Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

La mondialisation heureuse remise en question

Pour combien de temps ?

La soudaine prise de conscience de la nécessité d'activités non rentables, des répercussions de la délocalisation à outrance, sera-t-elle oubliée sitôt le virus sorti de notre quotidien ?

L'homme qui a eu une révélation - D.R.

Même Emmanuel Macron, champion de la mondialisation heureuse, de la casse du service public et des acquis sociaux s'y est mis dans son premier discours sur l'impact en France du Coronavirus. « Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe ». Il y a là comme un aveu ou sorte de prise de conscience, la santé n'est pas un coût.

Un coût... Le mot est important. Depuis le mitan des années 80, tout est considéré, par principe comme un coût. Dans tous les domaines d'activités, tout est regardé comme un coût... à réduire bien entendu.

De ce changement de paradigme, est née une horde de cost-killers, des gens chargés de réduire les coûts. Les coûts humains, les coûts de production, tous les coûts. Armés de fichiers Excel, ils ont contribué à détruire allègrement des savoir-faire, des vies, une infrastructure. N'est-il pas plus « rationnel » de remplacer les correcteurs dans la presse par le correcteur orthographique de Word ? Plus « rationnel » d'envoyer les journalistes chercher de la doc sur Internet plutôt que de conserver un service de documentation ? Plus « rationnel » de délocaliser la production de tous les biens possibles et imaginables dans des pays où le droit du travail est tellement plus coulant que le coût de la main d'oeuvre y est dérisoire ? Concentrons-nous sur les services, laissons la production des biens aux pays en développement ! Youpla ! Et voilà que la plupart des médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde. Désolé s'il y a pénurie...

La Chine tient la planète pas les c**** : elle produit quasiment tout ce que nous consommons et elle détient une très grosse partie de la dette américaine. Si demain elle devait se replier sur elle-même ou entrer dans une diplomatie agressive, toute l'économie mondiale tousserait fort.

Les coûts... Le stock, c'est un coût aussi, ça. Allez, politique de zéro stocks, flux tendus permanents. Il y a donc désormais plus de produits de beauté dans les pharmacies que chez Sephora, comme nous l'écrivions en 2017... En tout cas quasiment plus de médicaments. « Je vous le commande, vous l'aurez ce soir ou demain, s'il n'y a pas rupture... »

Concevoir que disposer de milliers de lits non utilisés dans les hôpitaux, mais utilisables en cas de catastrophe n'est pas un coût mais une nécessité, voilà un truc impossible pour nos cost-killers, pour nos chantres du capitalisme débridé qui aimeraient privatiser tout ça parce que, vous comprenez ma bonne dame, le privé sait ce que c'est que faire du profit et ne dépense pas n'importe comment, il sait « rationaliser »... Jusqu'au jour où ils sont touchés par la maladie, jusqu'au jour où débarque un nouveau virus bien costaud que l'on ne sait pas soigner...

Que restera-t-il de ces constatations lorsque la crise sanitaire sera passée ? Probablement rien.

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