Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jean Cloadec

La galère de l’indemnisation des effets secondaires des vaccins

Le long combat des victimes du vaccin H1N1 préfigure celui des victimes des vaccins contre le Covid

Pour se vacciner en confiance, il faudrait que les Français soient sûrs qu’ils seront bien indemnisés en cas d’effets secondaires. Notre enquête sur la prise en charge des victimes des effets secondaires du vaccin H1N1 montre que l’Oniam, l'Office en charge d'évaluer les préjudices, traîne les pieds et impose un parcours du combattant aux familles. Dix ans après, plus d'une centaines de familles ne sont toujours pas indemnisées.

Centre de vaccination devant l'Hôtel de Ville de Paris, juillet 2021 - © Reflets - CC

« Pour que les Français se vaccinent en confiance, il serait important qu’ils sachent qu’ils seront facilement et bien indemnisés, assène Me Charles Joseph-Oudin, avocat spécialiste en droit de la santé. Car il aura forcément des effets secondaires parmi les vaccinés contre le Covid-19. Il y en a déjà eu. Or, il y a eu un précédent avec le vaccin contre la grippe H1N1, et on voit comment l’indemnisation est un véritable parcours du combattant. La confiance sera plus grande si les personnes savent que les autorités publiques vont aider rapidement. »

C’est l’Etat via l’Oniam, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, qui est chargé des indemnisations. Théoriquement, c’est simple et rapide. Mais dans la réalité, pour être correctement indemnisé, c’est un véritable combat qui peut durer des années. Contacté, l'Oniam a répondu par un mail vide accompagné de deux pièces-jointe (voir en fin d'article).

Que sait-on des effets secondaires des vaccins contre le Covid ?

Les effets secondaires des différents vaccins contre le Covid existent, mais ils sont extrêmement rares. Mais rapportés au nombre très élevé de vaccinations, ce chiffre sera loin d’être anodin. Surtout que derrière chaque cas, il y a des souffrances et des vies brisées.

Depuis le début de la vaccination, les effets indésirables sont suivis et ont été analysés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Au 24 juin, selon l’agence, il y aurait eu :

  • 33.296 cas d’effets indésirables sur plus de 45.779.000 injections pour le Pfizer,
  • 6.213 cas pour le Moderna sur plus de 5.566.000 injections, 22.070 cas pour l’AstraZeneca
  • 243 cas sur plus de 609.000 injections avec le vaccin Janssen.

Soit un total d’au moins 61.824 cas d’effets secondaires signalés. 25 % sont classés « graves » par l’ANSM et 75% « non graves ».

L'agence du médicament surveille les rares cas de thrombose avec AstraZeneca (53 cas dont 13 décès ) et des troubles cardiaques avec Pfizer et Moderna (un peu moins de 200 cas enregistrés). Pour ces deux derniers vaccins, 25 cas grave de polyarthrite rhumatoïde ont été enregistrés.

Mais on ne connaît pas forcément encore tous les effets secondaires. Certains peuvent survenir des mois, voire des années après, comme le révèle la littérature médicale dans le cas du vaccin contre la grippe H1N1.

Récemment, une alerte vient d’être émise concernant la contre-indication du vaccin Astra Zeneca pour les personnes atteintes d’une maladie du sang très rare, le syndrome de fuite capillaire. « De très rares cas de syndrome de fuite capillaire (SFC) ont été signalés dans les premiers jours suivant la vaccination par Vaxzevria (Astra Zeneca). Un antécédent de SFC était présent dans certains cas. Une issue fatale a été signalée », écrit l’ANSM dans son communiqué.

La dernière alerte sur des effets secondaires de vaccins vient des États-Unis. L'agence américaine du médicament signale avec le vaccin Johnson & Johnson un risque accru de syndrome de Guillain-Barré, une atteinte neurologique parfois grave, mais extrêmement rare.

Il faut souligner que ces effets secondaires sont quasiment tous temporaires et d’évolution favorable. Les vaccins apportent un bénéficie réel face à la dangerosité de ce virus. Le rapport risques-bénéfices est de l’avis de la communauté scientifique, très positif.

Alors que la vaccination va devenir, dans les faits, quasi-obligatoire pour avoir une vie normale, la question de la vaccination se pose pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 12 ans. Mais les données sont encore lacunaires. On apprend, par exemple, dans le Daily Mail que le laboratoire Moderna va lancer une étude le 22 juillet pour déterminer si son vaccin est sûr pour les femmes enceintes, car les essais précédents ont inclus un trop petit nombre de femmes enceintes pour être significatif. En France, depuis le mois d’avril 2021, les femmes enceintes peuvent accéder aux vaccins à ARNm (Pfizer et Moderna) à partir du 2ème trimestre de grossesse, ainsi que l'explique l'Inserm dans une note : la vaccination dangereuse pour les femmes enceintes, vraiment ?

