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par Antoine Champagne - kitetoa

L'étrange déclaration de la Banque centrale européenne sur le Bitcoin

Il faut parfois savoir lire entre les lignes...

Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne, verbalise certaines choses sur le Bitcoin. Ce n'est pas anodin. Au contraire, cela devrait retenir toute notre attention.

Isabel Schnabel - Gregor Fischer - Wikipedia - CC BY 2.0

Il y a quelques années, Reflets avait provoqué une cascade de commentaires outrés ou amusés mais tous assez dubitatifs avec un article dont le titre particulièrement putaclic visait à alerter sur un point particulier : quelle que soit la hype qui l'entoure, son cours super élevé, le Bitcoin n'a de valeur que parce qu'il est convertible. En d'autres termes, si quelques grandes banques centrales décidaient du jour au lendemain que le Bitcoin n''est plus convertible, son cours serait réduit à pratiquement zéro.

Bien entendu, il serait toujours possible de jouer à la marchande avec, mais qui voudrait d'un truc non transformable en euros ou en dollars ? Dire cela, c'est aussi se replacer dans une perspective historique. Il ne s'agit pas de la première tentative de monnaie électronique utilisable comme moyen de paiement via Internet. D'autres étaient déjà apparues au début du réseau et s'étaient heurtées à l'hostilité des banques et des banques centrales. Elles n'avaient pas survécu.

L'exemple le plus connu est Digicash (les cyber-bucks) de David Chaum.

Le Bitcoin est une forme de monnaie électronique (pas que) mais elle n'en a pas tous les attributs. Par exemple, ce n'est pas du liquide. Ce dernier ne laisse pas de traces lorsqu'il est utilisé pour une transaction. Si une banque sait que vous avez retiré du liquide depuis votre compte, elle n'a aucune idée de ce à quoi vous l'utilisez par la suite.

C'est peut-être ce qui a sauvé le Bitcoin lors de son ascension : son manque (tout étant relatif) d'anonymat.

Dans une interview récente, Isabel Schnabel estime que « il est erroné de décrire le bitcoin comme une monnaie, car il n'a pas les propriétés fondamentales de l'argent. Il s'agit d'un actif spéculatif sans valeur fondamentale reconnaissable, dont le prix est soumis à des fluctuations massives. »

Premier coup de canon à destination du Bitcoin.

Mais cette membre du directoire de la Banque centrale européenne enfonce le clou. Notez que l'interviewer lui tend une perche qui semble très téléphonée : « les monnaies telles que l'euro n'ont pas non plus de valeur intrinsèque, mais sont simplement basées sur la confiance. »

Oui petit scarabée. Mais tu vas, voir, Sifu Schnabel va t'expliquer : « L'euro est soutenu par la BCE, qui jouit d'une grande confiance. Et il a cours légal. Personne ne peut refuser d'accepter l'euro. Le bitcoin est une autre affaire. »

Et voilà comment en quelques lignes, l'une des personnes aux manettes de la BCE, l'une des quelques grosses banques centrales mondiales, vient de verbaliser le fait que le Bitcoin ne tient que parce qu'il est convertible. Si ce n'est pas un avertissement, on ne voit pas bien de quoi il s'agit.

Son interviewer continue de faire mine de défendre le Bitcoin (pourquoi cette valeur et pas d'autres ?... Hum...)

« Le fait est que de nombreuses personnes font manifestement confiance au bitcoin. Cela pourrait-il nuire aux monnaies établies comme l'euro ? »

Pas inquiète pour un sou, Isabel Schnabel répond : « Je crains plutôt que la confiance dans les crypto-monnaies ne s'évapore rapidement, provoquant des perturbations sur les marchés financiers. C'est un système très fragile. »

Une piste d'explication de ces propos qui dénotent un peu dans un océan de commentaires laudateurs sur les crypto-monnaies, tient peut-être dans la suite de l'interview... La BCE veut lancer un euro numérique...

La BCE envisage d'introduire elle-même un euro numérique. Pourquoi ?

Les systèmes de paiement sont aujourd'hui beaucoup plus numérisés qu'ils ne l'étaient auparavant. C'est pourquoi nous devons examiner ce que cela signifie pour notre système monétaire. Mais rien n'a encore été décidé. De nombreux travaux préparatoires doivent être effectués pour que le projet puisse être mis en place correctement.

Cela signifie que l'euro numérique ne serait introduit que dans quatre ou cinq ans. N'est-ce pas trop tard ?

Je ne le pense pas. Personne ne peut offrir un degré de sécurité et de protection des données similaire à celui de la BCE. Les gens trouvent ce sujet important : en tant que consommateurs, à qui voulons-nous divulguer nos données ? Ils sont sûrement plus susceptibles de faire confiance à la BCE qu'à Facebook ou à d'autres opérateurs privés.

Li Bo, un vice-gouverneur de la banque centrale de Chine y est également allé de sa petite musique. Selon lui la Chine voit les stablecoins et le Bitcoin comme une autre forme d'investissement (hors actions, obligations et monnaies), pas comme une monnaie. Selon Li Bo, le e-CNY, la crypto-monnaie nationale chinoise sera disponible pour tous en 2022...

Enfin, toujours sur le registre des petits avertissements entre amis, Jesse Powell, le patron de Kraken, a estimé dans une interview à CNBC, que les Etats, et notamment les États-Unis, pourraient vouloir réguler plus drastiquement les crypto-monnaies sous la pression banques.

Bien malin celui qui pourrait prédire l'avenir des monnaies électroniques et du Bitcoin en particulier. Mais une chose est sûre : il ne reste pas grand chose aux entités étatiques en termes de pouvoir. Ils ont du mal à mener les politiques économiques qu'ils souhaitent et à légiférer en dehors des pressions des lobbies. Mais les banques centrales décident toujours de ce qui est une monnaie et de ce qui ne l'est pas.

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