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par Jacques Duplessy

L'idéal communiste a-t-il encore un avenir ?

Réflexions croisées de Stéphane Gatignon, Pierre Eyben et Maurice Bellet

Alors que les gauches esquissent un dialogue en vue des prochaines présidentielles et que le Parti communiste français a eu 100 ans, le marxisme peut-il encore aider à penser notre situation ? Certains veulent le croire et esquissent des pistes.

Vestiges - Wikipedia - CC BY-SA 3.0

Le communisme a-t-il encore quelque chose à nous dire ? Question provocante quand on connaît le bilan de l’ère soviétique ou du modèle chinois, et autres dictatures se revendiquant de l’idéologie communiste. En 2012, Maurice Bellet, prêtre, psychologue et philosophe, qui prend souvent ses lecteurs à rebrousse-poil, publiait ce livre « L’avenir du communisme ». Sans point d’interrogation. Car il incarnait « une espérance, où dans la crise où nous sommes, est plus nécessaire que jamais ». Une provocation à changer de monde afin de faire apparaître « ce qu’il faut absolument sauver ». Vraiment ?

Certains le pensent, comme Stéphane Gatignon, l’ancien maire de Sevran qui a démissionné en 2018, lassé mépris du gouvernement envers les banlieues, et Pierre Eyben, un élu local belge, cofondateur du mouvement Demain. Un point commun entre ces deux personnalités politiques : elle allient idées communistes et combat pour l’environnement. L’avenir du communisme passerait-il par se mettre au vert ?

« C’est certain que nous devons avoir une rupture claire avec le productivisme, affirme Pierre Eyben. Le communisme était productiviste. On a pris conscience aujourd’hui de la finitude des ressources de notre Terre. Le marxisme est anachronique sur cette question, même si dans ses écrits tardifs, Marx distingue la valeur d’usage et la valeur d’échange. La valeur d'usage est l’utilité concrète du bien. Elle est donnée par la nature et la quantité de la marchandise. La valeur d'échange est une propriété de la marchandise qui permet de la confronter avec d'autres marchandises sur le marché en vue de l'échange. Ce clivage marxiste entre ces deux valeurs est écologique, dans le sens où il invite à choisir la valeur d’usage, donc donner le juste prix aux choses et à choisir l’utilité pour éviter la surconsommation. »

Redéfinir les classes sociales

« Le communisme tel qu’on l’a connu au niveau organique est mort, estime Stéphane Gatignon mais la question d’un monde égalitaire, d’un en-commun partagé, d’un monde où chacun a sa place est vraiment d’actualité. Évidemment, le partage des richesses est lié à l’en-commun. »

« Des concepts marxistes restent intéressants et pertinents pour analyser la société, estime Pierre Eyben, mais il faut les retravailler. Par exemple, la lutte des classes reste un fait. Mais il faut redéfinir les classes sociales. Par exemple, la césure manuels – intellectuels n’est plus totalement pertinente. Mais la bourgeoisie reste bien une classe qui tire son revenu du travail des autres. » « Le monde ouvrier a disparu mais il y a beaucoup de déclassés, de marginalisés, d’écrasés, analyse Stéphane Gatignon. Dans les banlieues, parmi les auto-entrepreneurs précarisés, chez les uberisés de notre monde moderne. Une forme de rapport de classe est toujours actuelle. Les habitants des banlieues n’ont pas de voix dans la société. C’est comme les ouvriers il y a 100 ans. »

L'avenir, l'écosocialisme ?

