Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par agregoire

La difficile gestion du conflit syrien par les media

Autant l'admettre tout de suite, je fais partie de ces média qui pensent tous la même chose, ne voient qu'un coté de la situation et se font un exercice de brasse coulée dans la compte de fée qui présente les gentils démocrates contre le méchant Assad. « Les média » n'en sont pas arrivés là par hasard. D'abord il y a eu un engouement massif et général pour ne pas regarder ce qui se passait en Syrie.

Autant l'admettre tout de suite, je fais partie de ces média qui pensent tous la même chose, ne voient qu'un coté de la situation et se font un exercice de brasse coulée dans la compte de fée qui présente les gentils démocrates contre le méchant Assad. « Les média » n'en sont pas arrivés là par hasard.

D'abord il y a eu un engouement massif et général pour ne pas regarder ce qui se passait en Syrie. Cela a duré un mois, durant lequel on disait: on n'a pas le droit d'aller en Syrie alors on ne peut pas savoir ce qui se passe.

Il y a donc eu deux tendances : la tendance factuelle et la tendance « expertise décryptage analyse » avec des pointures capables d'expliquer ce qui se passe dans la tête de la « majorité silencieuse » de tel ou tel pourcentage religieux de la population.

La tendance factuelle consistait à se limiter aux faits et à présenter les chiffres des manifs. Ça, on sait faire.

Une petite vidéo prise sur un chaine Youtube des révolutionnaires avec « nous sommes dans l'impossibilité de vous dire si c'est vrai ou pas en raison des restrictions imposées aux journalistes ». Puis, à coté on mettait une petite ligne prise dans une dépêche de l'agence officielle introduite par « le régime dit que », un petit rappel sur le massacre de Hama en 1982, un "best of" des réactions internationales et ça faisait une dépêche potable.

Mais au bout d'un moment, ça devient lourd à porter. Parce que les chiffres qu'il faut donner ne sont pas simplement ceux des manifs mais ceux de morts, de disparus, de torturés. Vous pouvez tenter l'exercice vous même: voici le site de l'OSDH, voici le site de l'agence officielle SANA: rédigez donc un feuillet avec les deux versions, relisez-le et imaginez donner ça à vos lecteurs sans vomir avec le sentiment du travail accompli.

Suite à ce petit exercice vous allez vite vous retrouver confronté à un énorme problème. Car vous allez vouloir terminer votre dépêche par un petit bilan du style « depuis le début de « la crise » en Syrie, les « troubles » ont fait 8000 morts selon l'opposition et ...? selon le gouvernement » Problème, le gouvernement Syrien n'a jamais pensé à établir un décompte précis du nombre de membres des « force de sécurité » tués par les « terroristes armés » depuis le début du « complot étranger contre la Syrie ». Il lui a fallu neuf mois pour établir son bilan et il a choisi de l'envoyer par lettre à l'ONU plutôt que de mettre une dépêche par semaine dans la boite mail "rédaction" des agences presse.

La parole est à M. el-Assad...

Après des mois de chiffres froids et glacials et d'analyse d'experts délirants, les journalistes ont commencé à aller en Syrie petit à petit. Il y a eu des reportages parmi les révolutionnaires (très peu) et il y a eu un « équilibrage » avec des petits paquets de « media occidentaux » qu'on baladait dans les manifestations pro-assad « spontanées » et à qui on faisait interviewer cette « majorité » silencieuse favorable à Bachar et inquiète face aux islamistes.

C'est le moment qui a duré onze mois où on a cherché à savoir si le régime disait la vérité

Tous les grands media sans exception ou presque, pendant onze longs, très longs mois, sont allés vérifier la version du régime, ont donné leur version des faits et ont cherché à équilibrer les fameuses « deux versions » dans un magma incompréhensible.

France 2 a ainsi envoyé une équipe avec Gilles Jacquier qui voulait voir « coté régime ». Le Figaro a envoyé Malbrunot qui s'est retrouvé en compagnie d'Alain Soral et de France3 pour une petite visite guidée par le régime.

CNN et Sky news ont fait un reportage à deux endroits différents en filmant le même habitant local pro-Bachar, Le New York Times a interviewé Rami Makhlouf, le cousin qui assure que déstabiliser Bachar c'est nuire à Israël.

The sunday times a interiewé Assad, Jonathan Steele expose fièrement dans le Guardian un sondage racontant que 55% des syriens seraient pro-bachar (sondage effectué anonymement par internet sur un peu moins de 200 syriens).

Infosyrie.fr, le site de propagande français pro-Bachar remercie régulièrement GeorgeMalbrunot, l'Express ou Alain Gresh de sauver l'honneur des media en proposant une « bonne lecture » pro-bachar des évènements.

Quand à Al Jazeera, le fer de lance du complot terroriste médiatique pour déstabiliser la Syrie c'est aussi une belle histoire oubliée. Al Jazeera a été fort critiquée pour son étrange refus de couvrir la situation en Syrie dans un premier temps. Mais Al Qaradawi, prédicateur vedette de la chaine a fait un petit sermon qui a déplu à Bachar. Le dictateur a trouvé ça inacceptable et a gelé pour 6 milliards $ d'investissement quatari en Syrie. L'émir du Qatar a envoyé pas moins de deux délégations s'excuser et essayer de dégeler ses milliards.

