Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Jacques Duplessy

La difficile question de la convergence des luttes

Ou comment fédérer la colère

Discussions soutenues à l'assemblée des assemblées à Montpellier : comment créer des liens avec les autres mouvements, les syndicats, le secteur privé, public ?

Assemblée plénière ADA4 - © Reflets

« Travailler avec d’autres mouvements » est une autre question centrale pour l’avenir du mouvement abordée lors de l’Assemblée des assemblées des Gilets Jaunes à Montpellier. Mais les approches sont parfois divergentes. « Je suis allé dans le groupe de travail « Identifier les amis et les ennemis des GJ », c’était n’importe quoi. On ne peut pas avancer comme ça, on ne crée que des clivages », témoigne une participante déçue. Mais la plupart des participants ont une vision ouverte du mouvement. « L’union fait la force, plaide Hélène, une institutrice originaire du Cantal. Je suis Gilet Jaune mais citoyenne avant tout. Nous devons rassembler pour un combat commun. Et il y a une colère que nous pouvons, que nous devons, fédérer. » Et les sondages semble lui donner raison. Selon le baromètre Odoxa d’octobre 2019, quelque 76 % des Français estiment que le mouvement est loin d’être fini. Leur mouvement est même perçu à près de 60% comme ayant été bénéfique pour les plus modestes et à plus de 50% comme ayant été utile pour la démocratie, notamment grâce au « grand débat ».

« La stratégie du gouvernement est de nous opposer, avertit Frédérique, une professeure des écoles. On oppose secteur public et secteur privé, les cheminots et les autres, les profs et les autres. Tout ça pour casser le service public… et on s’aperçoit maintenant que le remplacer par du privé coûte plus cher avec une qualité moindre. »

Muriel, venue de Saillans dans la Drôme, est secrétaire dans un hôpital psychiatrique. Cette militante CGT représentante au niveau local et départemental veut croire au rassemblement. « Il y a beaucoup de problématiques avec les syndicats. Quand on est Gilet Jaune, c’est difficile d’être soutenue au niveau départemental et national par les syndicats. Mais les militants à la base sont plus ouverts. C’est une occasion de bousculer nos structures syndicales un peu archaïques. Nous avons besoin les uns des autres pour réussir. »

« Pour réussir à rassembler, il faut que les Gilets Jaunes lancent des mots d’ordres sur des thématiques qui rassemblent au niveau national, il faut arrêter de partir dans tous les sens au niveau local., estime Thimothy, un GJ de Villefranche. Je souhaiterais qu’on reparte avec un calendrier thématique qui nous mobilise tous. » « Mais les groupe locaux veulent rester souverain, lance une participante. Nous on a fait une semaine autour du combat du personnel d’un Ephad, une semaine autour de la situation dans l’hôpital. Là on rejoint les gens. » La discussion s’engage dans le petit groupe. « Il faut tenir les deux, des thèmes nationaux et locaux. Les deux sont utiles et nécessaires. » Un consensus se fait autour de l’idée d’un appel national par mois qui serait proposé par l’Assemblée des assemblées, et trois samedi de manifestation sur des thèmes décidés localement par les Gilets Jaunes.

La question de l’organisation des manifestations dans les villes est aussi abordée. « Faut-il déclarer les manifestations ? », demande un participant. Certains ne le veulent pas, par principe. D’autres disent avoir peur de mettre leur nom. « Mais si cela rassure des gens qui ont peur de manifester, pourquoi pas. Il faut oser mettre nos noms. Comme le but est d'élargir le mouvement, il faut le faire si ça permet d’aller dans ce sens. » « Nous avons créé une association, raconte Laurent, GJ de l’Oise. Ca permet plus facilement de discuter, de demander des salles pour des débats, d’organiser des manifestations. » Plusieurs partagent des expériences réussies de débats organisés conjointement avec des associations, du personnel hospitalier en lutte ou encore des élus locaux. « J’aimerais bien aussi faire venir l’association Anticor. La corruption est une thématique qui peut mobiliser large et qui est fédérateur. Ca peut permettre aux personnes d’ouvrir les yeux et de rejoindre progressivement le mouvement. »

Dans un tour de table, un participant propose un appel de l’Assemblée des assemblées à créer « un Conseil National de la Résistance ». « Macron est un président légal, mais pas légitime. C’est le peuple qui est légitime. Faire référence au CNR, au programme du CNR, c’est symboliquement fort et ça peut permettre de mobiliser large. Le programme issu de la Résistance défendait un vrai service public, la fraternité. »

Rediscutée en grand groupe, la proposition ne fait pas consensus. « Qui en fait partie ? Comment on les choisit ? Et ça ouvre des portes aux partis politiques. Ça, on ne le veut pas, on risque de se faire confisquer le mouvement. » Mise au vote en grand groupe, la proposition ne rassemble pas les 80 % nécessaire être adoptée.

Si les liens avec les associations et les syndicats sont encouragées au niveau local cela ne fait pas consensus au niveau de l’organisation nationale des Gilets Jaunes. Pour les prochaines Assemblées des assemblées, plusieurs participants proposent d’inviter des observateurs des syndicats, d’associations comme Extinction Rebellion, Attac ou encore Anticor. « C’est essentiel pour l’avenir du mouvement que se créent des liens pour que l’on se batte ensemble, estime Muriel. La chance des Gilets Jaunes, c’est de ne pas être dans une case, pas enfermé dans un seul combat. » Là encore, cette proposition ne fera pas consensus. « Le ralliement des forces » reste une question sensible.

Changerdecap.net, un site ressource pour favoriser la convergence des luttes sociales et écologiques

« Nous avons un réseau qui rassemble 66 correspondants locaux et 30 collectifs citoyens, explique Sylvain, un des fondateurs. Nous avons trois objectifs : développer les liens avec les acteurs de terrain pour favoriser la réflexion et les convergences entre les mouvements, constituer une plate-forme de mise en réseau et de soutien logistique et favoriser la constitution de collectifs de citoyens locaux. » Le site propose entre autre 100 idées d’actions alternatives de solidarité et de fraternité, écologique, d’éducation populaire ou encore dans l’économie solidaire. « On veut être une boite à outils des initiatives Gilets Jaunes, Gilets Verts, de démocratie participative…. Il est important de partir du concret, des initiatives locales pour donner des idées de réalisations concrètes. Si un groupe est intéressé par reproduire une action, il nous contacte et nous les mettons en relation avec ceux qui ont cette expérience. »

Encore en développement, Changer de Cap va intégrer un versant logistique (catalogue de visuels pour la mobilisation, soutiens possibles offerts par des groupes existants…) et un espace dédié aux questions juridiques (manuel de comportement en garde-à-vue, avocats référents par région…). « Nous avons moins d’un an d’existence et déjà 15.000 abonnés à notre newsletter, se réjouit Sylvain. Et les contacts pris ici vont encore accroître notre visibilité. Nous appelons tous les groupes Gilets Jaunes à partager avec nous leurs expériences réussies. »

(contact@changer2cap.com)

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