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Dossier
par shaman

Le logement dans tous ses états

Diaporama d'un marché du logement en plein bouleversement et des questions politiques qui s'ensuivent

Deux visions s'opposent quant au logement. Celle d'un droit humain, lieu essentiel servant de fondement aux autres droits, et celle, d'un produit d'investissement, promesse de beaux taux de rentabilité. Promenade européenne pour observer in-situ comment ces deux visions s'affrontent et tenter de dénouer quelques fils d'une problématique qui nous touche tous, se loger.

En Bretagne, gauchistes et droiteux détournent les panneaux publicitaires immobiliers pour débattre de la crise du logement. - Reflets

Douarnenez, Bretagne

24 août 2022. Le festival du film de Douarnenez bat son plein. L'association de création audiovisuelle et d'éducation populaire « Canal Ti Zef » diffuse en fin de journée son journal du festival. Armé de son micro, l'intervieweur arpente les rues du bourg à la recherche d'un « sur-touriste ». Un des passants ne prend pas le sujet à la légère :« Je vais vous répondre moi parce que ça m'énerve. Je trouve que depuis la campagne de Monsieur Cadic l'ancien maire, qui avait payé très cher l'affiche "Douar Venez", c'est monté en flèche et ça ne cesse d'empirer. [...] Madame Poitevin est contente avec ça, mais les habitants, je ne pense pas. [...] Airbnb, c'est monté en flèche à Douarnenez et ça pèse sur le logement des gens qui vivent ici ». Jocelyne Poitevin, nouvelle maire de Douarnenez, assume la continuité de cette politique : « Il ne faut pas tirer à boulets rouges sur les gens qui ont un peu d'argent. On a besoin du tourisme »

La question du logement est épineuse en Bretagne. Un rapport de l'agence d'urbanisme « Quimper Cornouaille Développement » datant de janvier 2023 souligne une augmentation de 140% des logements saisonniers depuis fin 2019, et même, de 30% dans la région de Cornouaille. La Bretagne est passée devant l'Île-de-France en 2020 avec 7,5 millions de nuitées recensées. S'y ajoute la problématique des résidences secondaires, 17,3% du parc en 2021, en forte augmentation. Depuis la crise COVID et l'essor du télétravail, les habitants des grandes villes envahissent la Bretagne. Le géographe Yves Lebahy témoigne « 53% des arrivants ont plus de 60 ans et 80% vont sur les littoraux où ils déstabilisent le marché immobilier du fait de leur plus fort pouvoir d'achat », ajoutant que le littoral est ainsi devenu « une immense maison de retraite ». Pour Maxime Sorin du collectif « Droit à la ville » de Douarnenez : « Un petit mouvement, dans une ville comme Douarnenez, peut produire de grands effets. Le peu de résidences secondaires et de locations Airbnb qui se sont installées ont suffi à faire basculer la ville dans la crise ». Une crise face à laquelle la société bretonne s'organise.

Les touristes, intrigués, ne manquent pas de vite comprendre que les esprits sont quelques peu échauffés à leur sujet. - Reflets
Les touristes, intrigués, ne manquent pas de vite comprendre que les esprits sont quelques peu échauffés à leur sujet. - Reflets

En 2021, est créé le collectif « Un Ti Da Bep Hini » (« Un logement pour tous ») composé d'une quinzaine d'organisations associatives, politiques ou syndicales. Il met en avant treize revendications dont le classement de la Bretagne en zone tendue permettant l'encadrement des loyers, la régulation des locations touristiques ou encore la création d'un statut de résident breton. Une mobilisation est organisée simultanément dans une quinzaine de villes bretonnes. En septembre dernier, il réitère en appelant à trois manifestations à Douarnenez, Vannes et Concarneau où participeront 1.000 personnes. À Douarnenez, les luttes locales s'organisent autour du collectif « DouarVendez » en référence au slogan « DouarVenez » de l'ancien maire. Le 5 novembre, un rassemblement a lieu contre la vente au groupe bordelais Cir et sa transformation en logement de luxe de l'« Abri du Marin », un lieu social et maritime destiné aux marins breton et existant depuis plus de 100 ans. La manifestation est appuyée par une pétition ayant récolté 30.000 signatures. En février 2023, une première victoire symbolique est emportée avec la taxation des résidences secondaires. Une mesure incomplète et insuffisante selon l'« Union Démocratique Bretonne ».

