L'armée ukrainienne à l'offensive

Elle semble enregistrer des premiers succès dans le Sud, mais aussi dans l'Est du pays

Assiste-t-on à un tournant dans la guerre en Ukraine ? L'armée russe a ralenti ses offensives et semble disposer de moins de ressources. Dans le même temps, les forces de Kyiv sont montées en puissance grâce à l'aide occidentale. Elles semblent désormais avoir l'initiative, mais beaucoup d'inconnues demeurent sur la capacité de l'armée ukrainienne à soutenir son effort pour libérer le pays.

Après des semaines d’annonces d’une contre-offensive ukrainienne dans le sud du pays, celle-ci a finalement été lancée fin août. Mais impossible d’y voir très clair : le commandement militaire ukrainien a imposé un embargo très strict sur le déroulement des combats. Difficile même de savoir le but de cette offensive. Est-il seulement d’affaiblir le dispositif russe dans cette bande de 20 à 50 km de large sur 150 km ? De reprendre Kherson, voire de franchir le Dniepr pour libérer le sud du pays ? Après avoir claironné que l’opération est un fiasco, les propagandistes pro-russes commencent à reconnaître des avancées ukrainiennes. Car les progrès de l’armée de Kyiv sont incontestables : les cartes satellites montrant les points chauds provoqués par les bombardement révèlent que la ligne de front a bougé. L’armée ukrainienne semble s’être approchée de la ville de Kherson, placée en état de défense par les Russes. Le brouillard de la guerre commence tout juste à se dissiper. Le président Zelensky a annoncé dimanche soir la reprise de localités dans le sud du pays mais aussi dans l’est, dans la région de Donetsk, sans toutefois donner les noms des villages. Une avance confirmée par les premières vidéos qui émergent sur les réseaux sociaux.

Carte de la situation en Ukraine au 5 septembre

Estimation de la situation sur le front sud de l'Ukraine au 5 septembre

Cette offensive a été longuement préparée par « la bataille des ponts ». Tout l’été, depuis la réception par l’armée ukrainienne des lanceurs de roquettes Himars, capables de frapper précisément des cibles à une distance de près de 80 km, les ponts traversant le Dniepr dans la bande sud sont systématiquement bombardés. Les principaux sont désormais impraticables et les ponts provisoires installés par les Russes sont détruits. Les dépôts de munitions et les centres de commandement sont aussi visés quotidiennement. L'artillerie ukrainienne semble aussi plus efficace. Enfin, ces derniers jours ont vu le retour de l'activité des désormais célèbres drones Bayraktar TB2. Ils ont été à l'origine de destructions de plusieurs tanks et véhicules blindés. L'un d'eux a d'ailleurs été abattu dans le sud. Les avions et les hélicoptères ukrainiens semblent avoir multiplié les frappes. Le ciel ukrainien est disputé par les deux camps, et non pas sous contrôle russe comme on aurait pu le prévoir. Cette activité de l'armée de l'air ukrainienne a sans doute été rendue possible par la livraison de missiles anti-radar américains AGM-88 HARM [High-speed, Anti-Radiation Missile] qui permettent la destruction des radars de batteries de défense antiaérienne. Ces missiles ont été adaptés pour pouvoir être tirés par des chasseurs ukrainiens. Les avions de combat peuvent donc évoluer un environnement moins menaçant.

L’armée ukrainienne a méthodiquement affaibli les quelques 25.000 hommes stationnés dans cette bande de Kherson avant de lancer son offensive, en les privant de ravitaillement et de munitions. Les soldats russes combattent aussi dos au Dniepr sans qu’il leur soit aisé de se replier. Dans le meilleurs des cas, l’armée ukrainienne pourrait espérer capturer un grand nombre de soldats et d’équipement, et aussi porter un coup politique à Vladimir Poutine.

L'armée ukrainienne prend l'initiative mais reste fragile

Durant l’été, l’armée ukrainienne a aussi mené plusieurs opérations audacieuses. La plus marquante est l’attaque d’un aérodrome militaire russe en Crimée le 9 août avec la destruction au sol d’une dizaine d’appareils. Plusieurs collaborateurs des Russes ont aussi été assassinés à Kherson et Melitopol par la résistance locale.

L’objectif était de contrarier l’organisation de simulacres de référendum pour annexer des territoires occupés. Un objectif qui semble avoir été atteint puisque Moscou aurait annoncé le report de l'élection.

La situation de l’armée ukrainienne reste pourtant délicate : la fourniture d’armes a drastiquement baissé pendant l’été et elle manque toujours de missiles et d’obus pour rivaliser avec l’artillerie russe.

Dans le même temps, les civils ukrainiens continuent de payer un lourd tribut sous les bombardements aveugles des missiles russes. Tout récemment, l’ampleur du nombre de victimes dans la ville de Mariupol a pu être estimé : 121.000 morts sur une population de 431.000 habitants !

L’armée russe n’est pas restée l’arme au pied. Dans le Donbass, elle a continué de mener quotidiennement des assauts et poursuivi sa stratégie de grignotage. Aujourd’hui, environ 20 % du territoire ukrainien est occupé, dont 60 % de l’oblast de Donetsk et l’intégralité de l’oblast de Louhansk. Mais, signe d’un essoufflement de ses forces, le territoire conquis au mois d’août est estimé à 460 km², selon Ukraine War Map, soit 0,08 % de plus qu’à fin juillet. Ces derniers jours des contre-attaques ukrainiennes leur ont même permis de reprendre un peu de de terrain. L'initiative semble changer de camp.

Des signaux s’accumulent qui permettent de penser que l’effort de guerre russe est de plus en plus difficile à soutenir. Au 5 septembre, 1.012 chars, 523 véhicules de combat blindés et 1.098 véhicules de combat d’infanterie ont été perdus, selon le site Oryx qui documente les pertes des deux camps grâce aux photos ou vidéos accessibles sur les réseaux sociaux. Ces chiffres sont donc sous-estimés.

Voici le comparatif des pertes russes et ukrainiennes au 6 septembre :

L’armée russe peine à recruter, comme le montrent des campagnes lancées en direction des prisonniers et des SDF ou des témoignages de conscrits affirmant avoir signé un engagement dans l’armée sous la contrainte, avant d’être expédiés sur le front ukrainien.

L’armée ukrainienne a-t-elle les moyens humains et matériels d’exploiter ces premiers succès ? Impossible de le savoir. Quel que soit l’issue de cette bataille du Sud, le conflit s’annonce encore long, à tel point que des analystes américains envisagent désormais une guerre de plusieurs années.