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par Antoine Champagne - kitetoa

« J'avais des gens touchés sur moi, la tête dans une mare de sang »

Dans le Bataclan, le 13 novembre 2015 : récits

Le procès des attentats du 13 novembre a commencé. Des milliers d'articles racontent les attentats, détaillent les personnalités, la vie et les motivations des terroristes. Mais qu'ont vécu exactement les victimes au Bataclan ?

Le concert des Eagle of Death Metal va se transformer en cauchemar

Le 15 novembre 2015, le groupe Eagles of Death Metal donne un concert au Bataclan. Le public est varié. Tous se font une joie d'aller les écouter, des amis se sont donné rendez-vous, d'autres sont venus seuls. Ils vont plonger dans l'enfer. Les séquelles physiques et psychologiques seront profondes. Juste après les attentats, les victimes ont été auditionnées. Leur récit, bien que condensé et factuel, comme cela est le cas dans une déposition face à un enquêteur, glace le sang.

A 21h45, le Volkswagen Polo noire utilisée par les terroristes qui vont frapper la salle de concert, se gare devant le café du Bataclan. Deux minutes plus tard, trois hommes en descendent et 15 secondes plus tard, à 21h47 et 18 secondes, ils pénètrent dans la salle se mêlant au flot des passants et en faisant usage d'une arme.

Les Eagles of Death Metal ont à peine entamé leur chanson Kiss the devil. Des tirs retentissent, entrecoupés de cris d'affolement et de panique. « Planquez-vous ! », crie un homme. Tous ne comprennent pourtant pas aussi vite qu'il s'agit d'un attentat. Certains imaginent que cela fait partie du spectacle et ne prendront conscience de l'horreur dans laquelle ils viennent de basculer qu'après avoir vu les flots de sang. « Tout à coup, nous avons entendu des détonations, dans un premier temps je n'ai pas réalisé. J'ai cru que c'était la batterie, une mise en seine du groupe. J'ai pensé à des pétards. Puis rapidement j'ai senti une odeur de poudre. J'ai vu les musiciens quitter brutalement la seine. C'est à ce moment là, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. »

Chaque personne dont le téléphone sonnait était abattue

« J'ai vu trois hommes entrain de tirer avec des Kalachnikov sur les spectateurs dans la fosse. Des gerbes de flammes sortaient du canon des armes. Des spectateurs se sont jetés à terre alors que d'autres tombaient après avoir été touchés par les tirs », raconte une victime aux policiers. « A intervalle de dix secondes, les terroristes ont rechargé leurs armes puis ils ont repris les tirs. J'ai vu l'un d'eux jeter son chargeur vide au visage d'une personne allongée au sol, il a rechargé son arme et s'est mis à tirer au coup par coup pour l'abattre. Ensuite de nombreux téléphones se sont mis à sonner. Chaque personne dont le téléphone sonnait était abattue », poursuit le témoin.

Les terroristes ont entamé leur tuerie (90 morts au Bataclan, 130 au total). Entre des diatribes contre la France et François Hollande à qui ils reprochent de bombarder la Syrie, ils lancent des ordres contradictoires aux victimes : « Lève-toi ou je te tue », « Reste calme. Reste calme. Tu fais ce que je te dis, je vais pas vous tuer », « Couche-toi ».

« Au bout d'environ cinq rafales de tir, quelqu'un nous a dit de nous échapper par la sortie de secours située près de la scène, raconte une autre victime qui comme d'autres évoque le sang qui est partout. On s'est levé, on a couru, on a marché sur des corps, il y avait du sang partout, j'ai vu mon amie, tombée dans une mare de sang, puis je l'ai relevée et je l'ai poussée en direction de la sortie de secours, là, j'ai vu un garçon tomber à coté de moi et je me suis allongée par terre. Je me suis allongée sur des corps. (...) Avec un jeune homme à côté de moi nous faisions les morts, à un moment on a entendu une explosion et l'on a reçu des débris sur nous, ça à tiré puis il y a eu du silence ».

Cette victime fait peut-être référence aux tirs d'un commissaire de la BAC, premier intervenant avec son chauffeur et qui vont tuer l'un des terroristes, ce dernier actionnant alors sa ceinture explosive.

« Je suis dans le Bataclan, plusieurs dizaines de morts, individus retranchés à l'étage certainement, qui font toujours feu hein.., on est à deux, on peut difficilement progresser », explique le commissaire par radio à 21h56. Trois minutes plus tard, il annonce la mort d'un terroriste : « un terroriste abattu sur le Bataclan. A priori ils ont fait péter une bombe également hein ! On continue à progresser ».

L'explosion de la ceinture du premier terroriste abattu par ce commissaire rythme le récit des victimes.

