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par Antoine Champagne - kitetoa

Le nouveau (ancien) monde

Il y a du Pompidou dans ce Macron

Le storytelling d'Emmanuel Macron est bien rodé. Même si le vernis commence à sérieusement craqueler, le président de la République martèle qu'il représente le nouveau monde, en opposition avec l'ancien, moribond. Vraiment ?

Emmanuel Macron sur Fox News - Copie d'écran - CC

En accordant une interview à la chaîne l'organe de propagande Fox News, le président français a redit en d'autres termes qu'il représentait le nouveau monde, celui qui remplacerait un ancien monde symbolisé par ses prédécesseurs, les hommes et femmes politiques d'avant. "Nous avons une relation très spéciale car nous sommes tous les deux anticonformistes. L’élection du président Trump a été une surprise dans votre pays et la mienne sans doute aussi en France.". Répéter une incongruité n'en fait pas une vérité et le storytelling politique du nouveau monde n'est pas plus discret que celui de l'ancien monde. Et même du très ancien monde. Un monde oublié par la plupart des Français. En tout cas par les jeunes.

A l'heure où l'on reparle de Mai 68, cinquantenaire oblige, il n'est pas idiot de comparer les discours de l'époque De Gaulle/Pompidou et celle du jeune président.

Evoquant les étudiants qui occupent les universités, Emmanuel Macron a convoqué Michel Audiard :

"Ce ne sont pas des étudiants mais ce sont des agitateurs professionnels, les professionnels du désordre, dont parlait Michel Audiard, (qui) doivent comprendre que nous sommes dans un Etat d'ordre".

Le 11 mai 1968, Georges Pompidou, alors premier ministre, s'exprime sur l'ORTF

Et que dit-il sur les étudiants qui occupent les facs ?

Image de Mai 68 - CC
Image de Mai 68 - CC

Surprise :

"J'ai décidé que la Sorbonne serait librement ouverte à partir de lundi... A partir de lundi également, la cour d'appel pourra statuer sur les demandes de libération présentées par les étudiants condamnés... Je demande à tous de rejeter les provocations de quelques agitateurs professionnels".

Un petit air de déjà vu ?

Emmanuel Macron, le représentant du nouveau monde n'hésite pas à encourager "les jeunes". Rendant visite en août 2018 à des jeunes privés de vacances, le Figaro rapporte cet échange :

Tombant la veste, Emmanuel Macron s'est posé en président du volontarisme et d'une France ambitieuse. Comme un entraîneur avant une compétition, il a ainsi encouragé un jeune à ne pas relâcher ses efforts pour aller loin dans sa vie: «T'as rien si tu n'as pas de volonté, si tu ne travailles pas, si tu ne te dépasses pas!»

Ce que n'aurait pas renié Georges Pompidou qui, le 14 mai 1968 portait cette analyse sur la société française et ses jeunes :

"La discipline a en grande partie disparu. L’intrusion de la radio et de la télévision a mis les jeunes dès l’enfance au contact de la vie extérieure. L’évolution des mœurs a transformé les rapports entre parents et enfants comme entre maîtres et élèves. Les progrès de la technique et du niveau de vie ont, pour beaucoup, supprimé le sens de l’effort".

Autre saillie récurrente ces jours-ci, notamment à tort par Gérard Collomb : "l'Etat de droit". Le ministre de l'intérieur a parlé de "rétablissement de l'Etat de droit" en évoquant les bloquages dans les universités :

"Partout nous rétablirons l’État de droit et en particulier dans les facultés, où une minorité empêche les étudiants de passer leurs examens"

L'Etat de droit n'a pas, par magie vaudou, quitté le pays du fait des occupations, comme le rappelait Maître Eolas :

Tweet de Maître Eolas - Copie d'écran - CC
Tweet de Maître Eolas - Copie d'écran - CC

Au delà de la trivialité des propos du ministre de l'Intérieur, il faut remonter cette fois à Valéry Giscard D'estaing. Cet article de Pierre Avril, professeur émérite de droit public à Assas expose l'intrusion dans le discours officiel français de cette expression et toutes les répercussions qu'elle a eues :

"C'est en 1977 que le terme est apparu dans le discours officiel, quand Valéry Giscard d'Estaing présenta comme "le maillon essentiel qui manquait à notre Etat de droit" la révision permettant à soixante députés ou sénateurs de contester une loi devant le Conseil Constitutionnel" (...) L'idéologie de l'Etat de droit ignore cette tension en affirmant la primauté du "gouvernement de droit" sur le "gouvernement des hommes" en tant que principe de légitimité".

Au delà de ces déclarations copiées-collées de l'ancien monde par le nouveau monde, c'est une dialectique habituelle depuis la nuit des temps. Tout ce qui s'oppose légèrement ou durement à l'Etat est immédiatement disqualifié. On s'attaque aux "valeurs de la France", à "la société", à "la liberté d'entreprendre", on devient des "fauteurs de trouble", des "agitateurs"... Bref, des ennemis que l'on ne nomme pas ainsi. Il y a une constance dans l'usage des mots, ancien ou nouveau monde.

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