Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

L'Union des Etats Soviétiques d'Amérique

L'URSS a disparue ? Faites place à l'UESA

Encore 123.000 milliards de dollars (à peu près) et la Réserve Fédérale aura acheté tout ce qui est achetable sur les marchés aux Etats-Unis. Une nationalisation de l'économie américaine qui ne dit pas son nom ? Les USA deviendraient-ils communistes ? Pas à une contradiction près, pendant se temps, les marchés s'envolent alors que tous les indicateurs macros sont au rouge.

We rule your Babylon - © Reflets

Mais que se passe-t-il chez l'Oncle Sam ? Le chantre du libéralisme, celui d'où est venu, avec l'école de Chicago, avec les délires des équipes Reagan, le pire du capitalisme, une vision ultra-libérale, le chacun pour soi, la démission de l'État, le marché roi, la marchandisation de tout, la dérégulation... Ce berceau du pire capitalisme est en train de devenir une économie soviétique qui ne dit pas son nom. C'est cocasse...

Comme nous l'avions expliqué dans plusieurs articles publiés dans le dossier Coronavirus, la crise qui secoue la planète est triple. Elle est d'abord sanitaire. C'est l'apparition du virus. Elle est ensuite financière : les marchés ont dévissé lorsque tout le monde a pris la mesure du danger et que le confinement est devenu la solution. Enfin, elle est économique : la mise quasi à l'arrêt de l'économie va avoir des répercussions inconnues. Pour l'instant, tous les indicateurs macro-économiques sont au rouge vif. Paradoxalement, les marchés sont aux anges, les indices sont repartis à la hausse et tout baigne dans l'huile de noix de coco.

Sauf... Sauf que oui, mais non.

Les acteurs sur les marchés sont dopés. Attention à la descente... La Réserve Fédérale, sorte de banque centrale américaine, a annoncé qu'elle rachèterait tout. Y compris de la dette pourrie (junk bonds). Le message était, et reste clair : « amis investisseurs, ne paniquez plus, ne vendez plus frénétiquement pour limiter vos pertes, nous sommes acheteurs en dernier ressort. Nous rachèterons tout ce que vous voudrez vendre ». L'espoir bien entendu est double : que les investisseurs arrêtent de vendre en se disant qu'ils ne risquent plus grand chose, et même, qu'ils achètent à nouveau, toujours persuadés qu'il n'y a plus de risques sur les marchés, la FED étant là en cas de coup dur.

Et ça marche. Évidemment. Jusqu'ici, c'est à dire en 2008 et 2012, les banques centrales avaient déjà bien fait tourner la planche à billet et distribué de l'argent gratuit sur les marchés. Mais à ce point... Jamais. Ce n'est plus le [helicopter money](https://en.wikipedia.org/wiki/Helicoptermoney)_ c'est une sorte d'épandage de produit dopant sur Wall Street et les autres places boursières de la planète.

Il n'y a plus de marchés écrivions-nous le 20 avril. C'est toujours le cas. La FED a injecté 7.000 milliards de dollars en rachetant tout et n'importe quoi. Elle a fait disparaître le concept de risque sur les marchés. Or le risque, c'est justement le carburant des places boursières. Sans risque, pas de bénéfices. Pour bien comprendre cette notion, il faudrait relire notre article de 2010 sur la crise financière expliquée à Paulo.

Nous sommes donc en présence de marchés de Schrödinger. Ils sont là, mais en même temps, pas là. Sans la FED et sa promesse de racheter tout ce qui se présente, les marchés s'écrouleraient lamentablement.

Et même avec ces annonces tonitruantes, le résultat n'est pas si brillant qu'il en a l'air. La plupart des commentateurs observent les indices des marchés actions et concluent que tout va bien quand ils montent.

C'est pourtant un peu plus compliqué que cela. « Les marchés » sont multiples. Il y a autant de types de marchés que de coke dans la poche d'un trader ce qu'un financier peut imaginer. On vend des futures de café, de chocolat, d'or, de nickel, de n'importe quoi... On vend des actions, bien sûr, c'est ce qui est le plus visible. On vend des obligations... On vend sur des places publique, à la bourse de Paris, de Londres ou de New-York. Mais aussi dans des dark pools. Bref... Prenons cette fois une autre indicateur que le marché actions (CAC 40, S&P 500, DAX, etc.). Prenons comme nous l'avions évoqué le 20 avril, les obligations d’entreprises et notamment les obligations de type « investment grade » (indice LQD) et « high yied » (indice HYG). Ils sont à peu près aujourd'hui au même niveau que le 20 avril. A quelques millimètres près.

LQD le 18 mai 2020 - Copie d'écran
LQD le 18 mai 2020 - Copie d'écran

HYG le 18 mai 2020 - Copie d'écran
HYG le 18 mai 2020 - Copie d'écran

Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement qu'en dépit de toutes les promesses de la FED de racheter les obligations des entreprises (une nouveauté), y compris des junk bonds, les indices LDQ et HYG ne s'envolent pas.

