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par Jacques Duplessy

« Le régime des Talibans est chaque jour un peu plus faible »

Entretien avec Ali Maizam Nazary, responsable des relations extérieures du Front de résistance nationale d’Afghanistan

A l'occasion de son passage en France, Reflets a pu participer à une visioconférence avec le porte-parole des insurgés organisée par l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Ali Maizam Nazary fait un tour d'horizon de sa vision de l'Afghanistan sous le joug des Talibans et des perspectives de la résistance dirigée par Ahmad Massoud.

Ali Maisam Nazary, porte-parole du Front de résistance nationale d'Afghanistant, le 14 janvier 2022 - DR

Le Front de résistance nationale est apparu en 2019 après l'ouverture des négociations entre les Etats-Unis et les Talibans. Il est dirigé par Ahmad Massoud, fils du commandant Ahmed Shah Massoud, assassiné le 9 septembre 2001 par Al-Quaïda. Le mouvement est structuré autour de divers comités, en particulier le comité Militaire, le comité Politique, le comité aux Relations internationales – dirigée par Ali Maizam Nazary – ou encore les comités pour les Femmes, la Jeunesse, les Arts ou le Sport.

Quelle est l'évolution de la situation depuis l'arrivée des Talibans au pouvoir ?

Ali Maizam Nazary : Les Talibans ont été incapables de mettre en place un État. Les institutions ne fonctionnent pas, des commandants locaux ont le pouvoir. C'est une sorte d'anarchie qui règne. On constate aussi une augmentation des activités criminelles comme le trafic de drogue ou la traite d'êtres humains. La vente de femmes et d'enfants est aujourd'hui bien documentée.

Au départ, les Talibans ont lancé le djihad contre des forces étrangères présentes dans le pays. Mais cette période est finie. Désormais ils ont une responsabilité : prendre soin de la population. Et ils en sont incapables. Ils répètent que Dieu va fournir ce dont les gens ont besoin... Il y a un manque de leadership de leurs responsables.

Dans les faits, nous déplorons une grave crise humanitaire. Mais la racine de cette crise est que des groupes terroristes ont pris le pouvoir. La plupart des ONG ont quitté le pays. Il y a des discriminations dans la distribution de l'aide humanitaire. Les produits essentiels sont distribués seulement là où les Talibans le veulent.

Les Talibans sont-ils unis ?

Non, ils sont divisés en plusieurs tendances. Il y a des oppositions verbales mais il y a eu des exécutions entre factions. Ils y a eu des combats entre Talibans d'ethnie ouzbek contre ceux originaire du sud du pays. Les talibans d'origine tadjik cherchent une indépendance. Ce pouvoir perd le contrôle du pays et le régime est chaque jour un peu plus faible. Ils n'ont pas le soutien de la majorité des Afghans. On assiste à une compétition interne pour prendre le pouvoir. Les Talibans tiennent en opprimant la population.

Qu'en est-il de la présence d'Al-Qaïda dans le pays ?

Contrairement à leurs promesse, le groupe terroriste est bien présent dans le pays. Un gouverneur d'une province nommé par les Talibans vient même d'Al-Qaïda ! Le mouvement dispose désormais d'un nouveau sanctuaire pour préparer des attentats.

Quelle est la situation du Front de résistance nationale d’Afghanistan ?

Ahmad Massoud est l'un des seuls à être resté pour combattre et défendre la démocratie. On était seuls. On manque de moyens. On a changé de tactique. On a dû se retirer dans une vallée au fond du Panshir. Nous avons aussi des poches de résistance dans plusieurs provinces du pays. D'anciens membres de l'armée nationale viennent nous rejoindre et renforcer nos effectifs. Ils n'ont pas d'autres choix que de nous rejoindre ou de quitter le pays car les Talibans les recherchent pour s'en prendre à eux. Donc la résistance grandit. Nous ne vous dirons pas le nombre de combattants. Mais vous savez, dans les montagnes, le nombre de soldats importe peu. Les soviétiques ont été battus par un nombre de résistants assez faible.

Au-delà de la résistance armée, nous faisons tout pour renforcer la résistance de la société civile dans le pays.

Comment se situent les pays voisins vis-à-vis des Talibans ?

C'est le Tadjikistan qui a la position la plus claire et la plus dure vis-à-vis es Talibans. Il travaille pour soutenir la résistance au plan régional et international. Nous avons avec eux une amitié ancienne depuis les années 90. Nous partageons une stratégie commune de lutte contre le terrorisme international.

L'Iran encourage une alliance entre la résistance et les « bons Talibans ». C'est inacceptable pour nous. Mais ils commencent à se rendre dompte que les Talibans sont les mêmes qu'il y a 25 ans.

La position russe est en train d'évoluer. Dans un premier temps Moscou a voulu croire à ces « nouveaux Talibans » et a même été jusqu’à recevoir une de leur délégation à Moscou. Toutefois, les Russes réalisent que les Talibans entretiennent le terrorisme et sont un problème pour leur sécurité. Ce changement de regard sur la situation devrait se voir bientôt.

La Chine fait, elle, le pari d'une stabilisation de l’Afghanistan par les Talibans. La Chine espère un passage direct de ses productions au travers de l’Iran en direction du Moyen-Orient, de l’Europe, de l’Afrique et de l’Occident. Cette nouvelle route de le soie (Belt and Road Initiative – BRI) passe par l'Afghanistan. De notre point de vue, c'est une erreur stratégique car les Talibans ne seront jamais un facteur stabilisant et ne pourront se maintenir au pouvoir. La Chine est aussi très intéressée par les matières premières présentent dans le sol de notre pays, comme le cuivre, l’uranium et le lithium et plus généralement les « terres rares », et elle cherche à les exploiter.

Qu'attendez-vous de la France particulièrement ?

Nous demandons à nos amis français d'aider la résistance. Nous avons une relation spéciale avec la France. Une relation qui existe depuis plus de cent ans. Les Afghans se souviennent que la France fut le premier pays européen à reconnaitre l’Afghanistan en 1922. La France a toujours soutenu la démocratie, l’État de droit et le droit des femmes et a toujours été de notre côté dans ce domaine. Votre pays nous a toujours aidé au cours de ces cinquante dernières années, sans jamais rien attendre en retour.

La France a connu une expérience de résistance au nazisme. Nous sommes aujourd'hui confronté à une occupation. Nous croyons que nous pouvons mener cette bataille jusqu'au bout pour chasser les Talibans.

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