Le cas des victimes du vaccins H1N1

L’exemple de la vaccination contre la grippe H1N1 est instructif. En 2009, le monde est confronté à l'épidémie de grippe A H1N1. A l'été, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, préconise une vaccination de masse non obligatoire. 94 millions de vaccins sont commandés. Entre novembre 2009, début de la campagne de vaccination, et juin 2010, les centres ne vaccinent que 4.168.021 personnes.

L’Afssaps, l’Agence française de sécurité sanitaire, fait état d'un total de 2.657 signalements d'effets indésirables, la plupart bénins. Mais certaines personnes vaccinés ont des effets secondaires graves, comme la narcolepsie, l’endormissement soudain. Pour ces victimes, la bataille de l’indemnisation commence.

C’est l’Oniam, l’Office national d’indemnisation des accident médicaux, qui est chargé en France d’évaluer le préjudice et d’indemniser les victimes. Mais son fonctionnement est souvent opaque. Et elle évalue souvent au minimum le montant des indemnités si la famille n’est pas assistée par un avocat, comme le montrent les témoignages que nous avons recueilli.

L'Oniam endort les victimes du vaccin H1N1

Diane, 11 ans à l'époque, a reçu le vaccin Pandemrix du laboratoire de GlaxoSmithKline Biologicals (GSK). « Trois mois plus tard, je m'endormais n'importe quand, parfois même, je m'écroulais soudainement, raconte la jeune femme. J'étais consciente mais mes muscles étaient relaxés comme dans un sommeil profond. Je me suis fait mal plusieurs fois en tombant. »

Diane est atteinte de narcolepsie, le syndrome qui provoque un endormissement rapide, avec cataplexie, une perte brutale de tonus musculaire. Ils seraient environ 350 en France à être touchés après avoir reçu les vaccins Pandemrix ou Panenza. « J'étais une enfant vive qui bougeait tout le temps, alors mes parents ne comprenait pas ce qui m'arrivait, je m'endormais en classe, mes notes ont chuté. » Les médecins mettent près de 18 mois à poser un diagnostic. « J'ai une forme assez grave, et il a été difficile de trouver le bon traitement. Aujourd'hui, je prends une dizaine de comprimés par jour, des stimulants pour la journée, des anxiolytiques, un somnifère pour dormir... Avec ça, j'ai une vie à peu près normale. » Mais ses études en ont souffert. « J'ai du me battre toute ces années, je peux m'endormir en plein contrôle. J'ai viens d'obtenir un Master I en droit international à Assas, mais je n'ai pas été prise en Master II, car on m'a dit que mes résultats étaient insuffisants. » Mais Diane compte bien retenter sa chance.

Il n'y a pas que les études qui ont été un combat. L'indemnisation par l'Oniam aussi. « L'office machin... ça a été un long processus. Mes parents ont déposé la demande début 2013, sans avocat ni médecin pour nous aider. D'après les textes, ils avaient six mois pour se prononcer. Nous n'avions aucune nouvelle alors ma mère a écrit au ministre de la Santé. En décembre, on a eu une réponse de la ministre et l'Oniam a désigné un expert. La première expertise s'est très mal passée. L'expert a rendu son rapport au bout de neuf mois, il était bourré de fautes, incomplet, mes atteintes étaient sous-estimées. Comme j'étais très jeune, ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas évaluer le préjudice. J'ai été choquée car j'ai eu l'impression de ne pas être écoutée. » La famille demande une nouvelle expertise. « C'est vraiment éprouvant, il faut tout raconter. Mais ça s'est mieux passé. Ma mère avait demandé au directeur juridique de l'Oniam s'il y aurait une différence de traitement si on était assisté par un avocat. Il a dit non, donc elle n'en a pas pris. »

Calcul le moins favorable aux victimes

Le 4 août 2015, la famille reçoit une première proposition d'indemnisation de l'Oniam d'environ 145.000 €. « On ne savait pas si c'était correct ou pas. Le jour même où nous allions signer le protocole, on a reçu une lettre de la juge des tutelles nommée pour défendre mes intérêts qui nous a mis dans une colère noire. » Dans sa lettre que Reflets a pu lire, la juge écrit : « Les rapports d'expertise diffèrent et l'Oniam a retenu dans ses propositions d'indemnisation ce qui était le moins favorable pour votre fille afin d'indemniser le moins. »

Sa mère se tourne alors vers l’avocat Charles Joseph-Oudin, particulièrement investi dans ce dossier du H1N1. « Et là, comme par magie, tout s'est accéléré. Et on ne parlait plus des mêmes montants. Début 2016, on a reçu une proposition d'indemnisation de 512.000 €. Clairement, on n'a pas le même traitement sans avocat. C'est scandaleux ! »