Certains financiers ont d'ailleurs noté que, comme souvent, la dopamine suscitée par les annonces de la FED suffisait, en soi. En réalité, soulignent-ils, la FED n'avait pas, au 1er mai, commencé à racheter quoi que ce soit, à l'inverse de ce qu'elle avait annoncé le 23 mars. Cette annonce avait arrêté la chute du marché action. Mieux, cela avait favorisé une reprise du S&P 500 de plus de 30%...

S&P 500 - Copie d'écran
S&P 500 - Copie d'écran

Quand Jeffrey Gundlach dévoile que la FED n'a pas acheté d'obligations d'entreprises au 1er mai, à l'inberse de son annonce du 23 mars. - Copie d'écran Twitter
Quand Jeffrey Gundlach dévoile que la FED n'a pas acheté d'obligations d'entreprises au 1er mai, à l'inberse de son annonce du 23 mars. - Copie d'écran Twitter

La FED a fini par annoncer que l'un des fonds commencerait son activité le 12 mai.

130.000 milliards et on passe en mode soviétique

La FED ne peut pas, statutairement, acheter des obligations d'entreprises. Elle a donc rusé. Elle a mis en place des « véhicules d’investissement », conjointement avec le département du Trésor. En clair, la FED imprime de la monnaie, la fournit à cet ... intermédiaire. Le Trésor se saisit de ces fonds et achète à la place de la FED.

Jusqu'où ? Combien la FED et le Trésor peuvent-ils racheter ? Et dans ce cas, le Trésor n'est-il pas en train de nationaliser l'économie américaine ? Combien faudrait-il racheter pour que les États-Unis d'Amérique deviennent L'Union des Etats Soviétiques d'Amérique ? La Deutsche Bank a fait l'exercice drolatique... En estimant le montant des actifs américains il faudrait que la FED rachète pour 130.000 milliards de dollars. Une paille. Entre mi-mars et mi-mai, on en est déjà à 7.000 milliards... à ce rythme on y est dans 3 ans...

Tableau réalisé par la Deutsche Bank - Copie d'écran
Tableau réalisé par la Deutsche Bank - Copie d'écran

Voilà une perspective qui devrait emplir d'effroi les investisseurs Américains. Une nationalisation rampante de l'économie du pays champion mondial du capitalisme triomphant, chantre du libéralisme le plus débridé... Parfaitement antinomique...

Ça imprime... Ça imprime... - Copie d'écran de https://brrr.money/
Ça imprime... Ça imprime... - Copie d'écran de https://brrr.money/

C'est rouge !

Partout dans le monde développé, les investisseurs sont chaque jour un peu plus déconnectés de l'économie réelle. Les indicateurs macro-économiques sont au rouge vif :

  • le nombre de création d'entreprises s'écroule,
  • le nombre de chômeurs explose de manière sidérale,
  • le nombre de faillites en perspective est énorme,
  • la production industrielle s'effondre,
  • les ventes de détail plongent,
  • les défauts sur les prêts hypothécaires flambent,
  • les entreprises vont avoir de plus en plus de mal à se financer...

On en passe.

Et pourtant, dopés aux annonces de la FED, les investisseurs font le pari que le monde d'avant va être réinstallé pour leur plus grand profit. Ils tablent sur un déconfinement qui relance l'activité et sur la découverte dans un avenir très proche d'un vaccin.

Les investisseurs sur-réagissent aux annonces du patron de la FED, Jerome Powell, qui continue de dire que la banque centrale peut encore « faire beaucoup plus » (pourquoi se priver, les annonces, les promesses, cela ne coûte pas cher). Une vague étude sur un projet de vaccin ? Génial : 90% du S&P 500 s'envole.

Exemple de cette déconnexion entre les marchés et l'économie réelle : Uber.

L'entreprise a vu son activité de transports de passagers chuter de 80% sur un an. Elle a licencié un quart de ses salariés en un mois. Mais son cours de bourse se reprend lentement et surement...

Le cours d'Uber ces quatre derniers mois - Copie d'écran
Le cours d'Uber ces quatre derniers mois - Copie d'écran

Dans le même ordre d'idées, Zoom, qui édite une application permettant de faire des visioconférences en transmettant plein de données personnelles sans le savoir à Facebook, et qui est relativement bien trouée en termes de sécurité, a désormais une valorisation boursière plus importante que les 7 plus grosses compagnies aériennes combinées.

Le tableau ne sera cependant complet que lorsque la prochaine crise éclatera. Celle générée par l'explosion de l'endettement qui sert de cautère sur une jambe de bois. Il suffirait de peu de chose. Comme des taux négatifs ou à l'inverse, une hausse sensible des taux. C'est dire que la marge de manœuvre de la FED et du reste du monde capitaliste est faible...

2 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée