Journal d'investigation en ligne
par Antoine Champagne - kitetoa

Israël et son gouvernement le plus immoral du monde

Netanyahou a pactisé avec le diable pour éviter son procès : le résultat est là, un infernal chaos

On ne peut pas comprendre la guerre en cours à Gaza et les meurtres massifs en Cisjordanie sans prendre en compte l'alliance déséquilibrée dans laquelle s'est engouffrée Benyamin Netanyahou en 2022. Il signe alors un pacte avec l'extrême droite la plus violente, infréquentable jusque-là. Ce rapprochement s'explique par le besoin de rester au pouvoir à tout prix et éviter procès et prison. Le prix est payé par les Palestiniens. La communauté internationale reste, elle, muette.

Vue partielle de l'affiche du documentaire "The Bibi Files" d'Alexis Bloom - Copie d'écran

Les massacres continus à Gaza sont le reflet d'une époque. Celle où l'extrême droite laisse libre cours à ses délires mortifères sans rencontrer la moindre résistance démocratique. Ils sont aussi une marque indélébile sur l'État d'Israël. Le 7 octobre 2023, le Hamas, le Jihad islamique palestinien, le Front populaire de libération de la Palestine et le Front démocratique pour la libération de la Palestine lançaient une attaque sans précédent sur Israel, tuant 1.160 personnes dont à peu près 800 civils et prenant 250 otages. En réponse, Israël lançait une guerre contre le Hamas qui, vue la configuration du territoire s'est rapidement transformée en guerre contre Gaza et ses deux millions habitants.

Le 13 octobre, l'armée israélienne entrait dans Gaza. Depuis, selon le ministère de la Santé de Gaza, 60.138 Palestiniens ont été tués et 146.269 blessés. Sur ce total, 18.000 victimes sont des enfants. Le Washington Post vient de publier les noms de ces enfants et leurs photos quand elles étaient disponibles. Quelque 70% des victimes sont des femmes et des enfants. En plus, la famine s'installe à Gaza en raison du blocus total imposé par Israël depuis mars 2025. La similitude des images d'enfants affamés qui sortent de Gaza via les photographes des grandes agences de presse comme l'AFP sont terribles et ne manquent pas de rappeler celles du ghetto de Varsovie.

Pendant qu'Israël a déplacé 1,9 million de personnes et que 70 à 90% des habitations ont été détruites, des débats sont organisés sur les plateaux télévisés du monde entier pour savoir quels mots doivent être utilisés. S'agit-il d'un génocide ou pas ? On a même vu des « experts » se poser des questions sur l'usage du mot famine à Gaza...

La question n'est évidemment pas de savoir si les mots sont parfaitement choisis, s'ils correspondent à la situation sur place. D'une part, Israël empêche l'accès à la bande de Gaza à la presse internationale depuis le premier jour du conflit. Les seules informations qui sortent sont celles des journalistes palestiniens, correspondants de la presse internationale. Depuis le début de la guerre, entre 188 et 225 journalistes ont été tués à Gaza, ils ont souvent été visés par les forces israéliennes en raison de leur profession. D'autre part, « Six milles bombes sont larguées par Israël pendant les six premiers jours de guerre, plus que par les États-Unis en un an en Afghanistan et le double employées par la coalition contre l'État islamique sur un mois », indique Wikipedia. La presse internationale a pointé que l'armée israélienne a largué environ 1.000 bombes par jour au cours de la première semaine de la campagne et a déclaré avoir mené plus de 10.000 frappes aériennes sur Gaza au 10 décembre 2023. Quelque 90% de ces bombes pesant entre 450 et 900 kilos. À titre de comparaison, Londres a été frappée par environ 19.000 tonnes de bombes pendant les huit mois du Blitz, et la bombe atomique qui a détruit Hiroshima équivalait à 15.000 tonnes d'explosifs puissants.

Génocide ? Pas de génocide ? Famine ou pas ? Ces discussions n'ont comme seul intérêt que celui de créer des écrans de fumée.

