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Dossier
par Jacques Duplessy

"La seule issue pour les Ehpad sera un vaccin"

Face au défi du Covid-19, le problème est de tenir dans la durée

A l'Ephad de Saint-Paulien en Haute-Loire, les résidents souffrent de l'isolement. Et le personnel commence à s'épuiser. L'hôpital du Puy-en-Velay leur parle d'un déconfinement en décembre pour les structures d'accueil des personnes âgées. Une douche froide pour sa directrice, Nathalie Cottier. Épisode 4.

Visioconférence avec la famille - D.R.

Comment se passe la vie dans l’établissement ?

Ça va toujours, mais c’est dur. Il est 19h et là je reprends à 20h pour des visioconférences par Skype. Tous les résidents veulent parler à leurs familles, mais je ne peux pas me couper en 62. Ce sont des semaines de dingue… Je suis sur les rotules. Je n’ai pas une minute pour m’assoir. Il y a beaucoup de choses à faire en même temps. Pour les visioconférences, on n’a qu’un ordinateur. Donc j’utilise aussi mon téléphone personnel. J’ai explosé le forfait. (rires) Le problème est que les résidents ne vont pas bien. La famille leur manque. Certains ne comprennent pas le confinement, ils pensent que leur famille les a abandonnés. Quand je tiens le téléphone avec la famille, je suis au milieu des pleurs des uns et des autres. Il faut que je gère avec le résident. C’est lourd émotionnellement. Notre psychologue continue de venir une fois par semaine. C’est précieux. Certains Ehpad leur refusent l’entrée. Je trouve ça absurde. Les résidents en ont besoin. Surtout que c’est parti pour durer…

Que vous disent les autorités à ce sujet ?

L’équipe d’hygiène hospitalière est venue pour voir comment ça allait et donner des conseils. Ils nous ont dit que le confinement dans les Ehpad pourrait durer jusqu’en décembre ! Je ne sais pas comment on va tenir dans la durée. On sait qu’un moment ou à un autre l’épidémie va arriver chez nous.

Et sur le plan sanitaire ?

Nous nous sommes préparés au mieux. J’ai équipé une salle Covid. J’ai acheté un lit, un électrocardiogramme, des tensiomètres en plus. Je n’avais pas de budget mais il fallait bien anticiper. La bonne nouvelle est que j’ai vu passer une possibilité de financement par la Fondation des hôpitaux de France. J'ai fait le dossier et j'ai tenté ma chance. En deux jours, j’ai eu une réponse positive et l’argent huit jours plus tard, ce 8 avril. Les 3700 € couvrent l’intégralité de mes achats Covid. D’habitude, toutes les demandes de subvention mettent des mois. J’étais très contente. Les masques sont toujours livrés tous les vendredis, ça fonctionne. Mais c’est notre trésor, on les compte un à un, on les gère dans un tableau pour chaque personnel. On n’a que deux masques chirurgicaux par jour pour les soignants. Ce que je ne comprends pas c'est que l’usine Michelin pas loin, qui vient de rouvrir, donne quatre masques par jour à ses ouvriers. Ils sont mieux traités que nous… Je ne comprends pas, ça m’énerve cette incohérence. Ça me décourage..

En dehors des masques, vous manquez de matériel ?

On manque de surblouses. Mais des couturières bénévoles du coin nous ont livré 40 blouses aujourd’hui. On met un tablier en plastique et ça fera l’affaire. J’ai envoyé à l’hôpital la liste de médicaments nécessaires en cas d’épidémie. Je l'ai établie avec notre médecin coordinateur la semaine dernière. Depuis on n’a pas de nouvelle, mais bon… Surtout que l’hôpital nous a annoncé qu’en cas de cas fortement suspect ou de malade avéré, il serait transféré à l’hôpital. Dans notre zone, il y a très peu de cas, donc l’hôpital a des places. Mon médecin a lancé aussi un appel aux généralistes du coin pour avoir du renfort en cas de besoin.

Vous êtes inquiète ?

Je sais que la seule issue pour nous, c’est l’arrivée d’un vaccin. Sinon, il n’y a pas de solution pour prévenir l’épidémie chez les personnes âgées en institution. Les débats sur la chloroquine sur les plateaux télé, ça nous fait rire. Ils se déchirent en direct. C’est complètement fou ! Que ça marche ou pas, je ne pense pas que ça change grand-chose pour nos résidents, vue les contre-indications cardiaques. Les tests, je ne suis pas non plus convaincue. Le personnel de l’hôpital du Puy nous a dit qu’il y avait beaucoup de faux négatifs. Et puis, on peut être contaminé le lendemain… On ne va pas se tester tous les jours… Quand une personne revient de l’hôpital quelle qu’en soit la raison, on considère qu’elle est à risque Covid et on l’isole strictement 14 jours. Si une personne était suspectée d’être atteinte du virus, même dépistée négative, on l’isolerait 14 jours. On parle beaucoup des Ehpad, mais il faudrait aussi s’intéresser à ce qui se passe dans les foyers de personnes handicapées. Ils ont l’habitude d’une vie communautaire avec beaucoup de contacts. L’équipe d’hygiène hospitalière m’a dit qu’ils n’avaient ni les pratiques, ni le matériel pour se protéger. Si le Covid entre là, ça sera une autre tragédie.

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