Laurent Wauquiez joue à l'apprenti sorcier avec les zones Natura 2000
La région Auvergne Rhône-Alpes détricote une organisation qui fonctionnait bien
Le patron de la région avait menacé de réorienter les financements de ces espaces protégés en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs. C'était le seul à vouloir réformer le fonctionnement du réseau. Il est revenu sur sa décision radicale, mais non sans fragiliser le système. Entre chantage aux financements et augmentation de la charge de travail, le système est mis en danger.
              « La Région protège son patrimoine naturel exceptionnel » : voilà ce que l’on peut lire sur la page dédiée aux zones Natura 2000 du site de la Région Auvergne Rhône-Alpes (AuRA), Pourtant, en 2022, son ancien président Laurent Wauquiez avait menacé de basculer les financements de protection de ces espaces vers l’installation de jeunes agriculteurs. Ce réseau d’espaces protégés européens est le plus vaste du continent, et près de 13% du territoire d’AuRA en est pourvu, soit 980.000 hectares.
Depuis cette annonce polémique, l’exécutif régional est revenu sur sa décision. En 2023, une nouvelle annonce vient calmer les esprits : plus de réorientation totale du budget Européen, mais une restructuration du réseau, en vue d'« optimiser la gestion des sites Natura 2000 pour améliorer l’efficience de l’action publique », nous dit le site de la Région. Pour Maxime Meyer, élu écologiste au conseil régional, l'exécutif a été obligé de revenir sur son annonce originelle sous la pression locale : « La Région a reçu des centaines de courriers d’élus locaux de tout bord politique, même de son propre camp, qui faisaient part de leur mécontentement ».
Quand, en 2022, la loi Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS) est adoptée, la gestion de Natura 2000 passe de l'État aux Régions. AuRA est la seule à vouloir réformer le fonctionnement du réseau, forgé au long de ses 30 années d’existence. Pour plusieurs acteurs de terrain, le pari semble risqué et les raisons invoquées pour justifier la démarche sont floues. « Il y a eu beaucoup d’incertitudes, alors que dans les autres Régions, la transition s’est opérée presque comme si de rien n’était, affirme Jeanne*, ancienne animatrice Natura 2000. Dans la communication, c’est pour simplifier et moderniser le réseau, mais sur le terrain on voit une toute autre réalité ».
Une discontinuité et un flou
Le bouleversement est double. D’un côté, le transfert de compétences administratives à la Région s’est fait avec des « délais très courts, des difficultés à rassembler l’ensemble des documents et informations, des retards administratifs et financiers de l’Etat sur certains volets », d’après la note de presse qui nous a été transmise. De l’autre, la restructuration prévue par la loi ne participe pas à fluidifier cette transition. Cette double contrainte s’est ressentie concrètement dans la situation de plusieurs acteurs de terrain. C’est par exemple le cas de Emma*, animatrice Natura 2000, ex employée dans une collectivité aux côtés de Jeanne : « Il y avait une dynamique de réseau bien ancrée mais depuis un an, ça s’est bien essoufflé », affirme-t-elle. De 2022 à la fin de leurs contrats en septembre 2024, le manque de communication de la Région a laissé place à des bruits de couloir, compliquant le travail de Jeanne et Emma : « Beaucoup d’animateurs se sont retrouvés dans un flou complet qui a généré énormément de découragement, relate Jeanne. La rédaction des DOCOB [Document d’objectif - NDLR, lire ci-après] a été arrêtée parce qu’on ne savait pas s’il y aurait des changements de méthodologie. En 2022 on nous disait qu’à la fin de l’année nos postes n’allaient peut-être plus exister. On a eu une année de sursis en 2023, et c’est seulement en septembre qu’on a appris qu’ils étaient reconduits en 2024 ». Ce contexte a rendu leurs missions d’animatrices très complexe.
Dans une zone Natura 2000, l’animateur a pour mission de faire vivre un maillage local aux intérêts parfois divergents. Chaque année, un comité de pilotage (COPIL) rassemble agriculteurs, élus, industriels, citoyens et animateurs impliqués dans la vie du site. Ensemble, ils conçoivent un Document d’objectif (DOCOB) où sont définis les inventaires et les éventuels travaux de restauration à réaliser, les pratiques à adopter sur le site ainsi que les programmes de sensibilisation à mettre en œuvre, le tout en fonction du budget alloué. Pendant deux ans, l’incertitude a bousculé tout ce processus dans les sites des deux animatrices : « Les financements n’ont pas été suspendus, mais de notre côté on ne réussissait pas à se projeter, décrit Emma. Les enveloppes budgétaires limitées ne nous permettaient pas de mettre en œuvre des projets ambitieux, donc il fallait chercher des subventions, mais quand on ne sait pas ce qu’il va se passer l’année d’après, c’est compliqué ».
Une décision sans consultation
La nécessité de réformer le réseau est justifiée par le constat que les zones Natura 2000 étaient jusque-là animées par des dizaines de structures différentes : associations de protection de l’environnement, municipalités, Parc Naturels Régionaux (PNR), Syndicats mixtes de rivières, Office National des Forêts…
En tout, une centaine de structures animatrices sont identifiées. « La Région, de manière unilatérale, a considéré que cette dispersion n’était pas source d’efficacité, et a pris la décision de mettre en place un dispositif reposant sur quatre animateurs : les PNR, les Conservatoires d’Espaces Naturels (CEN), les Parcs Nationaux et la Région », explique Pierre Mossant, directeur du CEN d’Auvergne.