Mais même avec ces écrans de fumée, ll est impossible de ne pas voir la disproportion des actions d'Israël contre Gaza, la décorrélation entre le nombre de victimes civiles (près de 3% de la population) et les buts de guerre (destruction du Hamas, soit environ 20.000 personnes). Il est impossible de ne pas parler de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre. Les soldats qui font exploser des quartiers entiers, qui tirent sur des personnes désarmées venues chercher de la nourriture dans un contexte de famine organisée par un blocus inhumain et complet d'un petit territoire de 365 kilomètres carrés où sont déplacés en permanence 2,2 millions de personnes... Un territoire où les forces israéliennes commettent des carnages contre des secouristes... La liste est sans fin.

Ce qui se passe à Gaza est un enfer. Nous en percevions les prémices dès novembre 2023 quand Islam Idhair, notre correspondant à Gaza avait perdu ses quatre enfants dans le bombardement de sa maison.

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Islam et sa femme Heba ont pu quitter Gaza. Ils sont désormais en France et ont toujours besoin d'aide. Vous pouvez faire un don en cliquant sur ce lien pour les soutenir et aider ceux de leur famille qui sont restés sur place.

Et si l'on parvient à s'extraire de l'horreur qui frappe les Palestiniens, ce qui se passe à Gaza, quel que soit le terme que vous souhaitiez employer pour le désigner, est aussi une marque d'infamie qui souille Israël. C'est ce qui pouvait arriver de pire pour les Juifs, où qu'ils soient et quelques soient leurs opinions politiques. C'est un carburant diabolique pour le fléau qu'est l'antisémitisme. Ne parlons même pas de ce que la communauté internationale va découvrir et comprendre lorsque l'accès à la bande de Gaza sera à nouveau possible. Pour l'instant, seuls des médecins ou des humanitaires peuvent témoigner. Et même si leurs récits sont glaçants, ils rapportent peu d'images. Les journalistes sur place font le maximum mais cela reste moins « percutant » que les images qui seront tournées à Gaza après le conflit.

Au 30 juillet, environ 50 personnes sont toujours otages dans la bande de Gaza. Près de 800 soldats israéliens y sont morts depuis le début de la guerre.

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a rendu une décision au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ordonnant à Israël d'empêcher tout éventuel acte génocidaire, et d'autoriser l'accès humanitaire à Gaza.

En novembre 2024, la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre Mohammed Deïf, commandant de la branche armée du Hamas (probablement tué entre temps par l'armée israélienne).

Le procès pour fraude et abus de confiance : la source du mal

Toutes ces horreurs ont une cause. Elle est rarement évoquée dans la presse française ou plus largement, occidentale. Il existe pourtant un documentaire passionnant, The Bibi Files, qui l'explique, images à l'appui. Il a du mal à être distribué et projeté.

On y découvre les interrogatoires de personnes proches de Benyamin Netanyahou qui décrivent aux policiers, avec des détails très précis, une véritable kleptocratie, et comment ce dernier et sa femme ont bénéficié de cadeaux somptueux. Pour cela, le premier ministre en exercice risque la prison. Il le sait et il fait tout pour l'éviter, quitte à créer le chaos et la destruction, provoquer tous ces morts de part et d'autre, entretenir un état de guerre permanent, et s'allier avec les pires représentants de l'extrême droite jusqu'ici infréquentable en Israël.

Nir Hefetz, interrogé par la police. C'est l'ancien communicant de Benyamin Nétanyahou et de sa famille. Il a accepté de témoigner contre son ancien employeur. - Copie d'écran du documentaire The Bibi Files
Nir Hefetz, interrogé par la police. C'est l'ancien communicant de Benyamin Nétanyahou et de sa famille. Il a accepté de témoigner contre son ancien employeur. - Copie d'écran du documentaire The Bibi Files

C'est en 2016 que les problèmes commencent réellement pour Benyamin Netanyahou. L'homme fort du Likoud, le parti de droite israélien, est soudain accusé d'avoir reçu, ainsi que sa famille, des cadeaux luxueux de la part d'hommes d'affaires. Tout avait pourtant toujours baigné dans l'huile de noix de coco pour ce politique, déjà premier ministre en 1996, en 2009, 2013, 2015, puis encore en 2020 et 2022. Un peu comme Poutine, il y a désormais une génération qui n'a connu que lui au pouvoir, ou presque...

