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par Jacques Duplessy

La Convention citoyenne pour le climat avance "sans filtre"

Emmanuel Macron respectera-t-il ses engagements ?

Ses membres commencent à préparer les propositions concrètes qui seront mises au vote. Mais un flou s’instaure sur leur prise en compte réelle par le Président Macron.

Le site de la convention citoyenne - Copie d'écran

C’était une des mesures décidées par Emmanuel Macron pour tenter de désamorcer la crise des Gilets Jaunes après le grand débat national. Pour la première fois, 150 citoyens tirés au sort planchent pour définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. Cette France en miniature a été établie en fonction de plusieurs critères : âge, sexe, lieu de résidence, catégorie socioprofessionnelle. Le groupe est par exemple constitué de 51 % de femmes, de 27 % de retraités, ou encore de 26 % de non-diplômés. Les participants sont organisés en cinq groupes de travail : travailler, se nourrir, se loger, se déplacer, produire et consommer.

L’organisation est assurée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), une institution constitutionnellement indépendante, pour garantir la neutralité et à la sincérité des débats.

Pour répondre aux questions factuelles des membres de la Convention, le Comité de Gouvernance a fait appel à plusieurs centres de recherche (Institut de la transition environnementale de la Sorbonne ou l’Institut des politiques publiques, par exemple) afin de constituer une équipe de personnes ressources, fact checkers. Tous universitaires, ils sont issus de disciplines différentes afin de pouvoir répondre à toutes les questions des membres de la Convention.

Débutées le 4 octobre 2019, les sept sessions de travail s’achèveront le 4 avril par le vote des différentes propositions des groupes de travail. Quel avenir pour les mesures votée par les membres de la Convention ? Dans le contrat de départ, il était prévu qu’elles soient soumises « sans filtre », selon la promesse présidentielle du 25 avril 2019, soit au référendum, soit au vote du Parlement, soit appliquées par voie réglementaire.

Mais dans les faits, rien n’est très clair. Emmanuel Macron est venu à la rencontre des membres de la Convention le 10 janvier. Il y a reçu un accueil mitigé. « Il est venu faire son show, commente Yolande, une tapissière du Finistère. Ce n’était pas un débat, c’était un numéro d’acteur. On lui posait une question, il répondait à côté, mais il était compliqué de le relancer car d’autres citoyens attendaient pour poser leur propre question. » Certains craignent une tentative d’influencer leur travail même si le Président a assuré vouloir s’en garder. « Je ne veux pas biaiser votre débat, je ne suis pas là pour répondre aux questions sur le fond » a-t-il déclaré en préambule. D’autres ont apprécié le passage présidentiel. « Cela nous booste pour la suite de notre travail » estime Samyr, un chirurgien du Var. « Il a été à l’écoute et a pris le temps du dialogue », commente Denis, retraité dans les Yvelines. Surprise, le chef de l’Etat s’est engagé à revenir devant eux pour leur annoncer le sort qu’il réserverait à leurs propositions, une réunion non prévue à l’agenda de la Convention. Macron a évoqué trois possibilités : s’il n’est pas d’accord avec la proposition, il expliquera les raisons de la non-reprise de la mesure. Seconde option, « le texte que vous avez se tient, et on y va sans filtre, les propositions trouveront leur cheminement par voie réglementaire, par voie législative ou par référendum ». L’idée d’une consultation populaire a été abordée à plusieurs reprises par la Président qui a évoqué l’hypothèse d’un référendum à questions multiples. Enfin, si la proposition n’est pas jugée assez précise et construite, le Président assure qu’il la finalisera avec les citoyens.

Ces trois hypothèses inquiètent nombre de participants. Il n’était pas prévu que le Président puisse enterrer certaines propositions qui ne lui conviendraient pas. « Il a réaffirmé que ces décisions seraient appliquées sans filtre, et en même temps, il a laissé entendre qu'il choisirait, qu'il reviendrait devant les citoyens et qu'il leur expliquerait pourquoi il a décidé de prendre un certain nombre de leurs proposition et pas d'autres. Ce qui n'est pas exactement le contrat de départ. On est vigilants. » a déclaré le militant écologiste Cyril Dion, un des garants de la Convention. D’autres craignent que, sous couvert de propositions pas assez claires, ce qui dérange soit détricoté par la suite.

Pour le moment peu de choses filtrent sur les propositions concrètes qui sortiront du travail des cinq groupes. Celui sur la thématique « Se nourrir » s’est distingué en proposant déjà de reconnaître le crime d’écocide dans le droit français. Celui sur le logement travaille d’arrache-pied pour trouver des solutions efficaces pour financer la rénovation des logements et bureaux énergivores. Certains espèrent toujours faire voter la proposition d’intégrer l’écologie dans l’article 1er de la Constitution.

« La reprise « sans filtre » de nos propositions est importante. »

Denis Flamant est l’un des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat. Il raconte le fonctionnement de cette initiative, une première en France.

Comment avez-vous accueilli d’être un des citoyens tiré au sort ? Quel est votre parcours ?

Un jour, mon téléphone a sonné et on m’a dit que j’avais été sélectionné pour participer à la Convention. Je n’ai pas hésité, j’ai dit oui pour deux raisons : j’étais intéressé par cette expérience de démocratie participative et aussi par la question du climat. Je suis actuellement en pré-retraite, j’étais cadre dans une association d’animation social. Je travaille actuellement formateur en indépendant. Je suis aussi maire sans étiquette de ma petite commune de 2000 habitants dans les Yvelines. Mais je ne me représente pas en mars prochain.

