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par Jacques Duplessy

La France éjectée du Mali

Antoine Glaser décrypte la position de la France en Afrique

Le président Macron a annoncé aujourd'hui le départ de Barkhane du Mali et le redéploiement des forces françaises vers le Niger. Le fondateur de La lettre du continent et spécialiste de la « Françafrique » explique pourquoi la France a perdu pied au Sahel.

Opération Barkhane au Mali - État-major des armées - EMA

Emmanuel Macron a confirmé ce jeudi 17 février que les troupes françaises de l’opération Barkhane et de leurs alliés de l’opération Takuba allaient se retirer du Mali. Mais pour le président français, ce n'est pas un échec, juste un « retrait coordonné » des forces militaires. « En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les États européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations », indique la déclaration commune signée par la France, ses alliés européens et le Canada

Des militaires seront toutefois redéployés au Niger voisin. « Le cœur de cette action ne sera plus au Mali, mais sera au Niger », a déclaré le président français qui affirme délivrer « un message de continuité à notre engagement dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ».

Actuellement, 4.600 militaires français sont déployés dans la bande saharo-sahélienne dont 2.400 au Mali, a indiqué le porte-parole de l’état-major. Ce nombre devrait tomber à entre 2.500 et 3.000 hommes à terme (pour une région qui fait 10 fois la France en taille). Barkhane devrait avoir quitté le Mali d'ici 4 à 6 mois. 53 militaires sont morts dont 48 au Mali.

Antoine Glaser, fondateur de La lettre du continent et spécialiste de la « Françafrique » nous explique les malentendus et les erreurs commises par la France.

Les relations entre la junte malienne et la France sont très tendues. La France est-elle éjectée du Sahel ?

Antoine Glaser : La France vit en Afrique un anachronisme historique. Elle se croyait chez elle au Mali. Barkhane était hors sol par rapport à la réalité sociale du pays. Avec Barkhane, les jeunes ont l'impression d'être replongés dans la période de la guerre froide et de la Françafrique. A cette période, la France cooptait les présidents, détenait des marchés économiques, avait un accès privilégié à l’uranium et au pétrole. Les jeunes ont l’impression qu’on est toujours dans ce système intégré. Mais ce n’est plus vrai. La part des exportations française en Afrique a été divisée par deux en 15 ans, passant aujourd’hui à 5,5 %. Nous sommes même derrière l’Allemagne, et très loin derrière la Chine qui a 11 % de parts de marché. La présence de l’armée française en Afrique sert de cache misère. La France n’a plus ni le même pouvoir politique, ni la rente économique.

En 2013, l’armée française était acclamée lors de l’opération Serval qui avait permis d’éviter que Bamako tombe aux main des islamistes puis de reprendre le contrôle du Nord du pays. Mais le fait que l’opération se soit prolongée avec Barkhane à isolé progressivement la France. Emmanuel Macron a échoué à légitimer cette présence militaire pour la lutte anti-terroriste, et ce malgré la création du groupe de forces spéciales Takuba. Les jeunes ont l’impression qu’on est resté dans cette période franco-africaine d’un autre temps. Le Franc CFA accentue cette illusion.

Mais c’est aussi en partie la faute des politiques français. La France a vu la chute du mur de Berlin, mais n’a pas vu ou voulu voir que l’Afrique se mondialisait.

Donc l’Afrique est redevenu un enjeu géostratégique, dont la France n’est qu’un des acteurs ?

Tout à fait. La Chine est arrivée en force sur le continent au début des années 2000 et a rendu de nouveau l’Afrique géostratégique. Elle s’est investie dans le contrôle des matières premières stratégiques comme le coltan ou le cuivre, indispensables dans les technologies moderne et l’armement. On a l'impression aussi qu'elle s'est partagée le travail avec la Russie. Cette dernière s'occupe de la guerre informationnelle et de la sécurité, alors que la Chine s’investit dans l'économie. Mais les deux pays ont clairement une alliance au Conseil de sécurité des Nations Unies. Des puissances émergentes ou moyennes comme la Turquie ou l’Allemagne sont aussi de plus en plus présentes. Les alliés de la France grignotent même ses parts de marché. En résumé, la France fait la sécurité pendant que ses alliés font le business.

Et cette implication militaire visible lui attire beaucoup de critiques…

La France perd pied pour de multiples raisons : ses relations biaisées avec des autocrates souvent détestés, la baisse de son influence économique et son image interventionniste en raison des déploiements militaires. L’image de la Françafrique lui colle toujours à la peau. Les réseaux sociaux attaquent beaucoup la France. Notamment la diaspora africaine reproche beaucoup à Paris de soutenir des autocrates africain. Il y a parmi eux de très nombreux exilés politiques. Macron déteste ces autocrates, mais il a besoin d’eux. Par exemple, il a reçu en novembre Ali Bongo à l’Élysée, car le Gabon devenait un membre non permanent du conseil de sécurité des Nations-Unies. Donc il avait besoin de lui. Cela illustre l’ambiguïté de la France en Afrique. Et il ne faut pas sous-estimer le sentiment anti-français dans la population.

Pour en revenir au Mali, on a l’impression d’une humiliation de la France ?

Il est certain que la junte malienne a tiré en premier, en réduisant les survols des avions militaires, en demandant à la centaine de soldats danois de plier bagage ou en demandant le départ de l’ambassadeur de France. Dans les faits, la France pensait déjà partir, mais ce repli se fait dans de très mauvaises conditions. Toute cette agitation donne l’impression que la France est chassée du Mali.

Mais nous payons aussi l’attitude de Macron. Le président français a eu une attitude d’infantilisation des chefs d’État africain lors des réunions du G5 Sahel. Il a montré aussi son arrogance lors des obsèques du président tchadien Idriss Deby. Il était au premier rang, comme sur un trône, à côté de son fils autopropulsé à la tête de l’État. On avait l’image d’un Macron adoubant le fils Deby.

Et il y a eu un récent coup d’État au Burkina Faso…

Cela ne changera sans doute pas grand-chose pour la France. Son prédécesseur avait refusé la présence de Barkhane tout en acceptant la présence de forces spéciales française. Le suivant fera sans doute de même. La ministre Florence Parly souhaiterait un redéploiement de Barkhane au Niger. Ma crainte est que cela fragilise le président Mohamed Bazoum. Il est le seul chef d’État civil de la région...

Dernier livre Antoine Glaser et Pascal Airault : Le piège africain de Macron, éd. Fayard

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