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Dossier
par shaman

Las Rebes : une ZAD dans les quartiers populaires

Naissance, vie et mort de la première "Zone à défendre" axée sur les quartier déshérités.

Même en voyage, il est des nouvelles du pays qui interpellent. Qui obligent à ré-accorder de l'attention à son territoire, qui donne envie de s'exprimer. La tentative d'évacuation de Notre Dames des Landes a été une de ces nouvelles.

Reporterre

Cette évacuation a provoqué débat. Elle a montré des lignes de fracture dans la société entre les "pro" et "anti" évacuation. Entre ceux qui en ont marre des casseurs et ceux sont persuadés de voir accoucher un nouveau monde. Et puis mince, Reflets ne s'était pas encore exprimé sur le sujet ! Dans les situations comme celles-là, rien de tel que les vieux cartons. On y trouve toujours de petites pépites, des articles inachevés qui prennent du jour au lendemain, à nouveau, toute leur place dans l’actualité. Laisser moi vous conter une histoire de ZAD différente, locale et optimiste. Une histoire de construction dans le bon et le mauvais sens. Une histoire aujourd'hui achevée. Une histoire qui finit mal et qui pourtant peut, elle aussi, prétendre apporter sa voix dans le débat.

Retour sur le printemps 2016 et l'émergence du mouvement #NuitDebout.

Devant l'assemblée, sur la place de la Comédie à Montpellier, s'avancent deux associations : "Poumons verts" et "Les enfants de la colline". Elles témoignent d'une zone verte coincée au milieu des quartiers déshérités. Elles parlent d'habitants s'opposant aux camions et aux bulldozers. Elles en appellent à la solidarité de l'assemblée populaire et appellent de leur vœux une ZAD, rempart humain contre la béton. Le vote est lancé, le "Oui" l'emporte et le soir même une première caravane part s'installer sur place : la ZAD "Las Rebes" est née, première ZAD urbaine axée sur les quartiers défavorisés.

Une colline qui résiste encore et toujours à l'envahisseur

La colline est un îlot de verdure, un espace presque sauvage qualifié un jour de "tas de broussailles que personnes n'utilisait" par l'éminent maire de Montpellier. Et pourtant ses habitants semblent l'apprécier, ce tas de broussailles. Une association s'amuse à y recenser pas moins de 100 espèces végétales et animales, certaines qualifiées d'agricoles. Le hérisson y gambade et gagnera plus tard ses galons dans la résistance. Il y a des arbres, les enfants y jouent en revenant de l'école. On y croise ses voisins, on y promène le chien. Une bouffée d'oxygène, quelques touches de vert pour égayer un tableau des quartiers populaire peu enjoué.

La colline vue du ciel
La colline vue du ciel

Au delà s'étend le béton.

La colline semble coincée en frontière de deux zones : la zone de "Quartier prioritaire" (découpage de 2015) et l'ancienne "Zone urbaine sensible" (découpage de 1996). Autour, le quartier "les Cévennes", nommé en référence à un massif montagneux proche, à des aspects sauvages. C'est est un des plus dense de la ville, en bonne place sur la liste des quartiers défavorisés. Les indicateurs sociaux économiques sont éloquents : 50% de la population y a moins de 30 ans, 25% des familles sont monoparentales, le taux de chômage atteint les 30% et un tiers de la population vit des aides sociales. Les logements sont insalubres et 10% d'entre eux sont inoccupés.

Allait-on laisser cette vulgaire tache de broussaille continuer à nous verdir ce tableau? Ce sont les ACM qui vont s'y coller.

