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Dossier
par Jacques Duplessy

La chloroquine, vrai espoir ou mirage ?

Des médecins plaident pour un traitement à titre compassionnel

La chloroquine est-elle efficace contre le Covid19 ? Le Pr Raoult se fait le chantre de ce traitement. Deux médecins décryptent et critiquent l'étude du scientifique. Mais ils pensent que les chiffres son encourageants et poussent à une utilisation immédiate du médicament. En attendant des essais à plus grande échelle.

Didier Raoult - Photo publiée sur son site Web mal configuré

La chloroquine et son dérivé l’hydroxychloroquine (le Plaquenil) font couler beaucoup d’encre. Efficace ou pas ? L’hypothèse d’un traitement suscite de nombreux espoirs partout dans le monde. Espoirs démesurés ? De nombreuses études ont été lancées en urgence et permettront de répondre à cette question dans les prochaines semaines.

Mais revenons sur le fil cette tempête médiatique. Le 25 février, le Pr Didier Raoult met en ligne cette vidéo :

Il affirme que les Chinois ont fait un essai de repositionnement de cette molécule bien connue qu’est la chloroquine et qu’elle est active contre le coronavirus. Il parle de « résultats spectaculaires », ajoute sous les rires des personnes dans la salle que « c’est l’infection pulmonaire la plus facile à soigner de toutes et que ce n’est pas la peine de s’exciter. »

Le 16 mars, il met cette fois en ligne une vidéo de 18 minutes « Diagnostiquons et traitons ! »

Le lendemain, il rend publique les résultats d’une étude clinique « Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an openlabel non-randomized clinical trial ». Il affirme que 70 % des personnes qui ont reçu le traitement n’ont plus de charges virales au bout du 6ème jour. L’intégralité de cette étude peut être lue en anglais ici. L’annonce fait l’effet d’une bombe. Et une polémique éclate.

Car plusieurs choses interrogent, tant dans la manière de faire, peu académique, du professeur Raoult, que dans la conduite de cette étude clinique. Didier Raoult est à la tête de l’IHU Méditerranée Infection, à Marseille, le plus grand centre de recherche sur les maladies infectieuses de France. En 2010, il reçoit le grand prix de l’Inserm et figure dans le classement Thomson-Reuters des chercheurs les plus influents au monde. C'est donc une sommité dans son domaine. Mais, c’est aussi un personnage non conformiste, un caractère fort, un provocateur qui agace. Sa manière de communiquer sur la chloroquine le montre.

Suite à la publication de l’étude du Pr Raoult et à ses prises de parole dans des médias, les médecins se déchirent sur les plateaux télé et par presse interposée. Des politiques donnent leur avis à tout-va. Certains, touchés par le virus, disent prendre le traitement.

Mais au-delà de la polémique, plusieurs médecins plaident rationnellement pour donner ce traitement « à titre compassionnel », faute de mieux pour le moment, et en attendant des résultats plus complets.

L'essai du Pr Raoult décrypté

Jean-Louis Thomas, médecin, pharmacien et ancien directeur de développement clinique pour la recherche de nouveaux médicaments et le docteur Violaine ont analysé l’étude Pr Raoult et ont refait les calculs de l’étude. Leur publication est consultable en intégralité ici.

« C’est un essai préliminaire intéressant, mais un essai préliminaire, analyse Jean-Louis Thomas. Il a été conduit un petit nombre de patients, il n’y a pas de groupe de comparaison, l’essai n’a pas été mené dans les règles méthodologiques normales. Mais c’est quand même intéressant. Il est faux de dire, comme cela a été dit, que conduire un essai sur un petit groupe est plus significatif que sur un grand échantillon. »

Dans l’étude du Pr Raoult, vingt-six patients ont été inclus pour recevoir l’hydroxychloroquine (600 mg/j pendant 7 jours) associée chez six d’entre eux à l’azithromycine pendant 5 jours (500 mg le premier jour et 250 mg les 4 jours suivants). Par ailleurs, 16 malades n’ont pas reçu ce traitement.

« On constate plusieurs problèmes méthodologiques, décrypte Jean-Louis Thomas. Plusieurs patients témoins non traités n’ont pas vu leur charge virale testée à J5 et J6. Donc il se pourraient qu’ils soient négatifs eux aussi. Cela peut donc conduire à une sous-estimation du nombre de personnes négatives sans traitement. Normalement, il faut un groupe témoin absolument comparable pour voir si on élimine de manière naturelle le virus. »

Il note aussi un second biais dans les calculs pour les malades traités. « Sur les 26 personnes traitées, 6 sont déclarés perdus de vue, alors qu’il s’agit d’arrêts prématurés, puisqu’on connaît leur devenir. Pour 4 d’entre eux, leur état s’est aggravé, dont un qui est décédé, 1 est sorti de l’hôpital et un a arrêté le traitement en raison de troubles digestifs, explique le Dr Thomas. Le Pr Raoult a fait ces statistiques sur les 20 personnes traitées, alors qu’il aurait du, en toute logique, calculer en intention de traiter (ITT) en incluant les 6 patients sorti de l’étude. Si on fait cela, on arrive à un taux de négativation de 50 % au lieu des 70 % annoncé par le Pr Raoult. Mais c’est déjà pas mal du tout... »

« Il y a aussi un essai clinique chinois qui revendique que la chloroquine empêche l’aggravation de la pneumonie, poursuit le Dr Thomas. Mais malheureusement, seul un résumé d’une page sans description du protocole ni donnés chiffrées a été publié dans BioSience Trends. Là encore, c’est un peu court... »

Mais pour les deux praticiens, ces résultats poussent vers une administration de ce traitement hydroxychloroquine associé à un antibiotique, l’azithromycine (Zithromax) à titre « compassionnel » en attendant des résultats à plus grande échelle.

Ils ne comprennent pas la décision du ministre de la Santé, Olivier Véran, de réserver ce traitement « aux cas graves ». « C’est sans doute en raison du principe de précaution, analyse le Dr Thomas. C’est peut-être aussi une question de moyens. Le monde médical est divisé, les politiques hésitent. » Le médecin reconnaît des risques d’effets secondaires. « Le risque cardiaque est bien connu, on sait les précautions à prendre, la surveillance régulière à mettre en place. C’est un médicament utilisé contre le paludisme depuis 70 ans. Mais, clairement, il faut donner la chloroquine associée à l’azithromycine avant que ça s’aggrave, dès quelqu’un est positif, au début du portage viral. »

Le Pr Raoult a dit la même chose dans une nouvelle vidéo mise en ligne mercredi, affirmant qu'il était trop tard pour donner la chloroquine quand la personne était en réanimation.

Les prochaine semaines devraient permettre d’y voir plus clair sur l’efficacité réelle de ce traitement. L’hydroxychloroquine seule - non associée à l'antibiotique - a été incluse à la dernière minute dans l’essai européen Discovery, qui inclut 800 patients en France. Cet essai clinique vise à tester l’efficacité différentes molécules sur le corononavirus. Des hôpitaux ont aussi commencé à le donner à leurs patients, et là encore les retours ne devraient pas tarder. Souhaitons simplement que Didier Raoult ait eu raison.

- La nivaquine est largement utilisée, avec grand succès, pour des suicides dans les pays où ce médicament est facilement accessible. Il est impératif de ne jamais s'automédiquer. Le risque de décès est certain. - Contacté, le docteur Raoult n'a pas répondu à nos sollicitations.

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