Un nombre restreint d'organismes se sont donc vu attribuer des centaines d'hectares supplémentaires à gérer en quelques mois. Pour un animateur qui a souhaité rester anonyme, cette étroite sélection ne relève pas du hasard : « Ce sont des organismes qui ne peuvent pas s’opposer à la politique régionale, puisque les PNR émanent de la Région, affirme-t-il. Quand la Région a conventionné son partenariat avec les CEN, elle a limité et défini précisément leurs domaines d’action, et par ce biais les a muselés. Les CEN n’ont rien le droit de dire contre elle, c’est une manière de les mener à la baguette. » L’animateur constate que désormais, il n’y a plus de communes d’opposition ou d’associations militantes aux commandes de zones Natura 2000.
Les financements ont bien été attribués et tous les organismes sélectionnés ont les compétences pour prendre en charge cette mission, mais dans un contexte où le budget régional alloué à l'environnement a diminué de 30% en 2025, cela suffira-t-il pour répondre au besoin d'embauches de ces structures ?
Dans un courrier que nous avons pu consulter, un de ces organismes alerte la Région sur les conséquences que pourrait avoir cette baisse sur les sites qu’elle anime : « Cette enveloppe réduite implique une animation au ralenti voyant une rupture de certaines actions structurantes pour l’animation du dispositif et d’actions prioritaires des DOCOBs, et questionne d’ores et déjà la notion "d’une animation et d’une gestion de qualité des sites" ».
Alors que ces structures ont subi une forte augmentation de leur charge de travail sans avoir été consultées au préalable, d’autres auraient préféré conserver l’animation de leurs sites.
C’est le cas de nombreuses collectivités locales qui ont été évincées. Un choix leur a tout de même été laissé : si elles souhaitaient conserver leur compétence d’animation, la Région cesserait de financer sa part habituelle, forçant les collectivités à trouver elles-mêmes les fonds nécessaires. Cette participation représente près de la moitié de l’enveloppe d’animation, si bien qu’une poignée d’entre elles avaient réellement la possibilité de considérer l’offre. Trente-cinq ont tout de même fait ce choix, permettant à la Région de réaliser une petite économie au passage. Cette forme de gestion ne manque de rappeler les méthodes de Donald Trump depuis son élection.
Davantage de travail pour un même poste ?
La Région est elle-même devenue une structure animatrice mais n’en a pas les compétences. Depuis plus d’un an, des animateurs sont embauchés afin d’assurer cette mission. Pour l’instant, dix agents sont chargés d'animer ces 37 « sites emblématiques » représentant environ 213.000 hectares. Cela revient à plus de 20.000 hectares à animer pour un poste Équivalent Temps Plein (ETP).
L'élu écologiste au conseil régional Maxime Meyer affirme pourtant que pour s’assurer du bon suivi d’un site, un ETP ne doit se voir attribuer au maximum que 10.000 hectares à animer.
Cela correspond également à quatre sites par animateur en moyenne. Or, « on ne gère pas les sites aussi bien quand on en a un ou deux en charge que quand on en a quatre, affirme Jeanne. Plus on a de sites, moins on est présents sur le terrain et en réunion parce qu’il faut faire des choix, c'est aussi du temps en moins pour la sensibilisation ». Plus globalement, ce que les animateurs redoutent, c’est une fragilisation du réseau local dont ils font intimement partie et qu’ils ont contribué à renforcer au fil des années.
Des réseaux locaux fragilisés
« C’est aussi une question d’ancrage sur le territoire qui pose souci à la collectivité où nous travaillions. Comment Natura 2000 va continuer à interagir avec les acteurs du territoire si les animateurs sont loin de leurs sites ? », se demande Jeanne.
En effet, plusieurs des structures animatrices restantes couvrent des zones bien plus vastes et ont des sièges plus éloignés des sites que leurs prédécesseures. Cette centralisation géographique couplée à un temps plus court attribué à chaque site fragilise un réseau local qui s’est parfois construit sur des années. « Dans le cas des collectivités, les acteurs connaissaient l'animateur et savaient qu'ils pouvaient le contacter puisqu’il était sur leur territoire. Maintenant, la personne risque de ne plus être aussi clairement identifiée en local », ajoute Emma.
Pour les nouveaux animateurs Natura 2000, recréer une dynamique et reconstruire un maillage territorial avec les acteurs ne sera pas toujours facile et pourra prendre des années, car comme le confirme le directeur du CEN Auvergne Pierre Mossant, « les liens de confiance ne se décrètent pas, ils se construisent au fil du temps ». D’autant plus quand ces liens concernent des animateurs dont la mission est de défendre des espaces naturels, parfois perçus comme ennemis à certains intérêts : « La force de Natura 2000, c’est de mettre autour de la table des gens qui ne se parlent pas habituellement. Faire se parler des habitants, des défenseurs de l’environnement, des paysans et des industriels demande une vraie compétence et du temps », ajoute Maxime Meyer.
*Les noms de ces personnes ont été modifiés pour protéger leur anonymat.