Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Marie-Thérèse Neuilly

La résilience, une vertu républicaine ?

L'armée a lancé une opération dans le cadre de la lutte contre le coronavirus

Nous sommes en guerre, nous dit le président. L'armée a elle-même lancé une opération dite "Résilience". Bientôt le retour de la Médaille d’honneur des épidémies ?

OpRésilience - Copie d'écran defense.gouv.fr

Pour parler de la pandémie qui affecte le monde depuis la fin de l’année 2019, on emploie des registres de vocabulaires de natures différentes : il s’agit du médical bien sûr, on ausculte les chiffres, on se demande si tel fléchissement de la courbe nous fait rentrer en rémission, s’il faut craindre une rechute, on espère la guérison. Le mal dans le secteur économique va s’appeler récession, et voilà qu’arrive le 20 mars 2020 le vocable militaire : nous sommes en guerre (cela avait été déclaré à la veille du confinement), le Président de la république, chef des armées, déclenche « L’opération résilience ».

De la migration d’un terme issu de la marine, emprunté par les organisations internationales chargées de faire repartir l’économie après une catastrophe, capté par les écologistes qui voient dans le processus de résilience une possibilité pour Gaïa de se régénérer. La résilience permet à la Terre de reprendre des forces, et puis voilà que ce mot porteur de régénérescence est saisi par le pouvoir, intégré dans une séquence guerrière. Le Président dit : « Nous sommes en guerre ».

Le terme résilience va avoir des acceptions diverses en fonction de ces divers champs. Pour ce qui est de la psychologie, de l’économie, de la sociologie, de l’écologie, des sciences humaines en général, la résilience concerne la capacité qu’aura un système donné de surmonter les altérations provoquées par des chocs qui l’ont perturbé, pour retrouver ses possibilités de fonctionner.

La résilience des sociétés (résilience communautaire) renvoie à la capacité d’une société à être préparée aux chocs et aux crises, ainsi qu’à sa capacité à les surmonter. Si on prend l’exemple de pandémies, dans les époques où elles sévissent, la résilience des sociétés consistera à mettre en place des stratégies efficientes pour s’en protéger, par exemple par le confinement ou le non- confinement. Les communautés ont su progressivement s’adapter en adoptant des normes de comportement spécifiques pour arriver à lutter contre la propagation du virus. En ce sens, elles ont amélioré leur résilience.

Dans le champ de la psychologie, la notion de résilience renvoie à l’ensemble des processus qui vont permettre à un individu de surmonter un traumatisme psychologique afin de l’intégrer dans le fil de son existence sans conséquences dommageables.

Pour examiner les aspects militaires de cette terminologie, voyons ce qui en est dit sur le site du gouvernement,

« Lancée le 25 mars 2020, l’opération « Résilience constitue la contribution des armées à l’engagement interministériel contre la propagation du Covid-19. Elle est centrée sur l’aide et le soutien aux populations ainsi que sur l’appui aux services publics pour faire face à cette épidémie, en métropole et outre-mer, dans les domaines de la santé, de la logistique et de la protection. Les armées s’engagent dans l’ensemble des secteurs où elles peuvent apporter un soutien aux autorités civiles, en adaptant leurs actions aux contextes locaux et dans le cadre d’un dialogue avec les autorités de l’Etat. »

Il y a ainsi une certaine solennité conférée à l’opération, et le mot résilience s’enrichit- ou se rigidifie- dans cette nouvelle acception. Il est vrai que pour aller dans le sens de ce dernier point de vue, il s’agit de pouvoir faire face à la menace d’une deuxième vague épidémique, les contrôles sanitaires seront renforcés, et seront mis en place des brigades sanitaires d’urgence, dans un état persistant d’urgence sanitaire.

