La cité radieuse du groupe Auchan se paie un "débat public"
"Vous donner la parole et la faire entendre." C'est le slogan, très "démocratie participative", de la Commission nationale du débat public (CNDP), institution chargée – pour faire court – de "lubrifier" les relations entre "aménageurs" et "aménagés" du territoire. Sa mission est donc de s'assurer que le public dispose d'informations fiables et diversifiées pour pouvoir "débattre" de l'opportunité même d'un projet de bétonnage — à partir d'un coût minimum de 300 millions d'euros.

Le groupe Auchan compte miser plus de 3 milliards sur Europacity, un méga-complexe (ou plutôt mégalo-complexe) sur 80 Ha mêlant galerie marchande géante avec activités "ludiques et culturelles" (piscines, piste de ski artificiel, salles de spectacles, etc.), le tout érigé dans une architecture mégalomaniaque qui fait penser à une cité futuriste métallique et aseptisée. Ou comment dissimuler un nième centre commercial en l'enrobant de concepts alibis qui n'ont de "culturel" que le slogan, dont le nombre de visiteurs annuel est largement surestimé (31 millions, soit deux fois l'audience d'Eurodisney), qui prévoit de bétonner le Triangle de Gonesse, vaste zone agricole située entre les aéroports du Bourget et de Roissy.
Tant mieux pour le promoteur, car toute sa communication vise à faire passer Europacity pour une "exemplarité environnementale, respectueux des enjeux de biodiversité du site". L'AE, dont l'avis est consultatif comme de bien entendu, n'est pourtant pas tendre avec les promesses du promoteur, même si les termes employés sont pesés et sous-pesés pour ne vexer personne.
Auchan promet par exemple, dans son "étude d'impact" soumise à l'avis de l'AE, de produire localement, et en "renouvelable" s'il vous plaît, 100% de l'énergie qui sera nécessaire pour faire tourner sa mégapole (au bas mot, 270 GWh/an). Au mieux, note l'AE, seulement "deux-tiers des besoins en froid et en électricité pourraient être produit localement". Faut dire que les scénarios de consommation énergétique fournis par Auchan "reposent sur une hypothèse de production de froid quatre fois supérieurs au potentiel recensé par l'étude [d'impact]". Surtout, corrige l'AE, "l'énergie renouvelable locale" est plus qu'hypothétique: elle reposerait sur la géothermie. Or, cela "nécessiterait la réalisation de forages profonds" et de mettre en contact quatre nappes phréatiques du bassin parisien, au risque de contaminer la seule encore identifiée comme "un réservoir d'eau potable non encore affecté par la pollution de surface". Sans parler des prévisions d'émissions de gaz à effet de serre qu'induiraient es (transports des visiteurs compris), que l'AE estime très incomplètes, "en discordance particulièrement forte avec l'objectif national du facteur 4" (réduction par 4 des émissions à l'horizon 2050, selon une loi de 2009).
[...] l'étude d'impact doit présenter une esquisse des principales solutions de substitution examinées et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l'environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu. En particulier, même si l'urbanisation conditionnelle de ce site est prévue […], le dossier fait le choix d'un emplacement aujourd'hui non urbanisé exposant une population nouvelle importante aux risques et nuisances d'un trafic aérien important. Cette localisation induit, en outre, de multiples contraintes pour une urbanisation dense, conduisant à une consommation d'espaces agricoles accrue. Cela conduit l'Ae à se demander si une démarche d'évitement et la recherche de solutions de substitution ont bien été conduites, d'une part pour la ZAC [zone d'aménagement concertée du Triangle de Gonesse], d'autre part pour EuropaCity.
Le groupe Auchan n'a d'ailleurs aucun doute tout court. Jeudi dernier à Gonesse, Christophe Dalstein, le soldat d'Auchan chef de projet, a parlé au présent et au futur de l'indicatif en présentant son powerpoint – pas l'ombre de conditionnel dans ses propos. La même assurance a été communiquée aux patrons du coin. Une semaine avant le débat public, Alliages et Territoires a invité plus de 350 entrepreneurs, dans les locaux de Manutan (repreneur de la Camif), pour les faire saliver sur les contrats du futur chantier – et, au passage, pour les inciter fortement à venir au débat public dire tout le bien qu'ils pensent de ce projet "bon pour l'emploi". Le patron de Manutan a répondu présent, et il a posé sa gentille petite question, comme d'autres élus fortement favorables à l'implantation d'Auchan. Le groupe promet en outre que l'exploitation du site créera "11.800 emplois directs" – dont seulement un tiers seront pourvus auprès des populations locales. Un chiffre tronqué, il est vrai, car il ne tient pas compte des destructions de postes qui vont immanquablement toucher les centres commerciaux voisins. Et sans rappeler que plus des 3/4 de ces contrats concerneront "des personnels non ou peu qualifiés".
* Et non comme "sous Sarkozy et Hollande", comme écrit par erreur - cf le commentaire de l'intéressée, Claude Brevan, ci-dessous, et ma réponse dans la foulée.
Lire aussi cette pétition d'un groupe d'opposants : http://nonaeuropacity.wesign.it/fr