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par Jacques Duplessy

L'association Anticor dans la tourmente

L'Etat hésite à renouveler l'agrément à l'association de lutte contre la corruption

Anticor traverse une importante crise interne alors que son agrément pour agir en justice arrive à échéance le 2 avril. Un bras de fer est engagé avec l’État pour qu'elle puisse conserver son précieux sésame.

Page d'accueil d'Anticor

L’association de lutte contre la corruption Anticor traverse une crise sans précédent. Premier problème, le gouvernement traîne les pieds pour lui renouveler son agrément pour agir en justice. Arrivé à échéance, le gouvernement l’a prorogé le temps de réaliser une enquête complémentaire. « L’État s’est lancé dans une vérifiable inquisition, raconte Élise Van Beneden, la présidente d’Anticor. J’en suis à 75 pages d’échanges avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui instruit le dossier. L’État hésite à se débarrasser de nous, car nous avons agi en justice dans plusieurs affaires visant des membres du pouvoir et leurs proches, comme Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, Alexandre Benalla ou l’affaire Alsthom. » « Le fait que ça soit la DACG, qui dépend du ministère de la Justice est un vrai problème, affirme Eric Alt, vice-président d'Anticor et magistrat. Le ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, mis en cause par Anticor, a dit dans les médias tout le mal qu'il pense de notre association. Vous voyez le conflit d'intérêt ? »

L’État a demandé par ailleurs à l’association de dévoiler l’identité d’un gros donateur qui a versé entre 5.000 et 20.000 € par an depuis plusieurs années. La CNIL, la commission nationale informatique et liberté, a donné raison à l’association qui refuse de communiquer son nom aux autorités : « Le texte semble insuffisamment précis pour imposer la production du détail des noms des donataires au-delà d'une certaine somme et les montants de leurs dons. (…) Les services de la CNIL sont d'autant plus enclins à faire cette interprétation stricte de l'arrêté qu'il s'agit d'informations revêtant un caractère hautement personnel, voire sensible, pour les personnes concernées. Selon le contexte en effet la qualité de donateur associée aux activités de l'association Anticor est susceptible de révéler une opinion politique au sens de l'article 9 du RGPD (le règlement général de protection des données personnelles, NDLR). »

Anticor opportunément visé par des titres proches du pouvoir

Finalement, c’est la presse qui s’est chargée de dévoiler l’identité de ce donateur et qui a révélé qu’il avait des comptes dans des paradis fiscaux. « Nous n’avions pas ces éléments évidemment, se défend Eric Alt, le vice-président de l’association. C’est un homme d’affaires, on s’est assuré qu’il était Français, que l’argent venait de France, qu’il n’était pas inféodé à une puissance étrangère. Il nous a assuré que toutes ces affaires étaient légales. Et avoir des comptes au Luxembourg ou à Singapour n’est pas illégal. En plus, il n'a pas utilisé Anticor pour son image de marque puisqu'il souhaitait rester anonyme. Nous sommes victimes d'une campagne de presse portée essentiellement par Le Point et Le Journal du Dimanche. Nous avons porté plainte en diffamation contre ces deux titres, notamment sur leur affirmation mensongère que nous nous sommes parjurés lors de notre audition à l'Assemblée nationale. »

Dans un communiqué de presse, l’association s’interroge : « Que cherchent alors nos détracteurs ? Dissuader tout donateur d’aider Anticor ? Si c’est l’objectif recherché, il est partiellement atteint puisque le donateur a cessé le versement de ses dons pour protéger l’association. Pour faire taire Anticor, on ne s’y prendrait pas autrement qu’en s’attaquant indûment à son agrément, ses soutiens financiers et ses dirigeants bénévoles. A travers Anticor, c'est à la démocratie qu'on s'attaque. »