Plus gros bailleur de logement social de Montpellier (60% du parc), ayant défrayées la chronique au travers de plusieurs scandales de corruption et de pots de vins, les ACM sont l'organisme public des HLM de la métropole de Montpellier, un des rouages du pouvoir dans ce bastion socialiste. Mais même en terre socialiste, tout n'est pas rose. La directrice générale d'"ACM habitat" n'est autre que Claudine Frêche, veuve du maire historique de Montpellier et digne représentante de l'ancienne garde. De ses propres mots, elle sortira de toute cette histoire "usée". Le président d'ACM, maire de la métropole est Phillipe Saurel, trublion local, soutien précoce et inspirateur convaincu d'Emmanuel Macron. Cet impétueux personnage se trouvait fort soucieux de montrer patte blanche aux barons historiques du parti après l’échec de ses aventures hasardeuses et solitaires au niveau régional. S'il y a eu mariage de raison, la colline de Las Rebes faisait-elle partie de la dot ?

C'est en Avril 2015 que les habitants découvrent étonnées que leur petit coin de paradis fait des envieux. Les promeneurs, ce jour là, découvrent un nouveau panneau sur la colline indiquant la construction prochaine de trois immeubles de logements sociaux et de nouveaux bureaux pour les ACM. Ce malheureux petit espace de biodiversité allait-il lui aussi céder sous la vague de béton ? Très vite la résistance se met en place. En mai, les deux associations "Poumons verts" et "Les enfants de la colline" sont créés. Jardins partagés, journée paella, nettoyage de la colline, interpellations des politiques, .... les occasions d'agir de manquent pas. Les habitants, pas à pas, se ré-approprient la colline persuadés que face aux logiques spéculatrices leur vision prévaudra.

A la mairie on ne l'entend pas de cette oreille. Sur l'hectare qui compose la colline, seuls 3 000 mètres carrés seront construit, 63 logements destinés à compenser les deux milles manquant dans l'agglomération. Ce qui restera du terrain sera aménagé en espace vert et rétro-cédé à la ville à 1 euro symbolique. Un juste retour des choses pour ACM qui avaient acquis cette même parcelle à 1 euro lui aussi symbolique auprès de la ville quelques mois auparavant. L'habitat sera de qualité avec des jardins privatifs et il y aura même des beaux locaux ACM flambants neufs, peut-être destinés à épauler les autres bureaux situés à deux cents mètres de là, et qui ne parviennent qu'à ouvrir 2h dans la semaine. Le sculpteur "Oups" agrémentera le parc de quelques sculptures en y apportant la caution culturelle. Sur le papier le projet est gagnant ! Pourquoi se poser des questions ? Dans le PV d'assemblée générale datant du 4 septembre 2015, les habitants relatent que des gens passent la nuit enlever les tables et les chaises, les panneaux d'affichage ou les barrières de bois délimitant le jardin partagé. Les associations peinent à avoir accès aux permis de construire et autres papiers administratifs, les ACM font la sourde oreille aux demandes de consultations.

Les habitants du quartier  Las Rébès expriment  sur la façade du bâtiment 10 leur opposition au projet de bétonisation de la colline. - Poumonts Verts
Les habitants du quartier Las Rébès expriment sur la façade du bâtiment 10 leur opposition au projet de bétonisation de la colline. - Poumonts Verts

Début Février 2016, les choses s'emballent. Sans avertissements, des arbres sont marqués et le terrain clôturé. Les habitants qui descendent pour discuter se retrouvent face à un mur. Ils finissent par s'interposer pour empêcher les travaux. La police est appelée et elle identifie quelques intervenants. Le même scénario se reproduit quelques jours plus tard. Le 25 février, dix habitants et les deux associations sont assignés en référé devant le tribunal de grande instance de Montpellier par les ACM pour entrave à la liberté de travail et trouble à l'ordre public. Certains habitants se trouvent également convoqués au commissariat. La justice est finalement rendue le 18 mars 2016. Les ACM sortent victorieux mais les peines sont fixées à minima. Sept habitants et les deux associations devront continuer à payer s'il persistent à empêcher le début du chantier. Le juge concédera : « Il apparaît (...) que le projet Alba n’a semble-t-il pas été suffisamment présenté aux riverains, ce qui a sans doute alimenté craintes et appréhensions ».