Lisbonne, Portugal

Après la crise de 2008, l'économie portugaise se trouve sérieusement à genoux. Aux élections de 2011, une coalition de droite prend le pouvoir et négocie avec la Troika un renflouement de l'économie en échange de mesures de libéralisation et d'austérité. Le marché de l'immobilier est largement ouvert aux investisseurs étrangers, notamment avec le « Golden Visa programm », permettant aux acquéreurs de biens d'obtenir la citoyennetée ou la « New Urban Leas Law » facilitant les expulsions. Les expatriés débarquent alors à Lisbonne, une ville au climat clément. Entre 2012 et 2022, 6 milliards sont investis au Portugal en achat de propriétés. Entre 2013 et 2018, les loyers augmentent de 110%. Une population souvent aisée, principalement américaine, britannique mais aussi française, investit le pays. Une population étrangère, en croissance de 40% sur 10 ans, qui alimente une industrie de la location et du tourisme représentant 15% du PIB du pays. Quant aux habitants historiques de Lisbonne, ils ne peuvent plus se loger dans leur ville. Un appartement « standard » se loue à 800 euros quand le salaire minimal est à 580 euros. En quelques années les expulsions sont multipliées par deux. Le cas de Nazaré, 86 ans, expulsée par la police et vivant désormais dans 10 m2 devient emblématique. À Lisbonne, les personnes âgées vivent en colocation.

À Lisbonne, les traditionnels Azuleros sont parfois détournés pour faire passer un message : stoppez les expulsions. - Reflets
À Lisbonne, les traditionnels Azuleros sont parfois détournés pour faire passer un message : stoppez les expulsions. - Reflets

Le 15 octobre 2022, l'association Habita! organise une rencontre dans un petit lieu associatif du quartier de Anjos. Des activistes d'Italie, d'Argentine et d'Espagne ont fait le déplacement. Durant deux jours, ils partagent leurs expériences et débattent de l'utilisation de l'instrument juridique dans les luttes sur les thématiques du logement. En collaboration avec le collectif « Stop Despejos  »(« Stop aux expulsions »), Habita! milite en réalisant des campagnes d'informations, de lobbying institutionnel, mais aussi d'action directe. Comme en 2018 en rassemblant et organisant les habitants de 2.000 unités de logements menacés d'expulsion, lors du rachat par le groupe d'investissement Appolo au groupe chinois Fosun de la compagnie d'assurance Fidelidade qui en était propriétaire. Où dans le cas de l'immeuble « Santos Lima » vendu en octobre 2017 pour 2,7 millions d'euros à l'entreprise Buy2Sale et remise sur le marché un mois plus tard à 7,2 millions d'euros, les publicités présentant l'endroit comme vide et idéal pour la construction d'un hôtel. Des publicités découvertes par les habitants et les précipitant dans un conflit pour conserver leurs foyers.

Habita! fait aussi partie d'un réseau européen d'associations nommé « Coalition européenne d'action pour le droit au logement et à la ville ». Celle-ci a édité en 2018 une brochure intitulée : « Financiarisation du logement : tendances, acteurs et processus ». Y est analysé l'importance pour le capital financiarisé du logement. Partant de la nécessité du logement pour la population, pour ses besoins physiques, sociaux et psychologiques, lieu où est « reproduit sa force de travail », l'analyse met en avant les opportunités qu'il présente pour le capital. Pour celui-ci, le logement est à la fois potentialité de grands profits par la spéculation lors d'opération de construction ou d'achats / ventes, opportunité de stockage de richesse par l'acquisition d'un parc immobilier et enfin, ligne de vie, par les flux financiers qu'il génère notamment grâce aux emprunts. L'analyse met en avant la baisse des profits sur la consommation amorcée depuis une dizaine d'années et visible aujourd'hui dans la perte de pouvoir d'achat et l'inflation. Elle affirme qu'une bascule a été réalisée vers un modèle de profits basés sur les besoins essentiels, et notamment sur la location, une rente représentant presque 35% du budget des Français en 2022. Un capital « attiré comme un aimant » par les zones urbaines ou les grands projets, source de forts profits. Une dynamique aggravant les inégalités, qu'elles soient géographiques ou sociales, aveugle aux conséquences sociétales et environnementales jusqu'à en être violente. Ainsi, en juin 2018, la banque centrale européenne impose aux banques l'union de se débarrasser de leurs « prêts non performants » avec un maximum de 20% de 2021 et de 10% en 2022. Une règle poussant les banques à se débarrasser des ces prêts au remboursement improbable auprès d'opérateurs peu regardants, les fonds vautours, prêts à expulser manu-militari les habitants pour récupérer leurs mises.

