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par Marjolaine Koch

Jean Bizet, de sénateur à lobbyiste

Le sénateur quitte les fauteuils rouges pour les alcôves du pouvoir

A 73 ans, le désormais ex-sénateur entame une nouvelle carrière en rejoignant le cabinet de lobbying APCO. Rares sont les parlementaires qui choisissent de quitter leur mandat en cours de route pour rejoindre aussi ouvertement le lobbying. Surtout après 25 ans de carrière au Sénat.

Jean Bizet - ActuaLitté - Wikipedia - CC BY-SA 2.0

Élu de la Manche depuis bientôt quarante ans, Jean Bizet se retire de la vie politique pour rejoindre le cabinet de lobbying APCO. Cette annonce, intervenue ce matin, n’a pas manqué de soulever des questions sur les raisons qui ont poussé APCO, grande compagnie américaine implantée à Paris et Bruxelles, à renforcer ses rangs (et son carnet d’adresse) avec Jean Bizet.

L’ex-sénateur Républicain, lui-même fils de député, a tenu le rôle de président de la commission européenne au Sénat près de huit ans (au lieu des six établis par le règlement intérieur). Après l’annonce de la fin du cumul des mandats et après avoir épuisé son quota d’années à la présidence d’une commission, il avait fait savoir que si une opportunité se présentait, il se pourrait qu’il la saisisse. C’est donc APCO qui lui a fait un appel du pied. A Bruxelles, APCO figure à la 11e place sur 848 sociétés de lobbying recensées par l’ONG Lobbyfact, et fait partie des cabinets de lobbying de taille intermédiaire depuis quelques années, après avoir compté parmi les plus gros en termes de dépenses de lobbying. Aujourd’hui, ils affirment dépenser entre 2,5 et 2,7 millions d'euros en frais de lobbying à Bruxelles.

Dans son communiqué annonçant l’arrivée de Jean Bizet, APCO explique l’avoir choisi pour sa « vaste connaissance des institutions et de l’écosystème parlementaire français. » Et même si l’ex-sénateur rectifie pudiquement lorsqu’on lui parle d’un cabinet de lobbying, car il préfère l’appellation « cabinet de conseil en stratégie », son rôle sera bien celui que l’on attend d’un ex-parlementaire passé sous le pavillon des lobbyistes : fournir les bons contacts au bon moment.

De vieux soupçons de collusion

Jean Bizet fait partie des parlementaires qui ne voient pas le mal à écouter toutes les parties sans exception, au point d'être soupçonné de prendre parti pour les industriels sur les questions du glyphosate et des OGM. Son nom apparaissait dans la liste des fichiers secrets de Monsanto, révélés par l’émission Envoyé Spécial en mai 2019. Le groupe industriel estimait pouvoir le compter parmi les alliés susceptibles d’influencer Nicolas Sarkozy à propos du glyphosate. Et déjà en 2008, Greenpeace lui avait attribué un « Monsanto d’or » après qu’il ait défendu dans l’hémicycle les cultures OGM en plein champ.

Son action se situera peut-être sur le plan agricole, mais une autre carte a pu intéresser APCO : Bizet était co-président avec Jean-Pierre Raffarin, dès 2016, du comité de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. En plus de maîtriser la question du Brexit, Jean Bizet est originaire de la Manche, où il a fait toute sa carrière : la problématique de la pêche, l’un des principaux points d’achoppement des négociations en cours sur le Brexit, pourrait intéresser APCO.

Interrogée il y a deux ans au cours d’une enquête sur le lobbying, Claire Boussagol, présidente d’APCO Bruxelles, nous racontait en effet quelle stratégie elle avait mis en place pour un syndicat de mareyeurs comptant parmi ses clients, sans préciser lequel. Si ces pêcheurs sont encore clients de la société, c’est le moment ou jamais, effectivement, de mettre le paquet pour éviter un accord trop défavorable sur les questions de l’accès aux eaux de la Manche et une répartition juste des quotas de pêche.

Impossible, évidemment, de connaître avec précision les sujets sur lesquels le neo-lobbyiste de 73 ans planchera : APCO ne communique pas sur ces questions, et Jean Bizet, bien que débutant dans le métier, a toutefois compris une règle : « au cours de mes deux ou trois entretiens, j’ai compris qu’il y avait une culture de la discrétion et j’ai d’ailleurs signé un contrat de confidentialité. »

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