Crise interne et référents locaux débarqués

Mais une crise interne complique la situation. Dix administrateurs, sur les 21 que compte le conseil d’administration (CA), ont demandé plus de transparence dans la gestion et militaient pour que des élus ne puissent occuper des responsabilités dans l’association. « La question était légitime, mais le CA et l’Assemblée générale ont démocratiquement tranché », raconte Elise Van Beneden. Certains administrateurs contestent la validité de cette dernière Assemblée générale devant la Justice. A la suite de ces querelles, plusieurs référents locaux ont été débarqués. Trois ont même été exclus de l’association. Françoise Verchère, une ancienne élue de l’Ouest très engagée dans la lutte contre la corruption, faisait partie de ceux qui contestaient la gestion de l’association : « On a été victime d’une chasse aux sorcières. Par exemple, nous avions demandé à connaître l’identité de ce gros donateur, cela nous a été refusé soi-disant à cause du RGPD. Il a bon dos... On ne voulait pas rendre public son nom, on voulait, en tant qu'administrateurs être informés, car nous sommes tous responsables. Notre ancien président, Jean-Christophe Picard, a utilisé Anticor comme tremplin politique pour les élections municipales en se présentant à Nice sur une liste. Il a démissionné au dernier moment avant les élections au mépris de nos règles internes adoptées en septembre. Ce n’est pas normal. Nous ne voulions pas qu’une telle chose puisse se reproduire. »

Dans sa lettre de démission adressée à la présidente de l'association, Françoise Verchère fait part de son amertume : « Transparence et démocratie, ce sont des valeurs que je croyais trouver en intégrant le Conseil d’administration d’Anticor. Hélas, je regrette d’avoir à dire que mon passage dans ses instances nationales aura été la dernière désillusion de la militante que je suis. Pas la plus cruelle, je me suis blindée avec le temps, mais peut-être la plus amère parce qu’elle m’a fait retrouver et revivre les pratiques les plus détestables que je croyais réservées au monde politique et dont je pensais qu’elles ne pouvaient exister à Anticor. »

Un véritable gâchis

Roland Gatti, policier retraité et co-référent pour la Meurthe-et-Moselle et administrateur national pendant plus de six ans, fait partie de ceux qui ont été exclus. « Le problème est que c'est trois personnes qui tiennent l'association. Anticor, ce n'est pas que ceux de Paris. Localement, on a de nombreux dossiers qu'on a transmis à la JIRS, la juridiction inter-régionale de la police spécialisée dans la finance. On m'a viré au motif que j'étais un soutien du FN, moi qui suis de gauche ! J'avais relayé sur ma page Facebook personnelle le tract d'une candidate RN qui disait la vérité sur François Grosdidier. Alors qu'Anticor est en justice contre lui ! En fait, on me reproche surtout d'avoir soutenu la demande d'annulation de la dernière Assemblée générale. Et je tiens à préciser que je ne veux pas qu'Anticor perde son agrément. »

Pour la présidente d’Anticor qui se dit « épuisée », c’est un véritable gâchis. « Les opposants internes sont devenus les alliés de circonstance de ce gouvernement, soupire Elise Van Beneden. Nous allons nous battre pour obtenir l’agrément et tout faire pour recoller les morceaux en interne. Paradoxalement, cette crise nous a fait gagner 1.000 adhérents depuis janvier pour atteindre 6.000. Les citoyens ne s’y trompent pas. Et nous souhaitons que ce mouvement d'adhésion continue. » Eric Alt s’interroge : « Macron a des tentations autoritaires. Y a-t-il la place pour des contre-pouvoirs citoyens modestes ? C’est ça la question derrière le renouvellement de notre agrément. Si le gouvernement ne nous l'accorde pas, nous irons devant le Conseil d’État. »

Edit du 15 mars - 21h25

A la suite de la publication de notre article, nous avons reçu un mail d'un des administrateurs "débarqués" :

Après lecture de votre article, je tiens à préciser que nous avons été révoqués car nous nous sommes aperçus qu'un administrateur n'était plus adhérent et qu'il votait au CA. Grâce à cette voix, ils étaient 11. Or, sans cette voix, la personne qui prenait sa place était avec nous et nous devenions majoritaires. Il n'y aurait donc pas eu de révocation. D'où notre assignation pour faire annuler les CA précédant l'AG.

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