Avec quinze jours pour faire appel d'une décision que leur avocat qualifie de "logique", tout est-il perdu ? Le 17 Avril, c'est devant l'assemblée populaire de Nuit Debout que les associations feront leur appel, enclenchant un nouveau rapport de force.

"Zone d'action démocratique" ou "Zone à défendre"

Les pèlerins qui ont réussi à parcourir, dès la première nuit, les quelques 3 kilomètres qui séparent l'assemblée de Nuit Debout du quartier "Las Rebes" posent leur campement de fortune au milieu de cette forêt de béton. Le lendemain se tient dans la colline un grand pique-nique populaire et les zadistes vont se mettre très vite au travail. Pour beaucoup d'entre eux, il s'agit de mettre en place une expérience concrète. D'essayer de faire accoucher le monde auquel ils aspirent en ayant rejoint le mouvement Nuit Debout. On y trouve des éducateurs ayant déjà travaillés dans ce quartier, dont les subventions ont été coupées et qui appellent déjà tous les enfants par leur prénoms. On y trouve des activistes issus du milieu squat, ravis de mettre leurs compétences et leurs ressources au service du mouvement. On y trouve des paysans marginaux issus des campagnes environnantes, des militants de différents mouvements politiques, des étudiants et des anonymes. Mais chacun doit abandonner ses étiquettes à la porte, on y vient en simple citoyen. La ZAD va servir de laboratoire d'expérimentation utopiste, d'espace de confrontation entre les idées nouvelles et la réalité des quartiers.

La première assemblée générale se tient le 17 Avril juste après le pique-nique citoyen. Plus de 150 personnes y participent, elle posera les bases du mouvement. L'occupation est votée aux 2/3 des personnes présentes et aucune voix contre. La cinquantaine de riverains présents sont de nouveau consultés et ils apportent de nouveau leur soutien à la motion. Certains proposent leur aide matérielle, comme l'accès aux points d'eau. La création d'un collectif ouvert à tous est décidée. Son nom fera l'objet d'âpres négociations : "Collectif de défense de la colline de Las Rebes / Cévennes, hérissons-nous contre le béton". Il comptera bientôt plus de 500 membres et aura pour vocation de noyer les responsabilités juridiques, de poser le cadre d'un combat nouveau. Enfin ce collectif nouveau-né adressera une lettre au maire de la ville appelant de ses vœux une nouvelle négociation. Un nouveau bras de fer est lancé.

Très vite la ZAD engrange sa première victoire. Les habitants fort de ces nouveaux soutiens, peut être inspirés par une action plus radicale, décident de bloquer le quartier pour protester contre les coupures d'eau qui depuis deux ans leur pourrissent la vie. Les agents des ACM débarquent sur place et le problème est réglé en trois jours.

Et le processus de continuer à se mettre en place.

Dès le départ, un soin particulier est donné aux relations avec le voisinage. L'alcool fort est interdit, la musique et le bruit s'arrêtent à 22 heures en semaine et 23 heures le week-end. On se lève tôt pour être prêt à accueillir les habitants du quartier qui, pour vaquer à leur occupations quotidiennes, doivent passer sur le terrain. Un journaliste de Reporterre, qui se rend sur les lieux deux semaines plus tard, salue l'organisation. Sur le plan des installations, sont sorties de terre une cuisine extérieure à base de produits issus de la récupération, une yourte commune qui abrite les réunions et une plateforme dans le grand arbre qui servira de dernier bastion contre l'éviction. En élevant le regard, nous pouvons observer un jardin en permaculture alimenté par l'eau des douches, une station de recyclage, un camping hébergeant une trentaine de tentes et une ressourcerie fournissant le materiel de base aux constructions. Dans un coin du terrain, à l'ombre et se gardant bien d'intervenir, des vigiles payés par les ACM veillent à la sécurité. Certains sont issus du quartier et leur présence fluidifie les rapports entre zadistes et habitants.