Pourtant bien que l’on soit dans un registre guerrier, on reste enfermés, confinés, il nous faut nous protéger pour sortir. Avec nos autorisations dérogatoires limitées dans le temps et dans l’espace, le traçage éventuel peut évoquer dans nos imaginaires le port du bracelet électronique. On arrive à la veille de la levée d’écrou, mais toute incartade sera retenue contre nous, et risquera de nous faire replonger dans l’enfermement.

Le 28 avril 2020 le premier Ministre Edouard Philippe clos sa présentation du plan de déconfinement à la tribune de l’Assemblée nationale par un appel : « La France est dans un moment où ceux qui l’aiment et la servent doivent être à la hauteur ». Avant de rappeler le sens de la « vertu », cette « antique qualité dans laquelle les Romains ont puisé leur force », qui mêle « rectitude, honnêteté et courage ». Une référence déjà utilisée lors de son premier discours de politique générale, en juillet 2017. Edouard Philippe disait alors : « Pour redevenir elle-même, la France doit rétablir la confiance et d’abord la confiance des Français en l’action publique. Je parle bien de confiance et pas de morale…Je crois au vieux mot romain de « vertu » qui recouvre à la fois l’honnêteté, la rectitude et le courage.

La vertu composée de rectitude, honnêteté, courage, nous renvoie d’abord à ce que peut vouloir dire cet étayage, il y a là la déclinaison des qualités de celui qui dans l’espace public va nous inspirer confiance, qualités dont est paré l’être vertueux, cette capacité à faire le bien, cette prédisposition aux bonnes actions. Mais une des caractéristiques de toute situation de crise c’est d’être génératrice d’incertitudes, et comme telle troublante pour l’individu qui ne sait plus quelles décisions prendre. Même les scientifiques contribuent à ce désordre, d’eux aussi le profane doit se défier. Défiance par rapport aux politiques, défiance par rapport à l’OMS, avec une polémique qui enfle…

Pour dépasser les affrontements l’appel à l’unité nationale et aux vertus est faible. Les enjeux dans une crise sanitaire, économique et sociale sont multiples, complexes. La peur plane, le sentiment d’insécurité prévaut. Mais les exigences de l’économie appellent un redémarrage. L’urgence a permis une rupture brutale, brisant le continuum de la vie économique et sociale. Mais la reprise se fait sur fond de discorde, d’incongruité : où sont les masques ?

La résilience, inscrite dans l’opération militaire devient une nouvelle vertu citoyenne, républicaine.

Il faut se souvenir que les épidémies ont permis aux populations civiles et militaires de faire preuve d’héroïsme, et il fut créé la Médaille d’honneur des épidémies en 1885. Marquée par l’histoire coloniale, et les épidémies de peste et de choléra qui affectèrent à plusieurs reprises la métropole et les territoires d’Outre-mer, elle récompensait les personnes qui s’étaient distinguées en :

  • « s’exposant à des dangers de contamination, en donnant des soins à des malades atteints d’affections contagieuses » ;
  • « préservant, par une intervention personnelle et digne d’être signalée, un territoire ou une localité de l’invasion d’une maladie épidémique »;
  • « contribuant à répandre la pratique de la désinfection ou en participant aux opérations de désinfection au cours d’une épidémie ».

Actuellement c’est la médaille d’honneur du Service de santé des armées qui a remplacé la Médaille d’honneur des épidémies, c’est une distinction récompensant les « personnes qui ont apporté ou prêté leur concours » au Service de santé des armées, qu’elles soient militaires ou civiles et « qui se sont particulièrement signalées par leurs services ou leur dévouement ».

Dans le cas présent de « L’opération résilience », c’est l’Armée qui prête son concours à la population civile. On ne sait pas si sera remise à l’ordre du jour comme ce fut le cas en 1919 la Médaille d’honneur des épidémies, mais on peut noter que les applaudissements quotidiens pour célébrer les soignants vont dans ce sens. Les épidémies sont bien plus que des maladies. Elles traversent le corps social, elles développent la résilience des communautés, elles réinterrogent citoyenneté et république. Peut être même la notion de Vertu.

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