« Eagles of Death Metal ont commencé à jouer, j'étais toujours au même endroit. Au bout d'environ trente ou quarante minutes, j'ai vu un mouvement de foule venant de ma droite. J'ai vu aussi que les gens criaient. La musique continuait et je n'ai pas entendu tout de suite des coups de feu, mais surtout des cris. La vague de gens a continué à pousser et m'a écrasée. J'étais coincée contre le pilier, en sandwich contre des gens. A ce moment là j'ai vu que la sortie de secours, au fond à gauche de la scène était ouverte et que des gens s'enfuyaient par là. Je ne comprenais toujours pas ce qu'il se passait, raconte une autre victime. C'est là que la musique s'est arrêtée et que j'ai entendu des coups de feu. Ce n'était pas par rafales mais au coup par coup. Je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose d'anormal : et c'est là que j'ai ressenti une première douleur dans la fesse droite. J'ai compris à ce moment-là que c'était des coups de feu ».

Au moins six impacts de balles

« Des gens sont partis et ça m'a fait tomber. C'est là que je suis tombée au sol et j'avais très mal à la jambe et au bras droit. Je n'avais pas senti que j'avais été touchée avant. Je me suis retrouvée sur le sol et j'avais très mal au bras. Des gens sont partis, il n'y avait de la lumière que sur la scène. Je me suis rendu compte que les gens qui restaient étaient au sol comme moi. J'étais sur le dos et j'ai vu que j'avais deux doigts de la main gauche qui étaient en lambeaux. Je n'avais pas ressenti le tir auparavant. Je continuais à entendre des tirs, des gens crier. J'entendais les tirs qui s'éloignaient et qui venaient de l'étage. J'ai essayé de bouger et de ramper, mais j'avais trop mal à la jambe et je suis donc restée sur place sans bouger. J'ai eu l'instinct de faire la morte, de ne pas bouger. J'ai fermé les yeux mais j'ai senti que quelqu'un passait au dessus de moi. J'ai pensé qu'ils étaient en train de voir si quelqu'un bougeait encore et j'ai essayé de retenir ma respiration. Ça m'a semblé très long, les tirs ont continué, les cris aussi. À un moment donné il y a eu une sorte d'explosion, mais je n'ai rien vu, je continuais à fermer les yeux. (...) J'ai décidé d'attendre les secours, j'ai pensé qu'ils devaient être prévenus. Il n'y avait plus de tirs à ce moment là. Il n'y avait que des râles des gens qui étaient à terre. Des personnes criaient «A l'aide » et d'autres leur disaient de se taire. Ça a dû être long mais je n'avais plus trop conscience du temps qui passait. Je regardais de temps en temps la porte d'entrée. A un moment j'ai vu des policiers arriver. Ils avaient des uniformes et il y avait des chiens aussi. Ils nous ont dit de ne pas bouger et de ne pas parler. Les policiers se sont dispersés et ont fait le tour de la salle. A aucun moment je n'ai perdu conscience. J'ai été pleinement consciente de tout ce que je voyais et entendais. Les policiers ont dit à ceux qui pouvaient bouger de sortir, et j'ai juste bougé le bras pour dire que j'étais vivante. Les policiers m'ont dit qu'ils m'avaient vue et que je ne devais pas bouger. Beaucoup de personnes sont sorties du Bataclan. J'ai eu peur que des gens m'écrasent et j'ai crié. Une personne a tenté de m'aider à me relever, mais j'avais trop mal. Je suis donc restée au sol. Quand le calme est revenu, deux policiers m'ont tiré au sol jusque dans l'entrée du Bataclan. J'avais très mal. On m'a posée sur une barrière de sécurité et quatre personnes ont porté la barrière jusque dans une rue voisine. Il y avait beaucoup de monde. J'ai été prise en charge et j'ai senti qu'ils ont découpé mes vêtements. Je leur ai dit que je ne voulais pas mourir et là j'ai perdu connaissance. Je me suis réveillée quelques semaines après, mi-décembre je crois. J'avais dû me réveiller avant mais j'étais à moitié inconsciente. J'ai été touchée de six balles il semble. J'ai été touchée à la main gauche, au bras droit, jambe droite et l'abdomen. J'ai reçu aussi des éclats, notamment sur le mollet gauche et le flanc droit. » Placée en coma artificiel pendant plusieurs semaines, cette victime a été touchée par un nombre indéterminé de balles. Les médecins eux-mêmes ne savent pas. Elle est restée hospitalisée treize mois.

« Quand je me suis relevée, une personne s'est trouvée derrière moi et a pris une balle que j'aurais pu prendre à sa place. Cette personne est alors tombée sur moi et ne s'est pas relevée. J'ai eu plein de son sang sur mes vêtements », raconte une autre victime.