Le quartier de "Anjos", dans le centre de Lisbonne, héberge un riche tissu militant et associatif. Les murs témoignent des luttes. - Reflets
Le quartier de "Anjos", dans le centre de Lisbonne, héberge un riche tissu militant et associatif. Les murs témoignent des luttes. - Reflets

Anna, une activiste portugaise évoque un référendum contre les locations touristiques, une pétition en ce sens sera lancée, quelques semaines après, en décembre. - Reflets
Anna, une activiste portugaise évoque un référendum contre les locations touristiques, une pétition en ce sens sera lancée, quelques semaines après, en décembre. - Reflets

Les 48 000 logements vides recensés sur Lisbonne sont présentés comme une solution possible au problème du prix du logement.    - Reflets
Les 48 000 logements vides recensés sur Lisbonne sont présentés comme une solution possible au problème du prix du logement. - Reflets

Paris, France

Vivre à Paris n'est pas à la portée de tous les portefeuilles et le logement y est pour quelque chose. Les loyers y sont supérieurs de 48,9% par rapport au reste de la France. Au niveau européen, la capitale française et la ville la plus chère que ce soit pour les achats ou pour la location immobilière. Au point que Paris connait un fort taux de renouvellement de sa population et a perdu 120.000 habitants en 10 ans. En 2022, c'est ainsi 9,6% de sa population qui déménage pour 8,2% de nouveaux arrivants.

Contrairement à Lisbonne, la ville ne possède pas de stock de logements vide sur le long terme, seulement 1,3% du parc immobilier. Le logement « vide », incluant les courtes périodes, les résidences secondaires et les locations touristiques, n'atteint que 17,4% du parc. Un article de Mediapart de 2021 se penche sur les investissements dans le logement comme « portefeuille d'actif ». Et si l'auteur signale une hausse notable de ces investissements, Paris n'est qu'en quatrième position avec 11,4 milliards investis, loin derrière Berlin (42 milliards), Londres (28 milliards) et Amsterdam. Alors, où chercher les raisons de ces loyers élevés ? Une étude de l'INSEE datant de novembre 2021 apporte une piste de réponse. Héritage de ses politiques d'accès à la propriété, en France, 58% des ménages sont propriétaires. 24% d'entre eux, dénommés multi-propriétaires, possèdent plusieurs logements et représentent les deux tiers du parc locatifs À plus de cinq logements, on devient « maxi-propriétaire », 3,5% des ménages contrôlant la moitié du parc locatif français dont 40% des appartements parisiens. Des multi-propriétaires qui ne jouent pas vraiment collectif en cherchant à maximiser leurs rendements. Clara Wolf, économiste pour le site Meilleursagents.com note « On voit une corrélation très nette entre le non-respect de l'encadrement des loyers et les quartiers où il y a le plus de multi-propriétaires ». Dans le 8ᵉ arrondissement, où les trois-quarts des biens immobiliers appartiennent à des « maxi-propriétaires », ceux-ci ont massivement investi les plateformes de location en lignes en vue de maximaliser leurs profits.

Face à cette bourgeoisie immobilière, la ville tente d'apporter des réponses pour peser sur le marché. Depuis 2018 et la loi ELAN, des mesures expérimentales d'encadrement des loyers ont été mis en place. La ville a récupéré, le 1er janvier 2023, la main sur le traitement des plaintes (précédemment dévolu à l'État) et y a assigné une dizaine d'agents. Une réglementation contraignante concernant les locations touristiques a été mise en place, obligeant les serial loueurs à compenser les locations courte durée par des locations longue durée. Cette réglementation aura été contestée jusqu'à la cour de Cassation avant d'être validée. La ville est également en passe d'atteindre les 25% légaux de logements sociaux et a mis en place une stratégie ambitieuse pour 2035. Elle vise dorénavant 30% de logements sociaux et entend acquérir 10% supplémentaire du parc locatif destiné à être mis sur le marché en tant que « logement intermédiaire ».

Des politiques non exemptes de critiques. Danielle Simonet, conseillère de Paris de 2008 à 2022 et élue députée pour la France Insoumise aux dernières législatives était présente au rassemblement « Housing Action Day ». Interrogée sur la politique du logement de la ville de Paris, elle souligne :