L'histoire s'envenime quand les investigations mettent au jour un soutien à un tycoon de la presse en échange d'une couverture dithyrambique de ses actions et de celles de sa famille. En février2019, puis en décembre 2021, le procureur général de l'État d'Israël, Avichaï Mandelblit annonce des poursuites contre Benyamin Netanyahou, notamment pour fraude et abus de confiance. Les auditions de témoins menées par les enquêteurs sont absolument accablantes. Elles révèlent une kleptocratie avec comme principaux bénéficiaires de libéralités, Benyamin Netanyahou et sa femme Sara. Son fils Yaïr est, lui, désigné comme une âme damnée demandant aux responsables du journal en ligne Walla! des articles favorables à son père. Mais aussi comme un Iznogoud qui se verrait bien calife à la place du calife (trop mou à son goût) quand celui-ci sera obligé de passer la main. Ses déclarations racistes et ses discours suprémacistes le classent à l'extrême droite la plus sordide.

Cette pression judiciaire, Bibi, comme le surnomment une partie des Israéliens, sait qu'elle est réelle et qu'elle peut déboucher sur de la prison ferme. Il y a un précédent. Ehud Olmert, premier ministre de 2006 à 2009 a été poursuivi par la suite puis condamné par la Cour suprême à dix-huit mois de prison ferme pour corruption.

Lorsqu'il gagne les élections de 2022, Benyamin Netanyahou fait un pacte avec le diable. Pour rester au pouvoir et, pense-t-il, user de sa position pour échapper à un procès, il forme un gouvernement avec ce que l'on fait de pire à l'extrême droite.

C'est ainsi que pour pouvoir gouverner, Benyamin Netanyahou choisit Itamar Ben-Gvir comme ministre de la Sécurité nationale. L'homme a un profil qui laisse pantois. « Classé terroriste par les autorités israéliennes et américaines. Homophobe, antilibéral et antidémocrate, il croit en la suprématie de la loi divine et en celle du peuple juif », explique sa fiche Wikipedia.

Aux Finances et au ministère de la Défense, il nomme Bezalel Smotrich, adepte de l'idée d'un « État théocratique soumis à la loi religieuse et l'annexion de toute la Palestine historique », toujours selon Wikipedia.

Deux personnalités à la tête de petits partis d'extrême droite, aux discours suprémacistes, tiennent Benyamin Nétanyahou. Sans eux, son gouvernement tombe. Sans son gouvernement, son pouvoir s'effondre et son procès reprendrait un cours plus actif. Sans ce gouvernement, la guerre s'arrêterait-elle ?

Longtemps, la presse a repris sans recul le discours marketing de l'état hébreux : Israël a l'armée la plus morale du monde... Force est de constater qu'évidemment ce n'est pas le cas. Elle n'est pas plus morale qu'une autre. Les armées servant généralement à tuer des gens, on voit mal ce qu'elles peuvent avoir de moral, y compris lorsqu'elles luttent pour de « bonnes causes ». Il n'y a pas de guerres « propres » ou « morales ».

Mais la guerre et la famine en cours à Gaza donne aussi à voir une presse « occidentale » paresseuse, complice du drame en cours en n'investiguant pas, en ne réfléchissant pas. En reprenant les annonces gouvernementales israéliennes sans aucun recul, sans mise en perspective.

On en apprend plus en lisant le journal Haaretz qu'en lisant Le Monde ou Libération. Quand ces deux derniers se contentent souvent de rapporter les annonces gouvernementales, Haaretz fait des maths et c'est une toute autre histoire qui nous est racontée.

Pour Le Monde, le gouvernement israélien annonce « pause tactique" dans ses opérations militaires » et des « itinéraires sécurisés seront également mis en place" pour permettre le passage des convois des Nations unies et des organisations humanitaires ». Haaretz s'est penché sur « _Les mathématiques de la famine ». Ce qui lui permet plutôt de titrer sur le fait que « l'aide humanitaire ne peut pas résoudre la pénurie alimentaire mortelle à Gaza _».

Haaretz, copie d'écran.
Haaretz, copie d'écran.

