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par Jacques Duplessy

« Le passage à une retraite par point est une mauvaise réforme »

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT se confie avant la rentrée sociale

Pour le secrétaire général de la CGT, il n'y a eu aucune négociation depuis deux ans et demi. Très critique envers Emmanuel Macron et ses méthodes, il tente un rapprochement avec les mouvements sociaux comme les gilets jaunes ou les grèves pour le climat.

Philippe Martinez en 2017 - Ricani16 - CC BY-SA 4.0

Comment caractériseriez-vous les relations avec le Président Macron ?

Les relations avec Macron depuis son arrivée au pouvoir sont nulles. Il pense que les syndicats ne servent à rien et qu’il n’a besoin de personne pour avoir la température du pays. C’est idéologique. Il a une méconnaissance importante de la société française, il n’a jamais été confronté aux syndicats dans son travail et n’a pas jamais été élu avant d’être Président…

Est-ce qu’il n’y a pas un changement dans le dialogue avec les syndicats à la manière dont le pouvoir les appréhende ? C’est à dire dans leur capacité de mobilisation ?

Je pense que Macron connaît mal le syndicalisme. Pour lui, les syndicats doivent être des relais de communication de sa politique. C’est comme dans les grandes entreprises, on ne négocie plus, on nous explique ce qu’on va faire et on nous demande de relayer ces explications. Il est dans cette logique-là. Ça limite la notion de dialogue social… Donc dès qu’on ne veut pas jouer cette partition, on ne les intéresse pas. Soit l'on est d’accord avec lui, soit l'on ne sert à rien.

La crise des Gilets Jaunes a-t-elle changé les choses dans les relations avec les syndicats ?

Je ne pense pas non plus. Il y a une double responsabilité dans la crise des Gilets Jaunes. Partout où les syndicats ne sont pas là – et c’est dans la majorité des entreprises – les gens ont quand même des problèmes, et ils s’organisent d’une manière ou d’une autre. C’est une autocritique vis-à-vis de nos organisations. A force de répéter sans cesse que les syndicats ne servent à rien, certains le croient.

Au départ, les Gilets Jaunes ont renforcé Macron dans sa perception que les syndicats ne servaient à rien. Mais ça n’a pas pris la tournure qu’il espérait, alors qu’au départ il espérait capter ce mouvement. Mais les revendications ont évolué et sont devenues plus politiques. Par la force des choses, Le 11 décembre au début du grand débat, il a rassemblé les syndicats pour dire : « j’ai changé ». Et puis le 31 décembre, il fait son discours pour dire : « Je ne change rien, je continue ». Comme la colère ne s’atténue pas, il organise son grand débat. Là encore, c’est : « je m’adresse directement aux Français ». Il y a beaucoup de communication autour de la concertation, mais ça ne sert à rien. On écoute, on fait semblant de discuter et puis au final le projet reste le même. Avec Macron, tant qu’on est d’accord avec lui, tout va bien, sinon, ce n’est pas la même musique. La crise des Gilets Jaunes ne l’a pas fait changer de regard sur les corps intermédiaires. Les petites phrases de Macron aux syndicats, ce ne sont pas des maladresses, c’est le fond de sa pensée.

Et vous, n’avez-vous pas eu l’impression de passer à côté du mouvement des Gilets Jaunes ?

Déjà, la plus grande partie des manifestants n’avaient jamais vu un syndicat de leur vie. Quand vous ne connaissez pas quelqu’un, vous ne vous jetez pas dans ses bras. Ensuite, la défiance vis-à-vis des syndicats, elle est entretenue, notamment par le pouvoir. Il y a quand même une rengaine où toutes les formes de représentation des citoyens ou des salariés sont discréditées. Ça arrange bien les politiques. Macron critique notre représentativité. Mais quand on regarde les taux de participation aux élections professionnelles et ceux aux élections politiques, il y a un écart en faveur des élections professionnelles.