Lors d'une assemblée générale une mère célibataire déclare :

"Vous savez, c'est pas évident avec les enfants. Je dois travailler et je ne sais pas où ils traînent. Depuis que vous vous êtes installés, je sais où ils sont. Et ils s'amusent. Vous savez, le pire c'est l'été. Si vous pouviez être là cet été, ce serait génial."

Encart Gazette Debout
Encart Gazette Debout

Il est vrai que les enfants sont la première interface avec le quartier, amenant leur parents à venir voir ce qu'il se passe. Et ils faut les occuper. Tournois de foot, initiation à la slackline, cours de percussions, atelier de peinture, ... "On envisage même le soutien scolaire" déclare un occupant. Bientôt, on commence à venir des quartiers environnants. Et les animations ne s'arrêtent pas là. Plusieurs concerts auront lieu durant le printemps. Des séances régulières de cinéma en plein air sont mises en place. Une association vient recenser la biodiversité présente dans cet îlot de verdure, mettant en avant plusieurs espèces semi-menacées.

Malgré le silence assourdissant des ACM et de la mairie, les zadistes poursuivent et étendent la lutte entamée. Toutes les possibilités sont étudiées. Un dossier de presse conséquent est constitué et la presse est mise à contribution. Des contacts politiques et institutionnels sont établis. Le projet ALBA est décortiqué. Les associations entame un recours contre le permis de construire car la construction risque d'endommager un autre bâtiment déjà fragilisé. Les membres du "conseil citoyen du quartier des Cévennes" appellent la mairie à la concertation. Les zadistes travaillent, eux, sur le projet alternatif discutant d'une alternative viable au béton. Ils tiennent aussi la colline, des vigies étant postées en permanence à chaque coin du terrain. Des gens du quartier font office d'observateurs avancés, prêts à signaler toute incursion policière suspecte. Une liste de soutiens est constituée pour prendre les forces de l'ordre à revers. Mais la police vit un printemps chargé. Il s'agit de réprimer les manifestants opposés à la loi Travail. L'éviction de ce centre aéré DIY n'est pas dans l'ordre des priorités.

Et puis il y a cette histoire avec Stephanie Jannin, l'adjointe à l'urbanisme de Saurel et ce soupçon de conflits d’intérêts. Celle-ci a plusieurs fois défendu le projets contesté devant les riverains. Puis ceux-ci ont découverts que cette dernière travaillait il y a encore peu de temps pour le cabinet d’architecte en charge du dossier. La plainte déposée par l'association "Les enfants de la colline" conduira à une enquête, qui traînera en longueur puis qui ressortira opportunément durant la campagne des législatives de 2017. Janin fera sa traversée du désert puis sera finalement partiellement relaxée et réhabilitée par son mentor.

Et la ZAD d’engranger des soutiens.

C'est d'abord le rappeur HK qui passe sur la ZAD et qui est prêt à tourner une video de soutien. Puis c'est au tour de Pierre Douillard, l'auteur de "L'arme à l’œil - Violence d'état et militarisation de la police", qui vient donner une conférence sur le site. Dans une assemblée générale on croise des activistes, des faucheurs volontaires. On y rencontre quelques journalistes. Et les politiques ne sont pas en reste. C'est d'abord Jean Louis Roumegas, député de l'Hérault qui publie une note sur son blog début mai. Il y déplore :

"[...] M. Le Maire et Président d’ACM refuse tout débat et toute concertation et préfère l’intimidation face à des citoyens qui ne défendent que l’intérêt général".

