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par Juliette Loiseau

L'adoption d'un nouveau code pour la justice pénale des mineurs

Punir vite et fort : le choix de la répression plutôt que de la protection

Réforme controversée, l’Assemblée nationale a pourtant voté la création d’un code de la justice pénale des mineurs. Si pour le gouvernement, il s’agit de clarifier l’ordonnance de 1945 et accélérer les procédures, pour les professionnels du secteur, ce texte fait le choix de la répression sur l’éducation.

Dossier du code de la justice pénale des mineurs sur le site de l'Assemblée Nationale

Ce projet est dans le carton du Ministère de la Justice depuis deux ans. Objectif ? « Une justice pénale des mineurs plus réactive pour une réponse éducative plus efficace » promet-on. Pour montrer l’exemple, la chancellerie a d’ailleurs choisi de légiférer par ordonnance avec une procédure d’urgence, et donc sans débats parlementaires. Ce nouveau code de la justice pénale des mineurs doit entrer en vigueur dès le 31 mars 2021. Mais la préparation s’est faite en concertation avec les professionnels du secteur de la justice des mineurs, se justifie-t-on du côté du Ministère. Sauf que l’ensemble des acteurs du secteur ont dénoncé le simulacre de consultation et un choix du timing bien étrange de la garde des Sceaux Nicole Belloubet. La réforme a en effet été annoncée en 2018 avant la fin d’une mission parlementaire d’information sur la justice des mineurs. « Une consultation dématérialisée d’à peine trois semaines est loin d’être une concertation » avait réagi l’UNIOPSS, une fédération d’associations de solidarité. Les résultats de cette concertation préalable ne sont d’ailleurs pas disponibles sur le site du Ministère… Rien que sur la forme et la façon de faire, la réforme ne passe pas chez les professionnels de l’enfance, associations et syndicats.

Punir vite

Et le contenu n’a rien pour les satisfaire. D'ailleurs, plus de 200 personnalités, professionnels de l’enfance, membres d'organisations syndicales de magistrats, travailleurs sociaux et avocats ont appelé « les parlementaires à ne pas céder à ce simulacre de débat démocratique et à s’opposer au vote » du projet de loi, dans une tribune publiée sur France-Info, mardi 1er décembre.

Le projet se concentre sur la justice pénale des mineurs, celle qui juge des infractions, délits et crimes, et prononce des peines. Le texte de référence en la matière est l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, modifié 39 fois depuis. Pour plus de lisibilité, le gouvernement souhaitait donc la modifier. Mais surtout, l’enjeu est de réduire le temps judiciaire pour les mineurs. Actuellement, il faut 18 mois pour qu’un jeune soit jugé et sanctionné, ce qui arrive dans 45% des affaires après sa majorité. La volonté est donc de raccourcir le délai avec le découpage suivant : le juge a trois mois pour statuer sur la culpabilité du mineur, puis 6 à 9 mois pour décider de la sanction éducative. « La priorité est de punir vite, alors que le délai qu’il y a aujourd’hui avant de juger une affaire permet de rencontrer le jeune et de mettre en place des mesures éducatives » réagit Margot*, éducatrice à la PJJ depuis 20 ans. « Là, le ministère nous demande des miracles : il veut que ça aille plus vite, mais sans donner de moyens supplémentaires. Il va falloir accompagner plus de jeunes, plus vite et pour moins cher. C’est du délire. Dans mon service, on est plus que deux éducateurs en même temps, contre 4 auparavant, car on ne remplace plus les arrêts maladie ou les congés, faute de budget ».

Sans travailleurs et travailleuses sociaux supplémentaires pour assurer les mesures éducatives, sans moyens financiers supplémentaires pour les dispositifs de placement, l’éducatif est impossible. D’autant que l’intervention de la PJJ après la reconnaissance de la culpabilité du jeune change leur travail, les rapprochant des Services Pénitentiaires de Probation et d’Insertion (SPIP) qui suivent l’exécution des peines. En parallèle, la réforme renforce l’arsenal répressif des mineurs délinquants, misant notamment sur les centres éducatifs fermés (CEF), conçus comme une alternative à la détention. Dans les faits, le Contrôleur Général des lieux de privation de liberté ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme dénoncent depuis leur création, en 2002, des dysfonctionnements, une absence de personnels formés, des maltraitances et une logique souvent similaire à celle de la prison. Vingt nouveaux centres doivent être construits à partir de 2021, s’ajoutant aux 56 déjà existants. « Ce sont des établissements populaires chez les politiques, qui ont absorbé la quasi totalité des crédits alloués aux mineurs délinquants » souligne un juge des enfants de Bordeaux . « On observe depuis une dizaine d’années une augmentation de ces financements, mais tout est absorbé par les centres éducatifs fermés. Aujourd’hui on estime qu’un tiers des jeunes accueillis en centre éducatif fermé n’ont pas de casier. Mais c’est souvent le seul endroit où il y a de la place ».

Une délinquance stable, des sanctions durcies

Cette logique s’inscrit dans la sur-pénalisation des mineurs, souvent reprochée à la France. En effet, si le nombre de mineurs délinquants est stable, avec +1,8% d’affaires poursuivies, et que les mineurs ne représentent que 1% des condamnations en France, le nombre de jeunes incarcérés a augmenté de 15% entre 2016 et 2018. Les peines prononcées se sont ainsi durcies. « Aujourd’hui, la justice insiste sur le fait que ces adolescents sont dangereux, avant de dire qu’ils sont en danger et ont besoin d’être protégés » alerte Alexia Peyre, co-secrétaire du syndicat SNEPS PJJ FSU. « Ça change le travail des éducateurs et des éducatrices. L’institution leur dit qu’il faut contraindre avant de protéger et d’éduquer. Pourtant, ces jeunes sont avant tout en danger ». Les professionnels du secteur se sont en effet étonnés qu’il n’y ait pas une réforme de la protection de l’enfance en général plutôt qu’un focus pénal.

Car le passage à l’acte des jeunes s’inscrit très souvent dans un parcours de manquements et carences éducatives. « Il y a encore 15 ans, un jeune pouvait à la fois être pris en charge par la PJJ et par l’aide sociale à l’enfance » confirme Margot. « On ne devient pas délinquant du jour au lendemain, c’est un parcours, il y a des carences éducatives, des problématiques familiales… Les deux vont de pair. Mais aujourd’hui il n’y a plus de prise en charge ASE à partir du moment où les jeunes passent à la PJJ ». En 2021, le budget de la PJJ sera de 944 millions d’euros, soit 33 millions de plus qu’en 2021, avec la création de 154 emplois supplémentaires. Ce dernier chiffre semble dérisoire compte tenu de l’ensemble des dossiers à traiter et à régler dans les tribunaux d’ici le 31 mars 2021 pour passer au nouveau système.

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