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par Antoine Champagne - kitetoa

L'Allemagne espionnerait pour le compte de la NSA : pourquoi la France se tait

Selon la presse allemande, l'Allemagne aurait espionné la France et l'Union européenne pour le compte de la NSA. Etonnament, pensent certains, la France se tait. Comme si finalement, il n'y avait pas là une sorte de cassure dans le couple franco-allemand. Arte a demandé à Reflets ce qu'il en pensait. Nous ne sommes pas des experts de l'espionnage mais nous avons quand même une idée ou deux sur le sujet.

Selon la presse allemande, l'Allemagne aurait espionné la France et l'Union européenne pour le compte de la NSA. Etonnament, pensent certains, la France se tait. Comme si finalement, il n'y avait pas là une sorte de cassure dans le couple franco-allemand. Arte a demandé à Reflets ce qu'il en pensait. Nous ne sommes pas des experts de l'espionnage mais nous avons quand même une idée ou deux sur le sujet.

Premier point, comme l'expliquait déjà Bluetouff en juin 2013, la collaboration très étroite entre la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les Etats-Unis en matière d'écoute n'est pas une nouveauté. L'armée américaine et la NSA, évidemment, exploitent des bases monumentales dans ces pays. Des bases dans lesquelles les employés sont américains. Lorsqu'un pays donne le droit à un autre de mettre en place des stations d'écoute très sophistiquées et "autonomes" sur son sol, on est en droit d'imaginer que la collaboration dans ce domaine est maximale.

Deuxième point, il est désormais établi que les pays, amis plus ou moins proches, ont mis en place après le 11 septembre une gigantesque bourse d'échange de renseignements. Tu espionnes machin, ça m'intéresse. Moi j'espionne truc et ça t'intéresse. Ça tombe bien, nos législations locales nous interdisent d'espionner machin ou truc, on n'a qu'à échanger ces données. #Spamoi qui l'ai fait, c'est mon copain. Ainsi, les Etats-Unis puisent en Grande-Bretagne les informations concernant leurs ressortissants et la Grande-Bretagne va chercher aux Etats-Unis les données concernant les sujets de sa majesté. Pratique.

Les Etats-Unis, comme l'avait déjà évoqué Reflets, ont une mauvaise connectivité avec l'Afrique. La France, à l'inverse, a de gros tuyaux qui passent par cette région. Les Américains utilisent donc des métadonnées récoltées par la France. Ceci, très probablement dans le cadre du mystérieux accord Lustre que la France refuse catégoriquement de commenter depuis la révélation de son existence. Jean-Jacques Urvoas allant même jusqu'à quitter la salle lorsque Reflets l'interrogeait sur ce sujet dans une réunion publique.

Cette collaboration asymétrique (les Etats-Unis ont des capacités d'écoute bien plus importantes) a bien entendu un volet désagréable. Lorsque Edward Snowden envisageait de demander l'asile à l'Allemagne, les Etats-Unis ont expliqué à leurs amis allemands qu'il n'en était pas question, sous peine de perdre l'accès à cette bourse d'échanges.

On peut aisément imaginer que les demandes d'espionnage du gouvernement français ou de la communauté européenne étaient également des demandes que l'on ne peut refuser. Sous peine de perdre ce fameux accès aux informations.

Troisième point, on voit mal la France, que ce soit le gouvernement ou les députés et sénateurs, monter au créneau sur cette affaire alors qu'ils défendent tous (ou presque) becs et ongles le projet de Loi sur le renseignement qui va mettre en place des outils permettant de faire... exactement la même chose. Placer sur écoute globale (surf, discussions, mails, vidéos, téléchargements, voix sur IP, etc.) une personne. Y compris probablement à l'étranger.

Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, tralalalalaaa...

Enfin, l'espionnage entre amis n'est pas plus une nouveauté que la collaboration étroite entre l'Allemagne et les Etats-Unis. Tout le monde espionne tout le monde. C'est pratique, par exemple, lorsque des accords internationaux sont en discussion, cela permet de savoir ce que les "amis" en face ont dans la manche. Et comme la France doit probablement faire exactement la même chose, elle n'a aucun intérêt à s'offusquer publiquement de ce que fait l'Allemagne. Sous peine d'avoir l'air un peu bête le jour où ses activités seront éventuellement dévoilées.

Un bon exemple de cette problématique avait été révélée par le patron de la NSA à l'époque où l'on venait d'apprendre que la France avait été "écoutée" par la NSA. Selon Le Monde, 70,3 millions de métadonnées sur les Français auraient été récoltées en un seul mois. Panique à bord, protestations molles du gouvernement français, et surtout, apparition de Keith Alexander, patron de la NSA devant les représentants américains :  "ce sont ces pays qui nous ont transmis ces données". Traduction en langage non diplomatique : arrêtez de nous critiquer sinon on va révéler l'étendue de notre coopération. Message reçu par Paris et les autres capitales européennes concernées. Paris explique que ces données proviennent des terrains d'opérations (et ne concernent donc pas des Français), qu'il s'agit de métadonnées, donc, rien de grave. Nos lecteurs savent pourtant combien les métadonnées sont bavardes...

Dans le monde gris et un peu louche, pétri de compromissions, du renseignement, tout le monde se tient par la barbichette. Le premier qui rira aura une tapette ! Méfiance...

 

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