Comment se passe le travail de la convention ?

Ca se déroule bien. Nous en sommes à la 4ème session. Nous avons commencé par un temps d’information sur ce qu’étaient nos objectifs puis il y a eu une formation sur les cinq thématiques : se loger, se nourrir, se déplacer, consommer, travailler/produire. Nous avons été répartis par groupe de 30 par tirage au sort dans l’une des commissions. J’ai rejoint le groupe de travail sur le logement. Au départ, des spécialistes sont venus pour parler des enjeux et des solutions. Ce qui était bien est que nous avons la possibilité de demander à entendre telle ou telle personne ou bien un spécialiste d’un domaine précis. Évidemment, il faut écouter en n’oubliant pas d’où la personne parle et les intérêts des uns ou des autres.

On nous a souvent reproché que les personnes tirées au sort n’y connaissaient rien. Mais faut-il confier l’avenir à des experts et oublier le citoyen ? Là, ce sont des citoyens qui vont faire des propositions. Et cela fonctionne. Les citoyens sont investis et sérieux. On a eu les statistiques de présence : sur 150 membres, 133 ont fait les quatre sessions de 3 jours. Nous sommes vraiment représentatifs de la société française : 52 % de femmes, 48 % d’hommes, il y a des jeunes mineurs de plus de 16 ans et des ultra-marins. Et bien sûr une grande diversité de sensibilité politique. Mais il y a un petit biais au départ : les gens pouvaient dire non. Donc certains se sont exclus de fait. Par exemple, je n’ai pas croisé de climatosceptiques, même si je ne connais pas tout le monde.

Vous sentez vous libres dans cette recherche de propositions de solutions ? Oui, tout à fait. Il y a une équipe d’animation du cabinet Res Publica, spécialisé dans le dialogue collaboratif et la concertation qui nous accompagne. Elle fait bien son travail : l’équipe nous donne un cadre de travail mais nous laisse une totale latitude dans le contenu. Tout est fait pour que tous les participants puissent prendre la parole, y compris ceux qui sont plus timides ou ne sont pas très bons orateurs. On a des temps de travail en groupe, entre groupe et aussi des séances plénières. Entre les session, on nous propose de participer à des séances de réflexion par internet. Ce n’est pas un lieu de décision, mais on échange sur des problématiques. Nous avons rajouté une session de travail pour se donner un peu plus de temps.

Où en est votre travail ?

Nous sommes à un moment charnière du travail de la Convention. Nous formulons désormais des objectifs qu’un groupe d’appui est chargé de transformer ces propositions en mesures concrètes. Ce groupe d’appui est composé notamment de juristes, une conseillère d’État entre autre, pour rédiger des projets de loi qui seront transmis au Parlement. Certaines questions pourront faire l’objet d’un référendum. Nous proposerons aussi des changement de réglementation. Par exemple,dans mon groupe sur le logement, nous réfléchissons sur des mesures pour encourager la rénovation des logements énergivores. L’énergie nécessaires pour les logements et les bureaux représente 265 % des émissions de gaz à effet de serre. Or on sait les limiter. Nous travaillons sur des pistes pour faciliter le financements des rénovations. Nous travaillons aussi sur des mesures pour limiter l’artificialisation des sols et l’étalement urbain. Lors de la dernière session début avril, nous allons voter les mesures qui seront proposées par les différents groupes de travail.

Le président Macron est venu vous rencontrer. Comment l’avez vous vécu ?

Il y a eu un bon climat. Nous avions eu un groupe de préparation qui avait préparé huit questions. On a tiré au sort les huit membres qui poseraient les questions. Finalement le Président a dit qu’il avait le temps et chacun a pu poser les questions qu’il souhaitait.

Lors de son intervention, le Président a laissé entendre qu’il pourrait choisir les propositions qu’il retiendrait, alors que dans le contrat initial, les propositions devaient être reprises « sans filtre ». Qu’en pensez vous ?

Ce n’est effectivement pas clair. j’ai cru comprendre que le Président choisirait les questions qui seront soumises à un référendum – car pour moi, il y aura référendum. Mais les autres propositions continueront leur chemin »sans filtre » sous forme de proposition de loi ou de règlements. La reprise « sans filtre » de nos propositions est importante, car c’est cela qui nous mobilise, l’assurance que notre travail servira à quelque chose. Je suis persuadé que la Convention arrivera à des propositions intéressante pour atteindre cet objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre dans le respect de la justice sociale.

Pensez-vous que cette méthode pourrait être reprise pour d’autres questions que le climat ?

Oui. C’est une vraie expérience démocratie de co-construction entre démocratie participative et démocratie représentative. L’Islande l’a fait pour la rédaction de sa nouvelle Constitution. Ca a bien fonctionné. Mais c’est une île de moins de 400.000 habitants… Emmanuel Macron a d’ailleurs laissé entendre qu’il souhaiterait continuer de travailler avec ceux qui le souhaite après la fin des travaux officiels. Les modalités sont encore à définir. Une hypothèse est la création d’une association pour la suite de la réflexion.

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