Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Le président du bureau vide et le monde du XXIème siècle

Il y a des dizaines de raison qui expliquent le mécontentement des Français à l'encontre du président François Hollande. Les commentateurs, les sondeurs tentent d'ailleurs en permanence de faire la synthèse de ce désenchantement français avec de savantes analyses qui n'expliquent peut-être pas tout.

Il y a des dizaines de raison qui expliquent le mécontentement des Français à l'encontre du président François Hollande. Les commentateurs, les sondeurs tentent d'ailleurs en permanence de faire la synthèse de ce désenchantement français avec de savantes analyses qui n'expliquent peut-être pas tout. L'une des raisons qui n'est pas abordée à propos du désamour des Français à l'égard de François Hollande, est peut-être logée dans un phénomène inconscient mais important, celui d'une sensation de vide. Un vide à plusieurs niveaux.

Mais qui est-il, et que fait-il ?

La Vème République a été taillée sur mesure pour le Général De Gaulle en 1958. Cette République, présidentielle, concentre donc par essence le pouvoir entre les mains d'un homme, le président. Ce qu'il dit, exprime, fait, son attitude — ont une grande influence sur la confiance du pays. Tant auprès des électeurs que des acteurs économiques, sociaux, institutionnels. Et la confiance est devenue une sorte de poumon des démocraties post-industrielles mondialisées.

François Hollande renvoie des sentiments déplaisants au public, dans une large mesure, lors de ses interventions. L'avant dernière en date était télévisuelle, et représente à elle seule la singularité du système politique français et de son chef de l'Etat. Le président énonçait ses vœux pour l'année 2015. Dans un décor vieux de plusieurs siècles, couvert de dorures monarchiques, à l'Elysée, le président de la cinquième économie mondiale a parlé à "son peuple", assis derrière un grand bureau en bois précieux…totalement vide. Impressionnante vacuité du monarque républicain qui n'offre comme image de son travail que celle d'un bureau vide. Pas d'ordinateur, ni dossiers, ni papiers, rien. Un bureau, le même que celui où était assis le Général De Gaulle en 1958. Sans rien dessus.

Théorie de la vacuité

Il y a plusieurs explications possibles à cette incroyable attitude présidentielle en total décalage avec l'époque, les mœurs, et surtout  la réalité de cette moitié de deuxième décennie du XXIème siècle. Soit François Hollande est une marionnette qui n'existe que parce qu'il est obligé d'apparaître et de laisser entendre qu'il travaille (comme un chef d'Etat doit le faire) — mais a oublié d'essayer même de le démontrer — soit François Hollande vit dans un autre siècle. Le précédent. Soit les deux. Mais ce qui reste stupéfiant, et ne peut que créer un malaise, une grogne, de l'agacement, voire de la colère, c'est la parfaite inconscience de cet homme élu par des millions de personnes. Hollande parle comme un homme qui vivrait ailleurs, dans une autre sphère, un autre temps. Il répète, scande des phrases lisses, communiquées par avance et entièrement accolées à des réalités purement statistiques. C'est un jeu que pratique François Hollande — un jeu qui passe par des sondages d'opinion, des informations considérées comme importantes par les spin doctor — un jeu de dupes avec la foule.

Le président français est un mauvais comédien, c'est certain. Il énonce son désir de dynamisme derrière un bureau vide. Il est très difficile de travailler tout en étant dynamique avec un bureau vide. De devoir écouter des conseillers qui passent leurs journées à fouiller l'information pour tenter de faire passer des pilules et faire basculer les sondages ou tenter d'inverser des courbes. Une sorte de management à distance. Un homme qui n'a jamais dépassé l'époque des machines à écrire et du stylo à plume s'essaye à diriger un pays qui a basculé dans l'ère des réseaux informatiques d'information ? Vacuité d'un énarque diplômé en 1980, à l'époque de la télématique, face au fourmillement des espaces numériques ?

Deux heures au micro de France Inter : il baille

Bien entendu, se focaliser sur des détails comportementaux d'un chef d'Etat est réducteur. Mais quand la politique ne fait plus de politique, qu'elle ne fait que remplir du vide avec du vide, que reste-t-il en terme de compréhension, de sens ? Les différentes réformes dont parle François Hollande à chaque fois qu'il intervient dans l'espace médiatique ont toutes été analysées à la loupe et ne parviennent à convaincre personne. Ce ne sont pas des réformes, mais des aménagements techniques que n'importe quel gouvernement technocratique pourrait opérer.

Celui qui se veut leur instigateur, le président, vient donc faire une sorte de service après-vente, ou avant-vente, comme n'importe quel commercial pourrait le faire pour le compte d'une entreprise qui tente de vendre ses produits au plus offrant. François Hollande se pose des questions à lui-même à l'antenne de France Inter, et y répond, exactement comme le faisait Nicolas Sarkozy. La seule nuance est la forme, le plus souvent interrogative, tandis que l'ancien président était un féru de la forme interro-négative. Une rhétorique pratique pour ne pas développer une réponse directement reliée à une question, puisque l'on reformule sa propre interrogation. Le discours du vide dans l'auto-questionnement sur le néant. Au point de bailler très fortement au micro. Il faut dire que tout ça est très fatiguant, à la limite de l'ennui absolu. Pour lui, comme pour les auditeurs.

Simplification : et si on simplifiait Hollande ?

Le président de la simplification — dont l'ennemi était la finance — celui qui une fois président refuse d'appliquer son programme, n'est pas très content qu'on lui rappelle ses renoncements. Il parle du "travailler plus, en travaillant le dimanche", de la "loi de dérégulation d'Emmanuel Macron", des "pactes de baisse des charges sur les entreprises" comme si tous ces aménagements législatifs (normalement propres à la droite) des fonctionnements du XXème siècle allaient faire basculer la société dans le XXIème. Ce qui est le plus étonnant, c'est que l'homme qui travaille derrière un bureau vide sans ordinateur est certainement l'un des derniers à vivre encore au XXème siècle. Et si François Hollande veut simplifier, il serait peut-être intéressant de lui proposer une simplification centrale et incontournable : celle de la constitution et du présidentialisme. Evacuer ce président ou le remettre à une place bien moins centrale, laisser la population participer à la vie démocratique et exprimer de façon plus ouverte ses choix, moderniser tous les appareils d'Etat et remettre les élus à une place qu'ils devraient avoir : celle de simples citoyens qui durant un seul et unique mandat, peuvent être au service de la collectivité.

Le président du grand bureau vide en bois précieux est-il en mesure d'entendre ce types de changements, lui qui se définit encore comme le "président du changement" ? Rien n'est moins certain. A moins que la situation de François Hollande ne finisse par se simplifier de façon dramatique ? C'est quand on est acculé qu'on peut donner le meilleur de soi-même. Oui, mais si l'on est vraiment en charge des affaires. Ce qui reste à démontrer.

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