Puis dans le compte rendu du conseil municipal datant du 22 Juin, nous pouvons trouver les traces d'un débat houleux opposant le maire et son ancien adjoint à la culture, Cedric de Saint Jouan, passé depuis dans l'opposition. S'exprimant dans le cadre d'une discussion sur la paupérisation des quartiers sur Montpellier :

Cédric de SAINT-JOUAN : [...] En bétonnant la colline de Las Rebes, on aboutit exactement au contraire. En détruisant les espaces verts qui subsistent dans ce quartier, on renforce la ghettoïsation de ces quartiers.
Monsieur le Maire : Vous êtes indécrottable.
Cédric de SAINT-JOUAN : Je réitère mon soutien aux personnes qui défendent la colline de Las Rebes et vous rappelle votre engagement de campagne d'une urbanisation maîtrisée.
Monsieur le Maire : Allez, vous, là-bas. Quittez votre 50 pièces dans le centre-ville avec des hautes moulures et des plafonds de 4 mètres.
Cédric de SAINT-JOUAN : Je vous rappelle que vous avez été élu sur un programme écologiste, Monsieur le Maire. Et qu'on n'en n'a plus entendu parler après l'élection. C'est fini l'écologie une fois que l'on est élu, je sais bien.
Monsieur le Maire : Installez-vous à Las Rebes !
Cédric de SAINT-JOUAN : Monsieur le Maire, ce n'est pas le sujet, le sujet c'est de respecter les engagements écologiques que vous avez pris quand vous avez été élu. Promesse tenue ? L'écologie on l'a pas vue.

A ce stade de l'article, vous devriez commencer à sentir une odeur nauséabonde vous entourer. Une odeur qui aujourd'hui vous est familière, mais qui à l'époque ne vous était pas tout à fait connue. Pour achever cette histoire, il nous faudra en effet quitter les pentes verdoyantes de notre colline et nous enfoncer dans les marécages de la politique Montpelliéraine. Et avec au loin, pour horizon, la Macronie et ses sbires façon Benalla.

La chute de la ZAD

Les longs mois d'été ont fait du mal à la ZAD. L'effervescence du printemps a laissé place à un service minimal. Une dizaine de militants tiennent encore la colline mais les engagés de la première heure ne sont présent qu'épisodiquement. La sécurité et les règles de vie se relâchent. Il arrive que les soirées guitares et percussions alcoolisées se poursuivent tard dans la soirée. Des amies témoigneront, "J'ai bien essayé de repasser, mais les blagues de culs et les rires gras, c'est pas ma tasse de thé". Les agents de sécurité payés par les ACM ne sont qu'un lointain souvenir. Et même si le contact reste ouvert, de moins en moins de riverains font acte de présence.

Dans les coulisses, on s'interroge ... Comment relancer le mouvement ? Septembre s'approche et les rumeurs se font de plus en plus inquiétantes. Saurel aurait décidé que mi-septembre, les travaux auraient commencé coûte que coûte. Des bruits persistants témoignent de la pression que les ACM exercent sur le quartier. Parfois sous forme de carottes comme la promesse de logements ou de travail dans les nouvelles résidences. Parfois grâce à la menace du bâton, comme le non renouvellement des bails ou la perte de l’habilitation cruciale qui permet à une entreprise crée par les gens du quartier de fonctionner. Une assemblée générale de rentrée est alors programmée pour les derniers jours d’Août. C'est durant cette assemblée que se déroulera le drame.

Alors que la réunion touche à sa fin, un zadiste qui n'y participait pas interrompt les débats pour signaler des bruits suspects en contrebas de la colline aux limites de la ZAD. Descendus en force, les zadistes font fuir quatre personnes. Dans une tente montée à l'écart, ils trouvent une jeune fille choquée et prostrée qui semble avoir été maltraitée. Ils l'emmènent alors rapidement à l'hôpital. La réalité de ce quartier déshérité vient de se rappeler avec force à nos rêveurs. A partir de là, les choses vont très vite s'emballer. Un message de soutien à la victime est d'abord publié. Le médiateur et interface principale avec le quartier semble atterré. Certains jeunes de la cité passent et témoignent de menaces sourdes en provenance de l'entourage des supposés violeurs. Ceux-ci semblent déjà connus des services de police et devraient sous peu se faire "ramasser". On s'interroge sur la réaction de la mairie. Celle-ci ne va pas se faire attendre.