Ensuite ce mouvement est né de quelques personnes qui n’étaient pas sur des revendications sociales. Ça a évolué, ensuite. Comme syndicat, notre appréciation sur le mouvement a aussi évolué. On a eu des contacts avec les Gilets Jaunes dans plusieurs endroits. C’est un mouvement complètement hétérogène. Il y a des endroits où la rencontre s’est bien passée, d’autres où c’était plus compliqué. Dans le Pas-de-Calais, par exemple, où le Front National est très implanté. A Montceau-les-Mines par contre, j’ai défilé avec eux et on a bien discuté. On a appris à se connaître. Et puis il y a des adhérents CGT qui sont déçus de leur syndicat. Certains pensent qu’on passe trop de temps avec les patrons et des gens qu’on n’a aucune chance de convaincre, comme les ministres, les préfets, et pas assez avec ceux que l’on représente. Il y a des critiques sur notre façon de faire qu’il faut entendre.

Les médias ont aussi leur part de responsabilité. Ils relayent facilement cette critique des syndicats. Je rêve que BFM, par exemple, fasse 12 heures de direct pour montrer la préparation d’une journée d’action de la CGT. Mais je crois que je vais rêver encore longtemps… Quand c’est la CGT qui fait des merguez, c’est ringard. Quand c’est les Gilets Jaunes qui font un barbecue sur un rond-point, c’est magnifique, c’est des citoyens qui s’organisent.

Comment vous avez vécu le grand débat ?

Il faut reconnaître que Macron et son entourage sont forts en communication. Le grand débat, c’était professeur Macron. Asseyez-vous, posez vos question et ensuite, je tombe la veste, je retrousse les manches et je vous explique. Nous, on ne joue pas à ça. J’ai dit à un ministre, pourquoi n’organisez-vous pas de grands débats dans les entreprises ? Pourtant il y aurait plein de chose à dire sur le travail, la gouvernance des sociétés. C’était un grand show. Et en même temps, je comprends ceux qui y ont participé. C’est valorisant par exemple pour les jeunes qui pouvaient poser leur question au Président. Mais c’était une mise en scène du Président de la République.

Comment voyez-vous la réforme des retraites ?

Le passage à une retraite par point est une mauvaise réforme. Les points ne sont pas justes. Qui va définir le montant du point ? Le jour où Bruxelles va tirer l'oreille au ministre de l'Économie pour lui dire de réduire les dépenses publiques, c'est Bruxelles qui va décider de baisser le point. Il faut garder un système solidaire, le système par répartition.

Mais on peut améliorer le système. Par exemple, il faut prendre en compte les nouveaux travailleurs, je pense à tous ceux qui dépendent de plateformes numériques. Pourquoi ne pas obliger les plateformes numériques à cotiser ? Pourquoi ne pas donner des trimestres aux étudiants qui font des études longues, comme on le faisait pour ceux qui faisaient leur service militaire. Il y a besoin d'améliorer ce système, mais il n'y a pas besoin de tout changer parce que tout changer, c'est favoriser la capitalisation.

Le problème est que les cotisations sociales sont perçues comme des charges. C’est ce que dit le Medef, et aussi le gouvernement. On exonère de cotisations les grandes entreprises pour les bas salaires et on se retrouve avec des problèmes financiers. Aujourd’hui, le problème des retraites n’est pas financier, c’est un problème de cotisations. Les femmes doivent être aussi bien payées que les hommes à travail égal. Là aussi, ça réglerait la question des cotisations. Un salarié sur deux n’arrive pas à l’âge de la retraite, il est au chômage avant, vers 55 ans. Déjà, essayons que ces travailleurs puissent conserver leur emploi jusqu’à 60 ans. Vous voyez des solutions justes, il en existe.

Le gouvernement lance une concertation nationale. Vous y croyez ?

Est-ce que depuis deux ans et demi il y a eu négociation ? Non. Sur aucun sujet. Delevoye a discuté longtemps, plus longtemps que ce qu’il avait prévu. Ça peut donner l’impression d’une co-élaboration. Mais là, le gouvernement va reprendre la main, et je crains qu’on soit dans la même logique que pour les ordonnances ou la réforme de l’assurance chômage. On va aller redire au Premier ministre nos propositions. C’est pourquoi nous lançons plusieurs appels à la mobilisation : le 11 septembre pour dénoncer les mauvaises conditions de travail dans le secteur de la Santé, et plus largement contre la réforme des retraites, la CGT va aussi s’associer aux grèves pour le climat des 20 et 27 septembre. J’en suis persuadé, fin du mois et fin du monde, ça va de pair.

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