intervenue un jour ou l'autre, les arbres ne montant pas au ciel. Cette fois, c'est presque pire. Ce n'est plus un secteur de l'économie qui est sauvé du gouffre par les États et les banques centrales, c'est toute l'économie. Enfin presque... Les grandes entreprises, déjà endettées au delà du raisonnable après cette période exceptionnelle de taux bas, vont bénéficier de flots d'argent tandis que les petites entreprises vont se partager des miettes et les particuliers... Rien (ou presque). Ce qui revient à dire qu'une économie peut survivre avec la consommation des entreprises et sans la consommation des ménages. Bon courage les amis...

"It is a panicked and reckless legislative response", Sarah Miller, executive director of the American Economic Liberties Project

Aux États-Unis, le Sénat a voté un plan de relance pour les entreprises de 4.500 milliards de dollars (et non pas 500 milliards comme annoncé), le "Exchange Stabilization Fund". Dans le pays où il n'y a pas d'argent pour aider les étudiants surendettés, pas d'argent pour mettre en place une protection sociale digne de ce nom, un système éducatif de qualité gratuit, voici que pleuvent les milliards. Mais pas forcément pour une bonne cause. Le secrétaire du Trésor, Steven Mnuchin, ex de Goldman Sachs, pourra lui-même attribuer des fonds aux (grosses) entreprises sans pratiquement aucun contrôle. Les entreprises de Donald Trump en bénéficieront-elles ? Lui-même ne l'exclut pas. Dans le texte original discuté par les représentants, Mnuchin pouvait même garder secret le nom de ces entreprises bénéficiaires pendant six mois. On se demande bien pourquoi...

Et pourtant, alors que les détails de ces plans sont profondément inquiétants, tout le monde, la presse en premier, se félicite. Les politiques prennent les choses en main, l'économie va être sauvée, les marchés se rassurent... Oui, mais non.

Ce que l'on perd de vue à l'annonce de tous les plans de relance annoncés par les États et les banques centrales, c'est que cet argent est l'argent des contribuables. Ce qui n'a pas déjà été payé en impôts le sera plus tard ou encore, en inflation. Nous allons donc payer le renflouement des entreprises.

Bien entendu, on pourrait se satisfaire en se disant que les entreprises qui ne feront pas faillite conserveront leurs salariés. Et que cela bénéficiera aux contribuables. Mais déjà aux Etats-Unis les entreprises peuvent licencier 10% de leurs salariés. Déjà en France des ordonnances permettent d'augmenter le temps de travail, d'imposer les dates de vacances et autres RTT. L'argent qui sera distribué aux entreprises ira probablement plus dans de l'ingénierie financière qu'aux salariés...

Le système ultra-libéral qui a construit le monde qui s'effondre, un monde où les masques manquent en cas de pandémie, où il n'y a plus assez de lits dans les hôpitaux, celui qui ne conçoit toutes les activités que comme des coûts à réduire, celui-là même qui criait encore hier qu'il fallait moins d'État, est en train de mettre en place, en plein jour, un système communiste inversé. Un système où l'argent de tous ira aux plus riches et aux grandes entreprises. Car les mêmes grandes entreprises qui auront été sauvés avec l'argent public, seront sans aucun doutes les premières à verser des dividendes, à surpayer leurs dirigeants, qui eux-mêmes auront vendu avant le crash et racheté à bon prix des actions de leurs entreprises pendant la chute des cours... Les mêmes dirigeants qui ont poussé leurs entreprises au surendettement (au lieu de préparer des matelas pour l'avenir incertain) afin de racheter leurs propres actions et soutenir les cours, ce qui augmente le variable des dirigeants... Le serpent qui se mord la queue.

Endettement des entreprises - Copie d'écran
Endettement des entreprises - Copie d'écran

Même les croisiéristes et les transporteurs maritimes vont demander à être sauvés... C'est le moment de relire cette superbe enquête publiée par Public Eye et de bien réfléchir à qui l'on distribue des milliards...

Nous entrons dans un monde de nationalisations de Schrödinger. Ce sont des nationalisations, mais qui ne sont pas des nationalisations.

Ceux qui ne seront pas nationalisés façon Schrödinger, ce sont les petits commerces, les particuliers, bref, le coeur de la consommation. Eh oui, celle qui fait vivre les entreprises. La consommation inter-entreprises peut bien fonctionner, s'il n'y a personne au bout pour acheter les biens et les services produits, adieu veaux, vaches, cochons, dividendes et bonus, hausse du PIB (à peu près 55% du PIB tout de même en France, 70% aux USA). A croire que les dirigeants politiques et le système dans son ensemble ont perdu leurs neurones.

Le bombardement d'argent gratuit qui arrive contribue par ailleurs à préparer la crise de demain, d'autant que les taux finiront par remonter, ne serait-ce que pour soulager les bilans des banques centrales qui s'alourdissent dangereusement. Dans une économie encore plus endettée (surtout les entreprises) que celle dans laquelle on est après des années de QE et de taux bas, la remontée sera un choc...

Ce qui se prépare en ce moment, ce qui se construit sous nos yeux est une honte. Et nous n'y pouvons rien, confinés dans nos habitations, pour les plus chanceux d'entre-nous. Demain est un autre jour ou pas. Ou pire...

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