« L'Oniam se veut facilement accessible pour toutes les victimes : aucun coût, pas besoin d'avocat, réagit Charles Joseph-Oudin. Cette gratuité est une bonne idée... sur le papier. Mais le problème est que les affaires sont traitées sans aucun regard extérieur et les relations sont déséquilibrées entre les victimes et l'institution. Donc le règlement se fait au détriment des victimes. Par exemple, l'expert qui est chargé d'évaluer le préjudice ne relève pas et ne propose pas d'indemnisation pour ce que la victime ne demande pas. Or une victime ne sait pas toujours ce qu'elle peut demander. Il faut s'y connaître. »

Dans plusieurs cas, les affaires se sont terminées devant le tribunal administratif. C'est le cas pour une famille de l'ouest de la France, dont le fils Marc* (prénom d'emprunt) présente les mêmes symptômes que Diane. Alors que l'Oniam proposait une indemnisation à hauteur de 166.000 €, le tribunal administratif de Rennes lui a accordé en septembre 2020 la somme de 1,3 million d'euros, soit près de dix fois la somme proposée par l’État !

Effets secondaires jusqu’à huit ans après l’injection

Un autre problème est la question de l’établissement du lien de causalité entre les effets secondaires et le vaccin H1N1. « L’Oniam estime que les effets secondaires doivent être pris en compte s’ils sont apparus jusqu’à 12 mois après l’injection du vaccin, explique Me Joseph-Oudin. Or la littérature médicale révèle aujourd'hui que les effets secondaires peuvent survenir jusqu’à huit ans après la vaccination pour établir la causalité. Donc, pour obtenir gain de cause, nous devons à chaque fois saisir le tribunal administratif contre l’Oniam, et à chaque fois l’Office est condamnée à réexaminer le dossier. »

« J’ai encore plus de 100 dossiers H1N1 en cours sans offre d’indemnisation de l’Office pour des vaccinations survenue en 2009-2010, déplore Charles Joseph-Oudin L'autorité publique les laisse pourrir, c'est scandaleux ! »

Certains, comme Manon, viennent enfin mi-juin d'être indemnisés par l'Oniam, onze ans après l'injection qui lui a causé sa cataplexie.

« On a jamais eu une seule offre de l'Office, on me disait que mes symptômes étaient venus trop tard, raconte la jeune femme. Finalement, le ministère de la Santé, dont dépend l'Oniam, m'a donné raison. Il y a eu une nouvelle expertise. Et puis rien... Je suis révoltée ! » nous déclarait Manon, rencontrée il y a près d'un an.

Manon reçoit l'injection en 2009. Les effets secondaires du vaccins ne se manifestent que vingt mois plus tard. Une requête en indemnisation est déposée en octobre 2014. En mai 2015, le premier rapport d’expertise conclut au lien de causalité de façon « quasi-certaine » entre sa cataplexie et le vaccin.

Mais le 16 juillet 2015, sa demande d’indemnisation est rejetée car les symptômes de Manon seraient apparus au mois de juillet 2011 et qu’un délai de vingt mois se serait donc écoulé entre l’injection et la prétendue date d'apparition des symptômes. Donc, selon l'Oniam, ce délai ne permet pas de retenir l’existence d’un lien de causalité. Deux mois, plus tard, son avocat saisit le tribunal administratif de Melun.

L'Oniam étendra un peu plus tard le délai de causalité à un an après l'injection, alors que la littérature scientifique considère déjà à ce moment-là que ce délai s’étend jusqu’à deux ans après la vaccination.

En 2019, après de nouvelles expertises, l'Oniam reconnaît le cas de Manon comme lié à sa vaccination. Et puis rien. Aucune proposition d’indemnisation. Elle subira encore un nouvelle expertise en 2020. Son avocat demande finalement que l'indemnisation soit directement calculée par le tribunal administratif. Le jugement a été rendu le 18 juin. Il prévoit un capital et une rente à vie. Pour compenser les effets de sa cataplexie, Manon doit prendre quotidiennement des amphétamines pour se tenir éveillée la journée et du Xyrem, plus connu sous le nom de GHB, pour dormir.