Tous évoquent le sang, l’amoncellement des corps. « Lorsque j'étais au sol, des personnes sont tombés sur moi également, certaines qui étaient blessés car j'avais du sang sur ma jambe mais ce n'était pas le mien. Donc après la première rafale, il y a eu un moment de calme et on a décidé avec C. de se lever et de prendre la fuite. Lorsqu'on était debout, C. a réussi à s'enfuir, je crois qu'il a réussi à partir par la scène, mais moi quand les coups de feu on recommencé, j'ai été bousculé par d'autres personnes qui s'étaient relevés. Je suis donc tombé au sol avec des personnes sur moi. J'avais des gens touchés sur moi, la tête dans une mare de sang. À ce moment là, je n'ai plus bougé, je faisais le mort. J'entendais les tirs qui continuaient et les cris des gens qui étaient blessés. Ensuite, j'ai entendu une explosion, c'était une détonation forte, et là après il y a eu encore un ou deux tirs mais très brefs. Je suis resté allongé comme cela, jusqu'à ce que les policiers nous disent de nous relever doucement avec les mains sur la tête. Ils nous ont fait avancer jusque dehors, au milieu du sang, des blessés et des morts. »

Amoncellement de corps

Une autre victime raconte sa progression vers la sortie : « Les terroristes tiraient sur tout le monde, le sol glissait à cause du sang, il y avait des corps partout. A un moment, je suis tombé à terre, je suis peut-être resté une minute sans bouger au sol, et je sentais les balles m'effleurer. Je me trouvais toujours dans la salle, complètement sur la gauche quand on est à face à la scène et j'avais une ligne droite à suivre pour aller jusqu'à la sortie de secours. Il restait peut-être 10 mètres à franchir et j'ai terminé en rampant sur les corps. A la porte de sortie qui était devenue un goulet d'étranglement, il y avait une petite montagne de corps, et j'ai du passer dessus. J'avais commencé à sortir et une personne qui se trouvait à l'extérieur m'a tiré dehors. »

« Je me suis aperçu que mon ami F. était à terre, je me suis approché de lui, et j'ai vu qu'il était conscient. Je l'ai tourné sur le dos et j'ai vu qu'il était touché au ventre par une balle. Je suis resté à côté de lui, j'essayais de le rassurer et j'ai appuyé sur sa blessure. A ce moment-là, j'ai vu le premier terroriste que je vous ai décrit qui était sur le balcon de gauche lorsqu'on regarde la scène. Il ne tirait plus. Je suis resté avec mon ami que je ne voulais pas laisser seul et qui était incapable de s'enfuir. Je me suis retourné et j'ai vu deux policiers arme à la main à proximité de la porte d'entrée, ils étaient en tenue d'uniforme ordinaire, ce n'était pas un groupe d'intervention. J'ai alors dit à F. que la police était là et qu'il fallait partir. J'ai essayé de le tirer en direction des marches qui permettait d'aller vers la sortie, mais il était très difficile de le bouger. J'ai lors entendu quelqu'un qui m'ordonnait de ne pas bouger et j'ai levé la tête. C'était le second terroriste que je vous ai décrit auparavant et qui était juste au-dessus de moi, c'est-à-dire sur le balcon à droite en regardant la scène. »

« TOP caméra ! »

De 23h03 à 00h19, les services spécialisés de la BRI et du RAID poursuivent leur progression à l'intérieur du Bataclan et s'organisent en vue de l'assaut. Les terroristes se sont retranchés à l'étage avec des otages qu'ils utilisent ainsi que leurs téléphones portables pour communiquer, notamment, avec les policiers.

Plan du 1er étage du Bataclan
Plan du 1er étage du Bataclan

Régulièrement, des victimes les supplient de leur venir en aide, d'autres leur demandent de ne pas approcher en précisant que les auteurs portent des ceintures d'explosifs.

A minuit et vingt-trois minutes l'assaut de la BRI est annoncé sur les ondes de la police. Il a en fait débuté à 00h19. Avant de débuter leur attaque, les policiers veulent détruire une caméra devant le lieu où sont retranchés les terroristes avec leurs derniers otages. « Quand on donne l'assaut tu peux shooter la caméra qu'il y a au dessus ? Quand je te donne un TOP » demande un policier au tireur d'élite en position. À 00h19, le même policier du RAID lance « TOP caméra ! ». Le tireur d'élite qui se préparait depuis un certain temps, tire. La colonne d'assaut de la BRI avance vers la porte derrière laquelle se trouvent les terroristes derrière leur bouclier lourd de type Ramses. Trois grenades sont lancées. L'un des deux terroristes actionne sa ceinture d'explosifs. Plusieurs autres grenades sont lancées au milieu d'échanges de tirs. A minuit et vingt-cinq, sur les ondes de la police, on entend « intervention BRI, premier étage sécurisé ».

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