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par Jacques Duplessy

L’Ukraine prête à passer à l’offensive

Les frappes et les attaques locales se multiplie pour déstabiliser l’armée russe.

La contre-attaque est imminente. L'armée ukrainienne prépare le terrain par des bombardement ciblées et des coups de sonde pour évaluer le dispositif adverse. Où l'attaque principale aura-t-elle lieu ? Quelles sont les forces et faiblesses des forces en présences ? On fait le point.

L'armée ukrainienne à l'offensive - D.R.

Annoncée depuis plusieurs mois, la contre-offensive de Kyiv pour continuer la libération des territoires occupés ne devrait plus tarder. Pour certains analystes, elle a même déjà commencé, si on inclut toute ces actions préparatoires. Depuis plusieurs jours, on assiste a une multiplication des frappes en profondeur (attaques de dépôts de carburants, de raffineries, de postes de commandement, de dépôts de munitions) mais aussi à des sabotages de voies de chemin de fer. L’objectif est de désorganiser l’armée russe et de perturber son ravitaillement.

Dans le même temps, l’armée ukrainienne multiplie les attaques locales et les coups de sonde pour évaluer le dispositif russe et repérer les points faibles. Il s’agit là de conquérir des petites positions permettant de faciliter l’offensive. Et en multipliant ces attaques le long de la ligne de front, le but est aussi d’entretenir le brouillard de la guerre pour que l’armée russe découvre la zone de l’offensive le plus tard possible. L’armée ukrainienne a lancé une série d’attaques sur les flancs de la ville de Bakhmut (qui n’est toujours pas contrôlée entièrement par les Russes) et a conquis environ 20 km² en quelques jours. Difficile de savoir si une offensive plus large sera lancée depuis cette région ou s’il s’agit de fixer des troupes russes pour faciliter une offensive d’envergure ailleurs. Mais ces petites victoires ukrainiennes affolent les réseaux sociaux prorusses. Ce qui est aussi intéressant pour casser le moral de l’adversaire. Dimanche 14 mai, le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueni Prigojine, a prédit un effondrement russe autour de Bakhmut, sur les flancs de la ville où ont lieu les attaques ukrainiennes. Il a aussi une nouvelle fois pointé du doigt l'inaction de l'armée régulière russe. En conflit ouvert avec la hiérarchie russe depuis plusieurs mois, il a accusé « les forces aéroportées » de ne pas appuyer ses hommes comme le ministère de la Défense le prétend. Fait rare, les russes ont reconnu la mort de plusieurs officiers de haut rang après une frappe sur un QG au sud de Bakhmut. Les victimes sont le commandant de la 4e brigade, le colonel Makarenko, le chef d'état-major de la 4e brigade, le colonel Mazur et l’adjoint du colonel Tretiak de la 2e armée de l'intérieur (séparatiste pro-russe).

Carte du front réalisée par l'Institute for the Study of War
Carte du front réalisée par l'Institute for the Study of War

Quels sont les moyens réels de l’Ukraine ? Examinons tout d’abord ses atouts. Le premier est sans doute la motivation des soldats, le soutien de la population civile, l’ingéniosité à s’adapter et la qualité du commandement central qui a largement sur-performé par rapport à ce qui était attendu.

L’Ukraine a reçu du matériel pour agir. Pas autant que nécessaire, mais ce n’est pas rien. La formation des soldats fonctionne bien localement, comme dans les pays qui les appuient dans ce secteur, mais les formations sont courtes et rien ne remplace l’expérience du combat. Selon plusieurs experts, l’opération pourrait mobiliser 8 brigades d’assaut, 8 brigades mécanisés et 4 blindées comprenant en chacune un peu plus de 3.000 hommes, auquel il faudrait ajouter une vingtaine de brigades territoriales plus légèrement équipées pour tenir le terrain.

Il faut aussi ajouter l’accès aux renseignements fournis par les alliés et l’appui pour simuler les opérations en amont. Les ukrainiens ont aussi des missiles anglais Storm Shadow. Si ce n’est pas un game changer en soi, cela permettra à l’armée ukrainienne de détruire des cibles de haute valeur à une distance de 250 kilomètres. Jusqu’à présent, ils étaient limité à une portée de 80 km avec les Himars américains. Les Ukrainiens ont également développé une armée des drones qui permet de harceler l’ennemi dans les tranchées. Si ce n’est pas en soi décisif, cette menace permanente pèse sur le moral des soldats russes.

Mais l’armée ukrainienne présente aussi des faiblesses. Les pertes (blessés et tués) sont très supérieures aux chiffres annoncés dans les médias. « Au point de manquer probablement de sous officiers compétents », estime une source militaire française sous couvert de l’anonymat.

Bombardements incendiaires à Bakhmut

Vue aérienne de la ville

Le matériel et les munitions sont aussi des sources de préoccupation. Le maintient en condition opérationnel de matériels très hétéroclites et leur remplacement sont aussi un casse-tête. Les pays qui les soutiennent ont largement vidé leurs stocks (sauf les Américains), et les industriels ont besoin de temps pour augmenter leur production.

La disponibilité des munitions est aussi cruciale. Celle pour les canons, mais aussi celle pour les dispositifs de défense antiaérienne. Les Ukrainiens auraient en stock environ 100.000 obus réservés pour l’offensive, soit 20 jours seulement d’opération, selon les experts. D’après des fuites de documents américains, le stock de missiles antiaériens serait critique, ce qui permettrait à l’aviation russe de multiplier les bombardements.

Où l’armée ukrainienne attaquera-t-elle ? Difficile de le savoir . L’hypothèse la plus probable (trop attendue ?) est une attaque dans la province de Zaporizhia. L’objectif serait d’atteindre la mer d’Azov, les villes de Melitopol et de Berdiansk, soit une percée de 70 km environ, et de couper le front en deux pour menacer la Crimée. L’armée ukrainienne pourrait aussi choisir de traverser le Dniepr. Les opérations de débarquement sont difficiles mais pas impossibles. Elle pourrait enfin choisir d’attaquer dans le Donbass.

Où que l’opération principale se passe, elle sera difficile. L’armée russe a eu le temps de construire des positions retranchées avec un réseau de points d’appui de sections enterrés ou installés dans des localités, protégés et reliés par des lignes successives de mines, de tranchées et d’obstacles anti-char.

L’offensive de printemps ukrainienne ne sera sans doute pas décisive au point de mettre un terme à la guerre. Il faudra sans doute plusieurs actions étalées sur plusieurs mois ou années pour libérer le pays ou pour que Moscou jette l’éponge.

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