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par Antoine Champagne - kitetoa

Le coronavirus pourrait rendre des enfants complotistes et même, antisémites

C'est en tout cas l'avis du ministère de l'Éducation

Dans une note publiée sur Educsol, à destination des professeurs, le ministère demande à ce que soient signalé des élèves qui pourraient tenir des propos "manifestement inacceptables". Lesquels a-t-on demandé ? Surprise...

Note sur Educsol - Copie d'écran

« Inattendue, de nature inédite, la propagation du COVID-19 a été à l’origine d’émotions fortes et de réactions parfois irrationnelles. La question de la maladie et de la mort peut réactiver des questionnements cruciaux sur le cycle de la vie et des traumatismes que des élèves ont pu déjà connaître. Dans ce contexte, la reprise de la vie scolaire et des cours, de manière apaisée, nécessite une attention particulière portée à l’accueil de la parole des élèves », indique le ministère de l'Éducation nationale dans une note publiée sur Educsol. L'idée est d'accompagner les enseignants pour qu'ils puissent faire face aux interrogations des enfants. On peut imaginer que la note servira aussi pour les jeunes ados des collèges qui doivent, eux, commencer à rouvrir à partir du 18 mai dans les zones, où le virus circule peu.

Au détour d'un paragraphe, on trouve la partie suivante qui a fait bondir Twitter. Ceci dit, qu'est-ce qui ne fait pas bondir Twitter de nos jours ?

Quelle(s) attitude(s) de l’enseignant face à l’émotion d’un élève ou d’une partie de la classe ? Reconnaitre les émotions et les nommer permet de soutenir les enfants et les adolescents dans la gestion de leurs émotions. Selon les émotions exprimées par les élèves, ne pas hésiter à leur dire qu’avoir peur, se sentir triste ou en colère est tout à fait normal quand la vie des êtres humains ou la perte des liens avec des proches est mise en jeu. Des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables. La référence à l'autorité de l'Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l'enseignant, le cas échéant accompagné d'un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l'école. Pour d’autres élèves, après avoir abordé ce sujet difficile, l’envie de rire, de jouer ou la joie de retrouver ses amis peuvent prendre le dessus, malgré les conditions tragiques et perturbées de reprise des cours. Aussi, si des élèves semblent passer rapidement à autre chose, ne pas s’en étonner.

Les commentaires sur Twitter n'ont pas manqué de voir dans ce paragraphe (ici en gras) la volonté du ministère de voir les propos allant à l'encontre du gouvernement et de son action pour lutter contre la crise du coronavirus être remontés illico aux autorités de l'école. De fait, le texte est relativement clair... Des élèves pourraient tenir des propos inacceptables. Ce à quoi l'enseignant doit rappeler la notion d'autorité de l'Etat pour permettre la protection de chaque citoyen.

Mais qu'est-ce que des propos manifestement inacceptables ? Nous avons posé la question au ministère, histoire de vérifier s'il s'agissait bien de critiques de la gestion de la crise par le gouvernement, comme le suggérait le texte de la note.

Surprise : pas du tout...

Nous vous collons la réponse dans son entièreté, sans modifications :

  • Les « propos inacceptables » peuvent être de plusieurs natures :
    • Des propos haineux en direction d’une personne ou d’un groupe
    • Des propos manifestant le refus des gestes barrières et le souhait de s’en affranchir
    • Des propos exprimant une indifférence à la situation, un mépris des deuils, etc.
    • Des propos relayant des théories complotistes
  • Le professeur a la capacité de les analyser et si besoin pour l’y aider, il y a dans le vade-mecum « racisme/antisémitisme », les fiches 10 et 11 , qui traitent en particulier des propos des élèves et la manière d’y répondre.
  • Le création de fiches ou de vademecums sur Eduscol viennent de plusieurs canaux : des remontées des académies, de réunions avec des associations, de partenaires interministériels comme en l’occurrence la MIVILUDES, qui alerte très régulièrement sur les sujets de dérives sectaires, d’atteintes à la laïcité. Le portail Eduscol est destiné aux professeurs et propose des moyens de répondre en tant qu’enseignant.
  • D’ailleurs sur ce sujet, MIVILUDES nous a alertés chaque semaine pendant le confinement sur un risque de récupération des peurs par certains individus ou groupes qui prônent des idées (par exemple sur l'alimentation) en-dehors des consensus scientifiques, voire pouvant présenter un danger.
  • Sur ce terreau de la peur, prospèrent les théories et les rumeurs les plus improbables, relatives au COVID-19. Il est important d’en informer les élèves.
  • Pour renvoyer vers un exemple de discours complotiste : https://www.conspiracywatch.info/covid-19-le-retour-du-juif-empoisonneur.html
  • D’une manière générale, le site de Conspiracy Watch a fait un travail de veille sur les théories complotistes liées au Covid 19.

Notez que le ministère de l'éducation cite la MIVILUDES, mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires... que le gouvernement entend faire disparaître...

Bref...

Si l'on comprend bien, les professeurs doivent s'abstenir de discussion polémique, mais la référence à l'autorité de l'Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit être évoquée si un élève a des propos haineux, s'il refuse les gestes barrière, s'il montre un mépris des deuils (allez comprendre...) ou s'il relaye des théories complotistes. Ah... La fake news, le retour... Imaginez qu'un élève se mette à raconter que les manifestants attaquent des hôpitaux ou n'importe autre quelle théorie complotiste de ce genre... Et imaginez qu'il parle du professeur Raoult et de l'hydroxychloroquine ! Ça marche, ça marche pas ? Vite un comprimé... d'aspirine.

Non, en fait, ce que le ministère craint, c'est son exemple, c'est que les gamins pensent que le coronavirus est diffusé par les juifs.

L'idée que le virus soit diffusé par les juifs est à peu près aussi conne que celle selon laquelle la 5G aiderait à la propagation. Mais passons.

Donc, professeurs, soyez sur vos gardes, cette demande formulée dans la note est trompeuse :

1) ne remontez pas à la direction des propos critiquant l'action du gouvernement 2) remontez tout discours complotiste. Raciste ou antisémite. Mais pas forcément contre la 5G, ça c'est à vous de voir.

Quelqu'un pour remontrer l'inanité de Jean-Michel Blanquer ?

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