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par Jacques Duplessy

J'ai quitté l'Education Nationale

Vis ma vie de prof contractuelle - Episode 3

Marie-Gabrielle est professeure contractuelle en lycée dans l'académie de Versailles. Elle raconte son quotidien et les méandres du Mammouth de l’Éducation Nationale... jusqu'à sa démission ce mois-ci.

Mammouth au Royal BC Museum, Victoria, British Columbia - Rob Pongsajapan - CC BY 2.0

Nous retrouvons Marie-Gabrielle. Elle est prof contractuelle, enseignant le médico-social en lycée. Pour protéger son anonymat, les établissement ne seront pas cités. Elle raconte son quotidien.

« J’ai été très touchée par l’assassinat de Samuel Paty. Pendant les vacances, j’en discute avec plusieurs amis profs, nous étions tous sous le choc. Je me suis rendue au rassemblement d’hommage avec des collègues devant la mairie de Versailles.

Le ministre nous annonce qu’on lui rendra hommage dans toutes les écoles le 2 novembre. Je reçois sept courriels dans le week-end précédent la rentrée. Les consignes changent tout le temps : arrivée à huit heures pour discuter entre enseignants, puis arrivée à huit heures avec les élèves, puis on nous annonce qu’on sera en binôme pour échanger avec les élèves. Enfin le rectorat me dit qu’on n’est plus obligé de faire un échange, mais qu’on doit au moins observer une minute de silence et lire la lettre de Jean Jaurès. Le proviseur m’adresse un courriel expliquant que nous pouvons garder la porte ouverte pour que l’administration puisse intervenir en cas de chahut ou de non respect de la minute de silence.

Je décide de bien préparer un échange. Cela me paraît important pour mes élèves. Je lis la lettre de Jaurès ainsi que d’autres documents que nous envoient l’Éducation Nationale, plus des articles de presse sur la liberté d’expression. En tant qu’enseignante, je dois être à la hauteur sur cette question importante. Dans le même temps j’écris au proviseur pour demander à récupérer une copie de mon rapport d’inspection. Il me dit de passer à 16h30 pour le lire.

Des collègues me disent avoir peur d'échanger sur la mort de Samuel Paty

Le 2 novembre, l’ambiance est un peu lourde en salle des profs. Le proviseur nous annonce que la police sera présente devant le lycée. Je me rends dans ma classe. J’attends mon binôme pour animer le temps d’échange ; il n’arrivera jamais. Dans les sept classes que j’ai vues ce jour-là, j’ai fait trois fois la lecture de la lettre de Jean Jaurès suivi d’un temps d’échanges. Les élèves étaient très demandeurs. Je n’ai eu aucun problème, les jeunes étaient calmes, ils s’écoutaient.

Des élèves m’ont demandé à plusieurs reprises ce que je pensais des caricatures. Ne voulant pas m’exprimer, j’ai retourné la question en leur demandant si, de leur point de vue, un prof avait le droit de tout dire. On a échangé sur cette question. Ils en ont conclu qu’un prof n’avait pas à dire tout ce qu’il pensait, ni montrer tous ses engagements. Très vite, les élèves ont aussi évoqué le Covid-19. J’ai senti qu’ils étaient plus marqués par la pandémie que par le terrorisme.

Dans les autres classes, j’ai fait mes cours normalement après leur avoir demandé comment ils allaient. Beaucoup d’élèves ont évoqué de la dureté du confinement qu’ils vivent mal : manque des copains, petits appartements...

Midi. Direction la salle des profs. En discutant avec mes collègues, un tiers me dit ne pas avoir fait d’échanges avec les élèves. Certains m’ont glissé qu’ils avaient peur des réactions dans la classe.

A 16h30, je vois le proviseur qui me remet un rapport d’inspection et deux rapports des deux proviseurs dont je dépends. Il me dit de les signer, sans faire de commentaires. Je m’exécute.

Je découvre un rapport d’inspection à charge. Par exemple, on me reproche de ne pas connaître le prénom de tous élèves que j’ai vu masqués 5 fois 1 heure. Je précise que j’ai 300 élèves que je vois une heure par semaine… L’inspectrice relève aussi : « Plusieurs élèves sont sollicités pour venir au tableau à tour de rôle : le feutre de tableau passe de mains en mains sans aucun protocole de désinfection entre deux. » Évidemment aucune lingette de désinfection n’était fournie par l'administration... Elle affirme aussi que je « ne présente aucun document de préparation. Il n’y a pas de structuration de la séance ni aucune stratégie pédagogique. » J’ai pourtant fourni un dossier avec la fiche communiquée aux élèves pour ce cours de révision sur le sommeil. Je suis consternée par autant de mauvaise foi. Et surtout, au prétexte que je dois être « dans une posture d’écoute », on m’a empêchée de dialoguer avec l’inspectrice à l'issue de l'inspection.

Un goût amère

Je me remets en arrêt maladie le 4 novembre jusqu’au 21 pour ne pas retourner dans le second lycée où les élèves sont intenables. Je cherche une porte de sortie négociée avec le rectorat. Je reçois une convocation au rectorat le lundi 9 novembre. Je ne veux pas y aller seule. Je cherche un syndicat pour m’accompagner. Plusieurs me disent qu’ils sont très occupés à cause du Covid. Finalement une représentante de Force Ouvrière Lycées Collèges accepte de m’accompagner.

Nous arrivons devant l’inspecteur. J’avais préparé une longue réponse au rapport d’inspection qui m’étaient opposé. Il prend la parole et me propose d’emblée un avenant à mon contrat de travail pour qu’il prenne fin le 21 novembre, sans évoquer le rapport d’inspection. En quinze minutes, tout est terminé.

En sortant du rectorat, la syndicaliste me dit : « Quel gâchis qu’on fasse partir des gens comme vous alors qu’on manque d’enseignants. Si nous étions intervenus plus tôt, on aurait sans doute pu obtenir le temps partiel pour éviter le lycée qui posait problème. »

Trop tard. Le 22 novembre, je ne serais plus sous contrat avec l’éducation nationale. Ces deux années me laissent un goût amer. Je regrette ce départ pour cette partie de mes élèves qui ne demandaient qu’à apprendre. Dans un des deux lycées, mes élèves n’avaient pas eu cours de l’année dans ma matière faute de prof... La page est tournée. J’ai d’autres projets dans le sanitaire et social. »

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