« Pour un œil non averti, la Gaza Humanitarian Foundation – soutenue par Israël et les États-Unis – semble être une réussite fulgurante. Après avoir annoncé lundi avoir déjà distribué plus de 85 millions de repas et que la distribution de la journée s'était déroulée sans incident, on aurait pu penser que tous les problèmes antérieurs et les rapports négatifs n'étaient que les douleurs de l'enfantement du projet. », écrit Haaretz

« Mais d'autres variables doivent être prises en compte dans cette équation du succès. Tout d'abord, l'équation manque de contexte et ignore la situation dans son ensemble. Si environ 2,1 millions de personnes vivent aujourd'hui dans la bande de Gaza, il est préférable qu'elles mangent trois repas par jour, et si la GHF était en activité depuis 56 jours lundi, combien de repas aurait-elle dû distribuer ? Un simple calcul donne la réponse : 353 millions. », poursuit, implacable, le journal. Et encore, c'est sans compter les plus de 1.000 personnes sans défense, tuées par l'armée israélienne pendant les distributions d'aide.

Enquête de Haaretz sur les tueries de Palestiniens venus chercher de l'aide humanitaire auprès de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) - Copie d'écran
Enquête de Haaretz sur les tueries de Palestiniens venus chercher de l'aide humanitaire auprès de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) - Copie d'écran

L'absente communauté internationale

Peut-on, doit-on, comparer des horreurs ? Combien de morts en Ukraine ? (13.000 civils et entre 60 et 100.000 militaires), combien de morts au Yemen ? (400.000 morts dont 12.000 enfants). Une chose est sûre, on peut comparer la réaction de la communauté internationale (principalement occidentale). Elle a largement condamné les actions de la Russie ou celles des Houtis. Dans le cas de l'Ukraine, une série de sanctions financières a frappé la Russie. Sur le papier, elle est asphyxiée financièrement. Pour le Yemen, le conseil de sécurité de l'ONU maintient un embargo sur les armes à destination des Houtis et leurs alliés. Des sanctions financières ont été prises, des gels d'avoirs ont été décidés ainsi de que des interdictions d'entrée sur le territoire en Europe ou aux État-Unis. Étonnamment, aucune sanction n'a été prise contre les membres de la coalition menée par l'Arabie Saoudite et dont les actions sont parfaitement critiquables. Pour ce qui est de la guerre à Gaza menée par Israël, force est de constater que l'on est face au néant. Où est la communauté internationale ? Plus occupée sans doute à lancer les forces de l'ordre et la justice contre des manifestants tenant des drapeaux palestiniens qu'à préparer des paquets de sanctions. Si l'Europe en est à son 18ème paquet de sanctions contre la Russie, depuis 2023, elle n'a pas encore décrété la moindre sanction effective contre Israël...

Les États-Unis n'ont pas plus déclenché de sanctions. Ils ont au contraire renforcé leur soutien militaire et financier à Israël. Donald Trump a signé un décret qui autorise le gel des avoirs et interdit l'entrée sur le territoire américain des représentants de la Cour pénale internationale. Notamment ceux ayant participé à des enquêtes contre Israël.

Cette inaction et ce silence sont indéfendables. tout cela contribue à l'effondrement en cours de l'ordre et des institutions internationales mis en place après la deuxième guerre mondiale. On rêvait alors d'un « plus jamais cela ».

Mais plus jamais cela, cela vaut normalement pour tout le monde. C'est le principe du pacte qui nous unit. Nous renonçons à certains droits pour protéger le plus grand nombre. La loi du plus fort s'éteint normalement avec l'avènement de la démocratie. Bien sûr tout cela a toujours été imparfait. Dans chaque pays démocratique mais aussi à l'échèle de la planète. Mais c'était mieux que rien.

L'invasion de l'Ukraine par le dictateur Vladimir Poutine, l'invasion et les massacres de Gaza par Benyamin Netanyahou, les actions de Donald Trump pour miner la démocratie américaine, sans aucune réaction des contre-pouvoirs sont autant de coups de masse portés contre l'ordre international et les institutions qui permettent de le faire respecter. C'est le retour de l'ère de la loi du plus fort. Ce que ne comprennent pas ceux qui s'en réjouissent, c'est qu'il y a toujours quelqu'un de plus fort que soi. Mais surtout, qu'en laissant faire, on génère des vocations, et donc, le chaos.

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