« Sur Paris, vous avez 90% des demandeurs de logement sociaux qui sont éligibles aux logments PLAI / PLUS, c'est à dire les premières catégories, là où les salaires attendus sont les moins élevés. Alors la ville de Paris devrait faire 90% de logements pour ces catégories là ! Or elle réserve 30% de logements sociaux pour la catégorie PLS qui demandent des revenus plus importants. Moi ce qui m'importe c'est que prioritairement les plus exclu du logement puissent y avoir accès. La question de la baisse des loyers, y compris chez les bailleurs sociaux, doit être reposée. Et surtout, que les bailleurs ne sont toujours pas dans le bouclier énergétique, là on a des explosions de charges de dingue. Moi j'ai dans les tours de logement de grande hauteur, dans le 20 ème rue Saint Blaise, des locataires qui se tapent des augmentations de charge de 200 à 300 euros par mois. Comment vous voulez qu'ils fassent ? Et c'est dans ce contexte-là qu'à l'Assemblée nationale, ils nous ont mis la loi Kasbarian-Bergé. On est dans une situation où les gens sont pris à la gorge, notamment avec l'explosion de l'inflation et on leur fait quoi ? Un loi anti-pauvres, anti-locataires pour mieux expulser les personnes en impayé de loyer. Je ne pense pas que la politique de la ville de Paris soit la pire politique en terme de collectivité. Mais pour moi elle ne répond pas aux besoins. Paris devient une ville réservée aux riches.  »

« Quant au Grand Paris, c'est l'accélération de la gentrification. Il faudrait sortir de la logique de la super métropole, redynamiser plein de centres et repenser les distances domicile / travail. Relocaliser de l'emploi là où il est déficitaire et relocaliser du logement là où il est déficitaire. Paris par exemple est excédentaire en emploi. Du coup, tu as plein de gens qui vont vouloir vivre à Paris. Mais on a vu pendant le confinement que les boulots essentiels et les boulots pas bien payés, eux, ils habitaient à perpète. On ne pense pas la métropole dans l'intérêt général. La métropole est pensée pour les intérêts spéculatifs. On appelle ça la spatialisation du capitalisme. »

Le 1er avril, à l'appel du DAL et de la "European Action Coalition for the Right to Housing and the City", un rassemblement a lieu à Bastille. Des rassemblements équivalents ont lieu dans toute l'Europe. - Reflets
Le 1er avril, à l'appel du DAL et de la "European Action Coalition for the Right to Housing and the City", un rassemblement a lieu à Bastille. Des rassemblements équivalents ont lieu dans toute l'Europe. - Reflets

Après quelques prises de paroles, la manifestation s'élance vers les beaux quartiers parisiens. - Reflets
Après quelques prises de paroles, la manifestation s'élance vers les beaux quartiers parisiens. - Reflets

En ce premier samedi d'avril, la marche attire l'attention de nombreux Parisiens qui flânent.   - Reflets
En ce premier samedi d'avril, la marche attire l'attention de nombreux Parisiens qui flânent. - Reflets

La manifestation finit face au ministère du logement. Plus exactement dans une ruelle qui lui fait face, les CRS l'ayant soigneusement encadrée pour qu'elle ne déborde pas. - Reflets
La manifestation finit face au ministère du logement. Plus exactement dans une ruelle qui lui fait face, les CRS l'ayant soigneusement encadrée pour qu'elle ne déborde pas. - Reflets

Vienne, Autriche

Surnommée “Vienne la rouge”, la capitale autrichienne fait figure d'exception en Europe. En 2019, la ville fêtait 100 ans de politiques du logement ambitieuses, lancées par les sociaux démocrate après la première guerre mondiale pour affirmer un modèle radical révolutionnaire, alternatif à la Russie bolchévique. Aujourd'hui, avec 46% du parc locatif « attribué dans des conditions non conformes au marché » les résultats sont là. En 2022, le prix de la location au mètre carré y est de 8,66 euros en moyenne contre 29,10 euros à Paris, 25,12 à Londres, 14,30 à Berlin ou 11,25 à Prague. Des politiques toujours utilisées aujourd'hui par la gauche pour contrer la montée de l'extrême droite. En 2019, des nouvelles lois, mises en place par une coalition du SPO et des Verts, imposent que chaque projet de construction n'inclue pas plus de 33% de logement privé permettant ainsi à la ville de sanctuariser les deux tiers du foncier encore disponible.

En 2022, un rapport de la Fondation Abbé Pierre notait que pour 7,8% des ménages européens, les dépenses de logement représentaient un « taux d'effort excessif », plus de 40% de leurs budgets. Des chiffres qui montent à 50% pour les locataires et atteignant des pics à 96% en Grèce. Le logement est en crise, à peine remis de celle de 2008, subissant les bouleversements post-COVID avec en toile de fond l'explosion des inégalités et le mur du changement climatique. Et face aux appétits de la finance internationale ou des bourgeoisies locale, les politiques volontaristes, sociales et durables semblent devoir porter leurs fruits. À Lisbone, soumise au régime sec de politiques libérales depuis 2008, un ménage dépense 63% de son budget dans le logement. À Paris et ses fameux multi-propriétaire sous perfusion de rendements, un ménage y dépense 40% de son budget. À Vienne, « paradis », pour ses 70% de locataires, le logement ne représente que 24% des budgets.

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