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par Antoine Champagne - kitetoa

La liberté d’informer devant la justice

L'audience en appel de Reflets contre Altice se tiendra ce mercredi 23 novembre

Peut-on censurer des articles qui ne sont pas encore écrits ? En première instance, le Tribunal de commerce de Nanterre a répondu oui. Mercredi, la cour d'appel de Versailles doit statuer à son tour. Et le 15 décembre, Reflets retourne au tribunal de commerce de Nanterre pour une audience au fond. Le Syndicat National des Journalistes s'est joint à l'affaire pour contrer cette attaque contre toute la profession.

cour d'appel de Versailles, façade Nord - Tiraden - Wikipedia - CC BY-SA 4.0

Rappel des faits : le 6 octobre, le tribunal de commerce de Nanterre statuait en référé sur la demande de trois entreprises du groupe Altice. Au nom de la protection du secret des affaires, elles demandaient le retrait de plusieurs articles publiés par Reflets sur la base de documents diffusés sur Internet par le groupe de ransomware Hive. Altice souhaitait également que nous ne puissions plus écrire d'articles à son sujet. Dans son ordonnance, rendue en référé, le tribunal a considéré que nous n'avions pas violé le secret des affaires, que nous ne devions pas retirer les articles déjà publiés, mais nous interdit toute nouvelle publication, sans précision de temps et de champ d'application.

Devant cette décision de justice, l'ensemble de la profession s'est mobilisée à l'appel du Fonds pour une presse libre. Plus de 100 médias indépendants et organisations de journalistes s’indignaient de la décision de justice obtenue par le milliardaire Patrick Drahi et son groupe Altice.

Cette attaque de Patrick Drahi est en effet un terrible révélateur de l'idée du journalisme que se font les milliardaires propriétaires de groupes de presse. Le buzz, le clash, l'enquête, pourquoi pas, tant que cela rapporte, mais surtout, que l'on ne parle pas de moi et de mes affaires. Cela donne à voir ce que devient la presse et les limites imposées aux journalistes. Les propriétaires de journaux n'ont même plus besoin de « faire pression » sur leurs journalistes. Ceux-ci se censurent eux-mêmes.

Verra-t-on un jour un article dans le Figaro évoquant les problèmes de la famille ou de l'entreprise Dassault ? Un article critique sur des entreprises du groupe LVMH dans Les Échos ou Le Parisien ? Une tribune énervée sur CNews, contre les procès-bâillon lancés par dizaines par Bolloré ?

Sans une presse libre, il n'y a pas de démocratie. La presse n'est pas un quatrième pouvoir, comme on l'entend souvent. Elle est simplement un outil permettant aux citoyens de s'informer pour prendre des décisions éclairées, sans se fonder sur un simple « ressenti ». Une fois informés, les citoyens peuvent exercer leur rôle dans la démocratie et participer à sa bonne marche. Dans le cas où la presse désinforme, informe partiellement ou de façon partiale, dans le cas où elle arrose d'essence le feu allumé par des complotistes ou des ennemis de la démocratie, cela finit comme le le 6 janvier 2021 au Capitole à Washington. Une leçon sur laquelle nous devrions méditer collectivement.

Mercredi 23 novembre à 14 heures, Reflets défendra donc en appel la liberté pour la presse d'informer les citoyens. C'est aussi pour cette raison, et pour lutter contre ce nouveau concept de « censure préventive » qu'implique la décision de première instance, que le Syndicat National des Journalistes (SNJ) s'est joint à l'affaire. Le droit permet à un syndicat professionnel d'intervenir dans une affaire tierce pour défendre les intérêts du groupement ou de ses membres, mais également en cas d’atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession.

« Le SNJ a mandaté l’avocat William Bourdon pour faire tomber ce jugement contraire aux principes fondamentaux de la République, de la Constitution française, des Droits de l'Homme et des dispositions légales européennes. Les conclusions du cabinet sont à lire ici», écrit le SNJ sur son site. Il appelle par ailleurs à se rassembler devant le tribunal mercredi pour « défendre la liberté d’informer et d’être informé ».

Retour à Nanterre le 15 décembre

Depuis nos premières publications, le journal Heidi.News en Suisse (lire leur enquête ici) et Le Monde (ici, et encore là), en France, ont commencé à explorer la masse de documents dévoilés par le groupe de ransomware Hive et concernant les entreprises de Patrick Drahi. Le milliardaire va-t-il les poursuivre avec la même ferveur, tenter de rayer de la surface du Net toute information qui lui déplairait ? Mystère. En attendant, il s'entête avec Reflets et nous a assigné au fond, cette fois, devant le tribunal de commerce le 15 décembre. Il ne s'agit plus de faire cesser dans l'urgence nos publications, mais de graver dans le marbre cette fois, tous les griefs qu'il a contre Reflets.

Les procédures lancées par Patrick Drahi se succèdent donc, comme nous l'anticipions. Il s'agit-là de procès-bâillon, les SLAPP, qui visent à épuiser les médias financièrement et détourner les journalistes de leur travail d'enquête, en les mobilisant sur leur défense pour des procès qui ne devraient pas avoir lieu. Nous avions évoqué cette démarche prisée de certains milliardaires comme Vincent Bolloré et désormais, Patrick Drahi dans cet article.

Nous devons donc faire face aux coûts financiers liés à ces procédures. Or, évidemment, Reflets n'a pas le même budget contentieux que le groupe Altice. Vous êtes nombreux à avoir participé à notre cagnotte sur J'aime l'Info (dons déductible des impôts à hauteur de 66%). Nous allons malheureusement devoir augmenter son montant car les dernières décisions de Patrick Drahi montrent qu'il souhaite aller plus loin.

Pour nous soutenir, vous pouvez parler de cette affaire sur vos réseaux sociaux préférés, faire un don pour notre cagnotte, mais surtout, vous abonner à Reflets.

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