Si Bachar n'avait pas refusé de les recevoir il aurait pu bénéficier du même silence qu'Al Jazeera a offert aux autorités du Bahreïn sur leur répression.

Tiens... Des journalistes meurent...

Puis les journalistes ont commencé se faire tuer, en particulier Gilles Jacquier qui partait précisément, encore, pour aller voir « coté régime » parce que « ce qui se passe en Syrie est éminemment plus compliqué » que ce qu'on nous raconte. (Consultez ici la vidéo de la conférence où il explique ses théories complotistes et ses motivations pour aller en Syrie « coté régime »).

C'est à ce moment-là que les journalistes ont constaté un phénomène étrange: « coté régime » ils se font tuer sous l'oeil des services de sécurité qui ne lèvent pas le petit doigt. En face, coté révolution on se sacrifie par douzaine pour les faire sortir vivants du pays. Le genre de phénomène qui aide un journaliste à se faire une opinion.

Autre souci: ces dernières semaines le régime ne fait plus aucun effort de crédibilité.

Il retrouve des drones Israéliens qui atterrissent directement dans le jardin des terroristes.

Il apporte la preuve que les terroristes qui attaquent la Syrie sont payés avec des billets de 10 pounds Libanais ($0.0067) et des Shekels israéliens qui n'existent plus depuis 1982.

Il annonce la mort de gens qui sont bien vivants en train de se faire interviewer au même moment sur CNN.

Il invente des interview d'experts internationalement reconnus comme Olivier Roy qui démentent ensuite.

Il arrive à capturer vivant des terroristes suicides d'Al Quaeda et à retrouver des photos de Ben Laden dans les voitures brulés.

Même infosyrie.fr qui bosse pour le régime admet que c'est parfois difficile tellement le régime ne fait plus aucun effort pour élaborer des mensonges crédibles.

Enfin, il faut bien l'admettre, les media sont anti-Bachar depuis très récemment pour s'excuser d'avoir participé à un autre complot international sur la Syrie depuis 10 ans destiné à aider, soutenir, dialoguer, financer, protéger et légitimer Bachar al Assad.

Quand Bachar était un gentil-gentil

En plus du Qatar et de ses 6 milliards de dollars, il y avait le rapprochement avec la Turquie qui offrait ses bons offices pour les négociations avec Israël.

Il y avait le retournement du leader libanais du 14 mars, Saad Hariri qui s'excusait publiquement d'avoir accusé Assadd'être responsable de l'assassinat de son père.

Il y a Obama qui a rétabli les relations diplomatiques, nommé un nouvel ambassadeur, envoyé John Kerry à Damas faire des déclarations communes sur la paix au Proche Orient par le dialogue et la négociation.

Obama qui prend systématiquement soin d'utiliser l'expression « step aside » (se mettre en retrait), laquelle continue d'être largement confondue avec « step down » (démissionner) mais qui diplomatiquement ne veut pas dire la même chose. On a oublié que Hillary Clinton, chef de la diplomatie américaine a continué d'appeler Assad un réformateur jusqu'à la fin mars 2011.

 

Il y avait Sarkozy qui l'invitait au défilé militaire du 14 juillet, Il y a la Russie et la Chine qui lui offrent non pas un mais deux véto à l'ONU. Au Liban il y a le Hezbollah qui le soutient publiquement. Et le Hezbollah qui a été très arrangeant après l'assassinat en 2008 à Damas de son numéro 2, Imad Moughniye et qui a passé l'éponge sur l'énorme liste de suspicions qui pointe les services syriens comme responsables.

Les « media occidentaux » si méchants racontaient jadis la belle histoire du petit ophtalmo timide et réservé qu'on était allé chercher à la mort de son père, alors qu'il n'avait jamais voulu du pouvoir.

The Economist saluait son arrivée au pouvoir d'un sympathique « plus de raisons de se réjouir que de désespérer ».

Des militants des droits de l'Homme dans le New York Times en 2001 soulignaient l'incroyable élan d'ouverture démocratique prouvé par le fait que les Syriens appelaient leur président « docteur Bachar ». On vantait ses réformes économiques, timides certes mais toujours sur la bonne voie.

En décembre 2003 il était à l'honneur dans les colonnes du New York Times qui lui accordait une longue interview dans laquelle le héros de la lutte contre l'impérialisme américain et israélien se disait heureux de pouvoir reprendre les négociations de paix avec l'administration Bush qui venait tout juste d'envahir l'Iraq. Les magazines people n'étaient pas en reste avec Paris Match qui titrait une longue interview avec le couple « Deux amoureux à Paris » et Vogue, en février 2011 trouvait que sa femme, Asma al Assad la « rose du désert » était très belle et moderne, qu'elle gérait sa maisonnée comme un modèle de démocratie. Ni plus ni moins. Un article qui a depuis mystérieusement disparu du site...

A son arrivée au pouvoir en 2000 Bachar a été salué par le « printemps de Damas »: les intellectuels, opposants et "droits de l'hommistes" unis pour lui proposer clé en main les réformes à faire. L'occasion rêvée de devenir un leader héroïque salué l'histoire comme l'homme par qui la démocratie et la liberté arrive au Moyen Orient. Une chance unique.

Il a mis tout le monde en prison. L'histoire ne pardonne pas ceux qui lui crachent à la figure...

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