Deux jours à peine après le sordide événement, Saurel convoque les journalistes en conférence de presse qui prendra des allures de chasse aux sorcières. Il y dénonce ainsi nommément pas moins de 11 de ses adversaires politiques ayant pris position pour la ZAD, remontant parfois leurs fils Twitter ou Facebook pour trouver les prises de positions qui l'ont fait sortir de ses gonds (6:51 - 9:35). Ils sont qualifiés d'irresponsables politiques. L'hôtel particulier 5 étoiles d'un ancien adjoint au maire y est ainsi mis en avant, ainsi que la chasse aux œufs organisé sur la ZAD par le président de l'association de quartier :

"Je serais les parents [...] je ferais attention à qui je confie mes petits ... Je le dit comme ça, avant, parce que je connais les oiseaux".

Claudine Frêche et Philippe Saurel en conférence de presse présentant un tag de la ZAD : une image de hérisson et un texte "Saurel m'a tué"
Claudine Frêche et Philippe Saurel en conférence de presse présentant un tag de la ZAD : une image de hérisson et un texte "Saurel m'a tué"

Saurel fait aussi état d'une pétition signée par plus de 70 habitants de Las Rebes, déplorant que le combat de la ZAD soit tombé en désuétude pour laisser place, ces dernières semaines à de "graves troubles" : constructions anarchiques, utilisation d'eau potable tirée des parties communes, grillades sauvages, dégradation des espace arborés, bagarre quasi-quotidienne des zadistes, présence de chiens, consommation de stupéfiants, ... Un tableau bien sombre mais le pétulant maire de Montpellier aura-t-il remarqué que le fond du combat des zadistes n'est pas un seul instant dénoncé? Enfin Saurel annonce le dépôt d'une plainte dont les contours restent encore extrêmement flous.

Pour la route quelques extraits des questions des journalistes :

Journaliste : La plainte a été déposée contre qui et quoi, exactement ?
Philippe Saurel :[...] En fait nous sommes propriétaire du terrain et à ce titre nous ne pouvons nous résigner, sur ce terrain qui est occupé illégalement, à accepter qu'il y ait un viol de cette nature sur notre terrain, donc on va porter plainte sur ce point.
Journaliste : Contre les quatre personnes qui ont été arrêtées ou contre les occupants ?
Philippe Saurel : C'est à l'avocate de rédiger la plainte donc ... Mais l'état de fait de la ZAD qui est une zone de non droit a favorisé le fait que cette jeune fille, sous une tente de la ZAD ...

Plus loin :

Journaliste : Mais je ne défend pas le viol ! [...] parce que pour l'instant il n'y a rien dans l'enquête qui est en cours, qui dit que ce sont les zadistes qui ont fait quoi que ce soit. C'est un espace quand même qui est resté public, les gens vont et viennent, ... [...]
Philippe Saurel : L'espace est clôturé, l'espace est clôturé, il est de votre droit de défendre les zadistes, c'est pas mon cas !
Journaliste : Non mais je pose une question ...
Philippe Saurel : Non non, mais j'ai vu le discours des journalistes et de certains responsables, c'est pour ça que j'ai fait cette conférence de presse. Le droit, il est de notre coté et moi je recule pas sur le droit. Ils occupent illégalement notre terrain, je le dit depuis des mois et des mois. Je me suis fait plus ou moins agresser en réunion publique le jour de Laissac avec certains journalistes parmi vous qui étaient présents ... tout le monde a sourit quand j'ai dit au gens : c'est comme si moi je venais donner rendez vous dans votre cuisine, votre maison ... ben c'est le même cas. Ils occupent un terrain qui appartient à la ... à ACM. Il se trouve que sur ce terrain, il s'est passé un fait innommable. Si ça c'était passé dans une de nos résidence, j'aurais dénoncé le fait de la même façon, sauf que là on est dans une zone occupée illégalement, c'est pas pareil ! C'est pas pareil !

Ou encore :

Journaliste : Est-ce qu'il n'y avait pas des vigiles ACM sur place ?
Claudine Frêche : Non
Journaliste : Il n'y en a plus ? Il y en avait au début.
[...]
Claudine Frêche : On a arrêté parce que la colline, elle fait un hectare, on s'est rendu compte qu'on fichait de l'argent en l'air, quoi, je veut dire euh ... vous vous rendez compte.
Philippe Saurel mimant la fameuse stratégie de la tenaille : Ils rentre pas par là ... ils rentrent par là.

C'est Jacques Martin, bâtonnier du tribunal de Montpellier et avocat d'un des supposés violeurs qui s'élèvera contre l'absurdité de la situation :

"Ce qui me choque, c’est d’avoir appris des choses avant d’avoir eu accès au dossier !", "Et qui ne sont pas le reflet de la réalité ! Ce que j’ai appelé, devant le juge des libertés et de la détention, la pression médiatique et politique."

"Le maire de Montpellier fait ce qu’il veut. Mais lorsqu’il porte un jugement sur la gravité d’un dossier avec une conférence faite à la faveur d’une procédure judiciaire, c’est choquant. Là, il sort de son rôle et je ne peux l’accepter !"

Du coté de la ZAD, il ne reste plus guère qu'à écrire l'épilogue. Il aura lieu lors de la dernière assemblée générale, le 2 septembre.

Le rumeur a fait son chemin et tout le monde est présent. Et entre zadistes et gens du quartier, le torchon brûle. D'un coté les occupants et les associations peinent à s'entendre sur la stratégie à adopter, leur voix ayant du mal à surpasser le chaos ambiant. De l'autre, les hommes du quartier, remontés, décidés à faire plier le camp. Les jeunes accusent les zadistes d'être des balances et préviennent que les choses ne vont pas en rester là. Les adultes ne sont pas en reste : "Cassez vous", "On ne veut pas de vous ici". Les quelques personnes réussissant encore à faire le lien entre les deux communautés tentent en vain de calmer le jeu. On apprendra que la fameuse pétition mise en avant par le maire a circulé le jour précédent ... peut-être une façon pour le quartier de se protéger ? La menace d'une plainte a fait son effet. Les jeux sont faits et la décision sera logique. La ZAD doit fermer et elle a deux jours pour le faire. La conférence de presse qui doit se tenir quelques jours plus tard n'attirera que peu de gens. Les barricades sont revenues autour du terrain et les agents de sécurité y proscrivent à nouveau tout accès.

Les travaux de construction commenceront sur les chapeaux de roue pour prévenir toute nouvelle occupation. Aujourd'hui nous pouvons lire dans un article d'un journal local, "le d'oc" que presque deux ans après le début des travaux le chantier n'est pas terminé, que les plans initiaux vont devoir êtres révisés et que les riverains souffrent de la situation. Les caves des nouveaux bâtiments subiraient déjà des inondations.

Ainsi se referme ce conte urbain, narrant une histoire d'arbres et de béton, celui de la première ZAD dédiée aux quartiers déshérités. Une fable qui met en lumière deux courants opposés qui traversent notre société. D'un coté les logiques spéculatrices, la quête vaine et futile de croissance, les jeux de pouvoirs et d'ego aveugles au bien commun. De l'autre, une génération parfaitement consciente des défis qu'elle a à affronter et toute prête à s'y atteler. Une population positive, prête à s'investir envers et contre tout, donnant sans compter son temps et son énergie. Et dans la situation actuelle, comment imaginer qu'entre ces deux Frances qui s'opposent, la confrontation ne fasse autre chose que s'intensifier !

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