« Je me revendique aujourd’hui de l’écosocialisme, dit Pierre Eyben. Pour moi, ce courant doit prendre en compte trois dimensions : sociale, démocratique et écologique. Dans la dimension sociale, la clef de lecture marxiste est cohérente. La question démocratique est aussi centrale. Là, le communisme a échoué, mais le capitalisme aussi échoue sur ce plan avec l’avènement d’un capitalisme de surveillance. Réinventer la démocratie doit être au cœur du projet. Je ressens une fatigue des citoyens par rapport à notre modèle démocratique, et c’est inquiétant. Sur la question écologique, nous devons avoir une rupture ferme avec le productivisme et encourager les ruptures technologiques. En Belgique, nous avons faits le choix, en créant le mouvement Demain de partir du local, d’encourager la planification à une échelle plus petite, à gérer l’eau au travers de structures publiques. Je ne crois pas au grand soir ! »

« En France, la situation est un peu différente, soupire Stéphane Gatignon. Comme élu de terrain, j’ai échoué à faire bouger les choses. On est la mouche du coche, on n’a pas de moyens. Les plus pauvres sont les premiers à souffrir de la crise environnementale en France comme à l’étranger. En banlieue, en province, beaucoup d’argent va dans l’essence dans le budget des précaires. Le capitalisme va évoluer coté écologie, il est important de profiter de cette crise pour penser la cogestion des entreprises. Il est urgent de redéfinir une République écologique et sociale. »

L'avenir du communisme

Bonnes feuilles

Il y avait dans le communisme une générosité d'intention, un universalisme résolu, l'attente et la volonté d'une régénération qui serait liberté et création. Rien de tel dans les intégrismes nouveaux. Et, dans la mesure où les démocraties s'enlisent dans la médiocrité, ou pire, c'est comme si cette puissance d'inspiration présente au communisme avait disparu.

Alors vient cette pensée : c'est cela qu'il faudrait retrouver, ce qui, dans le communisme de fait, s'est retrouvé piégé et finalement perdu. (...)

Les grands débats économiques sont eux-mêmes réduits à néant, comme des querelles de préséance ou d'intérêt à court terme quand le tsunami arrive de l'horizon. C'est l'humanité qui est menacée, pas les cours de la Bourse ! Ce n'est pas sous-estimer la gravité de la crise économique : elle tue. Le dérisoire peut-être meurtrier. Mais c'est la situer. C'est défaire, sans retour, la prétention de ce jeu absurde à être le lieu décisif. Oui, nous sommes condamnés à reprendre à fond l'ambition révolutionnaire en ce qu'elle a de plus extrême : inventer, créer une humanité capable de porter la condition devenue sienne ; mais pas du tout comme la fabrication de l'homme nouveau, car il ne nous reste que la présence et l'urgence de garder ne nous ce qui nous donne d'être là. (...)

L'avenir du communisme, c'est que l'immense espoir d'une humanité délivrée de ce qui la détruit et capable de mener plus loin la puissance qu'elle s'est découvert, que cet espoir-là soit repris, en descendant plus bas jusqu'en ces processus noir qui ont compromis le communisme lui-même pour passer par-delà. Je reconnais : il y a dans cet espoir une sorte de naïveté sauvage; il y a même ce moment où tout ce qui se donne en la culture avec l'ambition de soutenir l'existence, tout paraît cendre. (...)

Contrôler et maîtriser l'argent, le soumettre au bien public, à la saine répartition des tâches, des fonctions, des bénéfices, bref, à la raison est une décision simple. La réalisation technique est difficile - mais possible.

Or la complicité de tout ceux que cela dérangerait la rend impossible et rend, du même coup, la décision impuissante. Et voilà pourquoi notre économie est folle.

Il faut en finir avec le gémissement désolé de ceux qui déplorent la situation et déplorent encore plus qu'elle soit sans remède; comme avec le cynisme de ceux qui s'y résignent gaiement, car ils se croient du bon côté de la ligne, celui des gagnants.

Les vieux stoïciens distinguaient ce ne dépend pas de nous - les événements - et ce qui dépend de nous - notre jugement. La sagesse était de régler notre opinion sur ce qui est, au lieu de prétendre l'inverse, ce qui ne peut être que trouble et déception. Il y a du vrai dans cette sagesse-là. pourtant nous avons tellement accru notre puissance que ce qui dépend de nous est immense. Mais nous préférons, à l'action exigeante, l'excuse de notre impuissance.

Maurice Bellet,_ L'avenir du communisme_, éd. Bayard, 2013

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