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par Antoine Champagne - kitetoa

La vérité, le droit et le macronisme sont sur un bateau...

Les deux premiers tombent à l'eau et se noient

Les délires sur le mode « faits alternatifs » et « post vérité » ne sont finalement pas réservés à Trump et ses adorateurs. La gestion de la crise des agriculteurs démontre que par peur d'une « Jacquerie », par veulerie, le gouvernement, piloté en sous-main par Emmanuel Macron est capable de s'assoir sur le droit et d'énoncer des mensonges plus gros que l'ego du président lui-même. C'est dire.

Arrestation de Farida le 16 juin 2020. Elle n'avait pas de tracteur, son coup de sang n'était pas légitime. - © Antoine Guibert

« En tant que ministre de l'intérieur, à la demande du président et du premier ministre, je les laisse faire », à expliqué Gérald Darmanin sur TF1. Il faut bien écouter le ministre et ne pas se focaliser immédiatement sur la suite de son discours. C'est à la demande d'Emmanuel Macron et de Gabriel Attal que le ministre de l'Intérieur impose aux forces de l'ordre de ne pas intervenir contre les agriculteurs en colère. L'exécutif décide donc désormais de manière complètement arbitraire qui peut manifester, mettre le feu, ravager des parkings de supermarchés, bloquer la circulation sur des centaines de kilomètres de routes sans risquer la moindre répercussion. Emmanuel Macron et Gabriel Atal ont demandé à Gérald Darmanin de les « laisser faire ».

Devant Gilles Bouleau, un journaliste de TF1 pourtant pas soupçonnable d'être à la solde de l'extrême-gauche mais totalement éberlué, le ministre a précisé ses propos. « Est-ce que les agriculteurs ont le droit de revendiquer ? Est-ce qu’ils souffrent ? Oui, ils souffrent et ils ont le droit de revendiquer. Est-ce qu’on doit les laisser faire sans envoyer les CRS ? Oui. Je les laisse faire ». Tout de même, relève Gilles Bouleau, les agriculteurs ont défoncé la grille de la préfecture de Bordeaux... « Est-ce que les agriculteurs s’en prennent aux policiers ou aux gendarmes ? Est-ce qu’ils mettent le feu aux bâtiments publics ? », explique le ministre de l'intérieur. Un mensonge plus gros que l'ego du président de la république puisque lorsqu'il prononce ces mots, il sait que les agriculteurs ont fait exploser un bâtiment de la Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL) à Carcassonne. Une bombe, des attaques contre les bâtiments de plusieurs préfectures, des centaines de kilomètres de routes rendues impraticables (entrave à la circulation), visiblement, tout cela a échappé à l'exécutif.

Gérald Darmanin qui n'a pas souvent fait preuve de compassion depuis qu'il est à son poste, se sent soudain habité par l'esprit de l'Abbé Pierre : « Les agriculteurs travaillent et quand ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre. On ne répond pas à la souffrance en envoyant les CRS. Il y a une grande compassion et une grande écoute à avoir. »

Tu t'es vu quand t'es pas agriculteur ?

Ces mensonges sont un basculement définitif de l'exécutif dans le camp des adeptes des « faits alternatifs » et de la « post vérité », sujets que l'on pensait réservés à Donald Trump, ses adorateurs et quelques complotistes illuminés. Ce basculement est un signe terrible pour la démocratie et le vivre ensemble car il donne comme indication que chacun peut détenir  sa  vérité et que chaque « vérité » (aussi fausse soit-elle) est une vérité qui doit être reconnue et prise en compte par tous, comme telle. Si un ministre de l'intérieur peut asséner à la télévision que des manifestants qui mettent le feu devant les préfectures, défoncent les grilles, bloquent les routes ne font rien de tout cela, en dépit des images qui montrent le contraire, chacun peut affirmer ce que bon lui semble. C'est une porte ouverte sur une fracturation totale de la société avec ses micro-communautés, chacune énonçant son catéchisme auquel tous doivent se plier.

Les agriculteurs « labourent » le parking d'un supermarché de Clermont-l'Hérault le 25 janvier

Pire, l'exécutif revisite l'état de droit. Il décide que des faits normalement réprimés par la justice ne doivent pas être poursuivis. C'est le règne de l'arbitraire.

Avec sa nouvelle vision du droit et des manifestants, de leurs souffrances, Emmanuel Macron, Gabriel Attal et Gérald Darmanin inventent les bons manifestants et les mauvais manifestants. Les bon manifestants peuvent bloquer des centaines de kilomètres de routes dans tout le pays, asperger les préfectures de purin, allumer des feux de pneus et de branchages devant les préfectures, défoncer leurs grilles, pendre des animaux morts devant les bâtiments publics, ils ne risquent rien, pas même une petite réprimande des forces de l'ordre présentes, au contraire, comme l'a rapporté Clément Lanot, les policier vont les escorter pour qu'ils puissent aller faire tout cela en toute sécurité. Et puis il y a les mauvais manifestants. Ceux-là recevront arbitrairement des tirs de LDB dans la tête, seront tabassés et laissés pour morts parce qu'ils rentraient chez eux un jour de manifestation, recevront des déluges de gaz lacrymogènes parce qu'ils marchaient dans les rues pacifiquement... La différence entre ces deux types de manifestants ? Difficile à dire, seul l'exécutif à la réponse. C'est cela l'arbitraire, ce sentiment qui garantit un pourrissement du vivre ensemble.

Dans son décompte « Allô place Beauvau ? », David Dufresne avait relevé 4 décès, 353 blessures à la tête, 30 éborgnés, 6 mains arrachées. Reflets a été le premier journal à dresser un bilan des blessés parmi les gilets jaunes. Nous avions alors choisi de montrer, avec leur accord, leurs visages. Ces visages mutilés à jamais, ce sont ceux des mauvais manifestants. Si l'on suit le discours de Gérald Darmanin, ce sont des gens qui ne travaillent pas, qui ne souffrent pas, des manifestants dont « les coups de sang » ne sont pas légitimes, il ne faut pas « entendre leurs revendications », ils ne sont pas « patriotes ».

Tous ces manifestants, les gilets jaunes, ceux en lutte conte le recul de l'âge de la retraite, tous ces écologistes qui agissent pour préserver le climat, tous ces soignants, tous tabassés, menottés, trainés par les cheveux, les profs noyés sous les gaz lacrymos, tous ces « mauvais manifestants », tous ces migrants dont les tentes ont été lacérées, les couvertures jetées à la benne, sont classés par l'exécutif comme des citoyens différents. De seconde zone. Ils méritent la violence légitime de l'État.

Tandis que les bons manifestants peuvent se livrer à leurs exactions sans risque, les forces de l'ordre les escorteront même sur les lieux de leurs dégradations.

Après dix ans de macronisme, il ne restera plus rien de ce qui nous faisait faire société.

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