Tirer des enseignements pour les victimes à venir

Pour Me Charles Joseph-Oudin, il est essentiel que le gouvernement tire des enseignements des problèmes rencontrés après la vaccination contre la grippe H1N1. « Déjà, il serait bon que le gouvernement ordonne à l'Oniam de purger ces dossiers vieux de plus de dix ans, estime l'avocat. Ensuite il y a un gros travail pour muscler notre pharmacovigilance, pour être sûrs que l'on détectera les effets secondaires, même s'il s'agit de petits nombres_. »

Un des problèmes rencontrés dans la vaccination H1N1 est qu'il a d'abord été difficile de prouver que la personne avait bien été vacciné. Le gouvernement doit donc tout mettre en oeuvre pour conserver les certificats de vaccination, y compris pour des effets secondaires qui pourraient se révéler dans plusieurs années.

Le cas H1N1 a révélé que notre pharmacovigilance avait échoué à repérer les petits nombre de cas de narcolepsie - cataplexie, selon Me Joseph-Oudin. C'est grâce aux informations venues des pays du Nord de l'Europe que l'alerte a été donnée. Il est donc essentiel d'améliorer nos moyens de détection pour des pathologies pouvant survenir dans des petits nombres de cas, parfois plusieurs années plus tard.

La question de la causalité entre le vaccin et l'effet secondaire doit ensuite être établie. « Il faut arriver à montrer que ces maladies ne sont pas le fruit d'un hasard ou d'une anomalie statistique, raconte l'avocat. Ce n'est pas toujours simple. Il est donc nécessaire que l'Etat finance les équipes médicales qui vont faire des recherches sur ces effets secondaires_. »

Reste l'éternelle question de l'argent pour les victimes. Si l'Oniam se montre aussi radin, c'est qu'elle sait que, dans la plupart des cas, les laboratoires ne paieront jamais la facture, et que c'est la solidarité nationale qui va les indemniser. Pour le vaccin H1N1, l'Etat a signé un accord avec les laboratoires dans lequel ils déclarent qu'ils n'assumeront pas les conséquences financières des effets indésirables. C’est le même type d’accord qui a été signé pour les vaccins contre le Covid. Les labos ont un pouvoir immense.

L'Oniam n'est pas causant

Nous avons adressé des question à l'Oniam :

  • Comment expliquez vous la durée d'indemnisation des victimes du vaccin H1N1 ?
  • Pourquoi, plus du de 10 ans après, une centaine de dossiers sont toujours à l'instruction et de nombreuses familles n'ont toujours pas reçu d'offre d'indemnisation ?
  • Comment expliquez vous les différences d'indemnisation très importante entre celles proposées par l'Oniam et celles obtenues devant les tribunaux administratifs ?
  • Mettez vous en place un dispositif particulier pour préparer l'afflux de dossiers lié aux effets secondaires des vaccins contre le Covid ?

En réponse à nos questions, l'Oniam nous a répondu par un mail totalement vide, sans un mot d'accompagnement mais contenant deux pièces-jointes :

  • un formulaire de demande d'indemnisation
  • une fiche pratique sur les indemnisations des accidents vaccinaux dus aux mesures sanitaires d'urgence par la voie du règlement amiable daté du 15 janvier 2021 (donc portant sur le Covid).

MISE A JOUR LE 22/07 à 14h M. Sébastien Leloup, directeur de l'Oniam nous a finalement adressé la réponse suivante: Il doit être rappelé que le nombre des victimes ayant saisi l’ONIAM au titre du H1N1 est inférieur à 200 et que l’analyse des effets indésirables des vaccins utilisés pendant la pandémie grippale de 2009/2010 n’a pas permis de dégager des critères d’imputabilité avant 2013.

Des nouvelles orientations ont été données en 2018 au traitement de ces dossiers par l'ONIAM ; elles résultent de la prise en compte de l’évolution des connaissances scientifiques qui a permis de reconnaitre imputables aux vaccins contre la grippe A(H1N1)2009 des dommages jusqu’alors écartés.

Comme ce fut le cas pour les victimes du Médiator (benfluorex), il a paru inéquitable de ne pas rouvrir les dossiers des personnes dont les réclamations avaient été rejetées, alors qu’elles pourraient désormais recevoir un avis favorable.

Par ailleurs et afin que tous les dossiers fassent l’objet d’un examen coordonné, une nouvelle expertise collégiale a été mise en place.

S’agissant du traitement des réclamations correspondants à des produits de santé, le nombre des cohortes concernées et la multiplicité des paramètres médicaux à prendre en considération ainsi que la nécessité de réserver un examen équitable des dossiers créent en effet des goulots d’étranglement, qui ne permettent pas de respecter les délais légaux de règlement amiable des indemnités. En ce qui concerne les dossiers dits H1N1, dont le traitement touche à sa fin, il n’est pas envisagé de prendre de nouvelles mesures.

L’indemnisation des personnes ayant bénéficié des vaccins anti-covid sera assurée par l’ONIAM dans le cadre du dispositif prévu par l’article L. 3131-4 du code de la santé publique créé en 2007.

5 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée